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LE KLOPP DE LIVERPOOL

En l’espace d’un an, Jürgen Klopp a complètement métamorphosé les Reds. A la découverte d’un meneur d’hommes.

Jürgen Klopp aime les fêtes. Les joueurs de Liverpool l’ont découvert le 20 décembre dernier, de retour de Watford. Ils se demandaient si leur entraîneur, furieux de la sèche défaite 3-0 essuyée, allait annuler la fête de Noël prévue ce soir-là. La plupart le prévoyaient, voire l’espéraient. Nul n’avait le coeur à la fête. A leur grande surprise, Klopp a insisté pour que la fête ait lieu. Mieux : la présence de chacun était requise !

Joueurs, staff et partenaires ont donc mis le cap sur le Formby Hall Hotel en ayant envie d’être n’importe où ailleurs. Une fois son petit monde réuni, Klopp s’est emparé du micro :  » Nous sommes tous déçus mais le match est fini. Maintenant, c’est la fête. Peu importe que vous buviez ou pas mais personne ne s’en ira avant une heure du matin. Nous devons faire le mieux possible ce que nous entreprenons. Et ce soir, c’est la fête.  »

Klopp a mis de l’ambiance en dansant avec son épouse Ulla, dévoilant un beau jeu de jambes. Il n’a cessé de rire toute la soirée. Vers une heure, plus personne ne regardait sa montre. Quelques jours plus tôt, les joueurs de Manchester United avaient annulé leur fête de Noël, sentant que ni les supporters ni leur manager, Louis vanGaal ; ne voyaient pareille célébration d’un bon oeil, après l’élimination en Ligue des Champions et les défaites contre Bournemouth, Norwich et Stoke.

Ces dernières années, la Premier League a tendance à annuler la fête. Harry Redknapp et Alan Pardew ont donné le ton. Deux mois après son arrivée en Angleterre, Klopp a adopté une autre approche, jugeant cette fête plus importante que ce qui s’était passé à Watford.

Si les joueurs s’étaient renseignés sur Klopp, ils n’auraient pas été surpris. Un an plus tôt, il avait fait de même en Allemagne. Il vivait la pire période de sa carrière. Dortmund n’avait qu’un point de plus que la lanterne rouge mais il voulait entamer la trêve l’esprit serein. Il avait envoyé un sms à ses joueurs :  » Cette fête n’est pas facultative. Pas d’exception : tout le monde doit venir.  »

Klopp pensait que s’ils ne venaient pas, les joueurs resteraient à râler chez eux. Or, il croit qu’une équipe doit se comporter en bande de copains, qui gagnent, perdent et font la fête ensemble. Le mot together a une place considérable dans son vocabulaire anglais.  » En restant ensemble et en digérant ceci ensemble, nous offrons un bel avenir à Liverpool « , a-t-il dit en fin de saison après le revers contre Séville en finale de l’Europa League, à Bâle.

Comment la fête prévue à Bâle s’est-elle déroulée ? Vous le devinez. Dans une ambiance de funérarium au début, beaucoup de joueurs étant dans l’incertitude quant à leur avenir. Après quelques boissons, l’ambiance s’est décontractée et elle a atteint son sommet quand Klopp a invité tout le monde à danser :

 » Il y a deux heures, vous vous sentiez comme des paquets de merde. J’espère que ça va mieux. Ceci n’est qu’un début pour nous. Nous allons encore disputer beaucoup de finales.  » Il a commencé à chanter :  » We are Liverpool, tralalalala !  » Ses joueurs ont embrayé. Voilà quel genre d’entraîneur il est. Il est un meneur. Ses joueurs suivent.

DES PRESTATIONS EN DENTS DE SCIE

Lors de sa première journée au poste de manager de Liverpool, le 9 octobre 2015, Jürgen Klopp a exposé aux joueurs l’analyse qu’il avait faite les semaines précédentes, à distance.  » Pour le moment, toute la famille du LFC est un peu nerveuse, pessimiste. L’ambiance dans le stade est bonne mais personne ne s’amuse vraiment. Les gens ne croient pas au présent. Ils regardent toujours le passé. Nous devons prendre un nouveau départ. Il est très important que les joueurs sentent la différence dès maintenant.  »

C’est plus facile à dire qu’à faire. Klopp a hérité d’une équipe dysfonctionnelle, alors que les transferts étaient clôturés et que les matches se succédaient. Il avait peu de marge de manoeuvre. Sa tactique intense de contre-pressing avait produit des résultats spectaculaires à Dortmund mais il ne lui suffisait pas d’un clic de souris pour orchestrer Liverpool.

Parfois, en Ligue des Champions, le Borussia courait plus de 120 kilomètres et balayait ainsi des adversaires réputés. C’était impossible avec le Liverpool démoralisé dont il avait hérité. Il avait besoin de temps, sans en avoir. Cette saison-là, Liverpool allait jouer 63 matches sur quatre fronts et atteindre la finale de la Coupe de la Ligue et de l’EL. Il n’allait pas muer Liverpool en Dortmund du jour au lendemain. Surtout pas sans remanier le noyau, ce qui ne pouvait se produire qu’en été.

D’emblée, Klopp a eu le sentiment que quelque chose s’était cassé à Liverpool. Il croit en l’énergie positive mais il n’en a pas trouvé trace à Anfield ni à Melwood, le centre d’entraînement des Reds. Certes, Liverpool a signé quelques exploits, battant Chelsea 3-1, City 4-1 et 3-0 et Everton, 4-0. En Coupe de la Ligue, il a taillé Southampton en pièces (6-1). En Europe, il a vaincu Manchester United (2-0), Villarreal (3-0) et Dortmund (4-3)- après un spectaculaire retour. Mais il a aussi connu des passages à vide et des prestations en dents de scie qui ont hérissé Klopp.

Dans les pubs comme dans le vestiaire et à l’étage directionnel, nul ne doutait du manager, sans doute pour la première fois depuis l’arrivée du Fenway Sports Group en 2010. Klopp n’était pourtant pas très satisfait en fin de saison : le rush vers la finale européenne avait camouflé pas mal de manquements et une victoire à Bâle les aurait carrément occultés. Mais Séville les a exposés au grand jour, dans une superbe deuxième mi-temps. Cette équipe ne portait pas encore le sceau de Jürgen Klopp. L’été risquait d’être long.

TROIS ENTRAÎNEMENTS PAR JOUR

Si le vestiaire s’est énervé durant les premiers mois de Klopp à Liverpool, c’est à cause du programme d’entraînement. Les années précédentes, les joueurs de Premier League s’étaient habitués, non sans mal, à des doubles séances, mais Klopp en organisait parfois trois par jour : une le matin, deux l’après-midi. Ou pire : une l’après-midi et deux le soir. Le programme changeait d’une semaine à l’autre : avant un match vespéral, ils s’entraînaient le soir pour que leur corps soit en forme au bon moment. Ça semble logique mais les footballeurs apprécient la routine. Il leur faut du temps pour apprécier les avantages d’un changement de régime.

La première séance de Klopp s’est achevée spectaculairement : le Portugais João Teixeira a vomi – il a quitté le club depuis – et deux autres joueurs étaient pliés en deux de douleur. D’aucuns ont trouvé Klopp trop dur. Le préparateur physique néerlandais Raymond Verheijen s’est plaint de Klopp sur Twitter, estimant qu’il était à l’origine des nombreuses blessures. La faute classique de s’entraîner trop dur trop vite. Il y a peu, Frank de Boer a encore estimé que Klopp aurait dû introduire son pressing plus progressivement.

En juillet, en partant pour la Californie, Klopp a précisé d’emblée qu’il ne s’agissait pas d’une simple tournée. Liverpool allait jouer à Los Angeles, San Francisco et Saint-Louis dans le cadre de l’International Champions Cup mais ce n’en était pas moins un stage. Il allait être intensif. Il a emmené un nouveau préparateur, Andreas Kornmayer, qui a travaillé au Bayern sous les ordres de Louis van Gaal, Jupp Heynckes et Pep Guardiola. Klopp a souri quand Kornmayer a annoncé aux joueurs qu’il allait les faire travailler plus et améliorer leur condition.

Au camp de Stanford, les joueurs étaient unanimes : ils ne se souvenaient pas d’une préparation aussi dure. C’était bien plus qu’un camp de travail : si Kornmayer s’occupait de renforcer leur corps, Klopp les endurcissait mentalement. Il les a provoqués tactiquement, les extirpant de leur zone de confort, avec la complicité de ses adjoints, Zeljko Buvac, Peter Krawietz et Pepijn Lijnders. Ils avaient joué quatre matches de préparation avant de s’envoler pour l’Amérique. Ils avaient battu Tranmere, Fleetwood, Wigan et Huddersfield sans encaisser un seul but mais désormais, ils devaient s’entraîner sérieusement.

En dehors du terrain, l’ambiance est plus détendue. Klopp veut que ses joueurs soient heureux ensemble, qu’ils rient. Son régime peut paraître impitoyable, sa préparation est stricte mais il éveille quelque chose. Quand il enlace un joueur, c’est qu’il reconnaît sa valeur.  » Il est très physique sur le terrain. Il rit et plaisante constamment « , a raconté Adam Lallana en mai.  » Les gens parlent en souriant des accolades qu’il semble donner à tout le monde mais pour un joueur, elles signifient quelque chose. On se sent aimé et ça montre que l’entraîneur apprécie votre travail car il exige un engagement total.  »

MARQUE DE FABRIQUE

C’est pour cette raison qu’il a renvoyé Mamadou Sakho du stage. Klopp parle souvent en termes affectueux de Mama mais le manager était furieux quand le défenseur français s’est présenté en retard au check-in du vol vers San Francisco, a ensuite raté une séance de récupération et est arrivé en retard à un repas de l’équipe. Sakho a également commis l’erreur d’interrompre une interview avec Klopp pendant une visite guidée d’Alcatraz. Ce n’était pas très habile mais ce sont surtout ses retards répétés qui ont exaspéré Klopp. Celui-ci s’est expliqué :  » Nous avons des règles. Si quelqu’un ne les respecte pas ou me donne l’impression de ne pas le faire, je dois réagir.  »

De retour à la Stanford University, le focus était surtout axé sur le contre-pressing, la marque de fabrique de Klopp, une version très intense du pressing. Il implique non seulement de reconquérir le ballon dans le camp adverse mais de le faire d’une manière bien calculée, en y incluant le possesseur du ballon comme ses coéquipiers démarqués. Ensuite, on essaie de frapper par une attaque rapide, quand l’adversaire est le plus fragile.

La transition entre défense et attaque est exercée à l’infini. Au fil des jours du stage, les mouvements deviennent plus rapides, plus fluides, plus efficaces. Klopp était debout sur la ligne de touche, bras croisés, de plus en plus impressionné par ce qu’il voyait. Durant cette phase, il n’a pas dû dire grand-chose. Le mantra était récité par Pepijn Lijnders :  » Si nous gagnons l’entraînement, nous gagnons le match.  »

Fenway Sports Group, le groupe propriétaire de Liverpool, est surpris par le modèle anglais de management. S’appuyant sur son expérience avec les Boston Red Sox en Major League Baseball, le groupe préfère que le coach dispense l’entraînement et compose l’équipe, la stratégie à long terme étant déterminée par un comité.

A Liverpool, tout le monde n’était pas convaincu que Klopp s’intègre à ce modèle mais pendant son entretien de sollicitation avec FSG à New York, il a expliqué comment il avait collaboré avec Michael Zorc au Borussia Dortmund et il a été clair : ce mode de fonctionnement conviendrait parfaitement sur les rives de la Mersey, à condition que le club dispose de l’expertise à laquelle il était habitué.

Il a approuvé la stratégie de transfert du groupe. Dès ce premier entretien, il a expliqué avec enthousiasme comment il retirerait le maximum d’Emre Can et de Roberto Firmino, deux footballeurs que son prédécesseur, Brendan Rodgers, n’avait pas réussi à intégrer aussi vite que l’espérait FSG.

Klopp a rapidement établi de bonnes relations de travail avec Mike Gordon, le président de FSG. Gordon était déjà considéré comme le directeur sportif du groupe, de facto, mais il était manifestement enchanté d’accorder plus de pouvoir à Klopp. Il n’a pas fallu longtemps à FSG pour considérer Klopp comme un coach, un manager et un directeur sportif.

UN WORKAHOLIC

L’arrivée de Klopp a été à la base de grands changements au sein de la direction et d’un revirement en coulisses de Melwood. Le manager allemand a également dirigé la grosse activité en transferts et apporté des modifications aux tenues d’entraînement. Début juillet, après neuf mois de service et treize victoires en Premier League, il s’est vu présenter un nouveau contrat de six ans, qu’il a signé après quelque hésitation. Klopp voulait être sûr d’avoir choisi le bon club, après sept années heureuses au Signal Iduna Park. Il était enfin certain d’avoir opéré le bon choix et ses employeurs étaient sûrs d’avoir trouvé le bon manager.

Klopp sauterait sans doute en l’air si on sous-entendait qu’il ne peut entraîner qu’un type bien défini de club, dans des villes bien spécifiques. Mieux vaut donc le formuler ainsi : le Borussia Dortmund lui allait comme un gant et c’est aussi le cas de Liverpool, qui est, historiquement, un club de travailleurs, qui s’appuie sur ses solides liens avec les supporters et qui est en lutte avec les clubs plus aristocratiques d’Europe.

Quand Klopp a annoncé qu’il allait quitter Dortmund pour relever ailleurs un nouveau défi, on l’imaginait difficilement au Bayern ou au Real.  » Le voir manager d’un club de l’establishment serait bizarre « , déclare Neil Atkinson sur le podcast Anfield Wrap.  » Il semble avoir besoin de défis comme celui qu’il relève à Liverpool. Je ne peux pas l’imaginer à Barcelone, au Real ni même à Arsenal. Il veut un club qui respire le football, un club situé dans une ville de football. C’est le cas de Dortmund comme de Liverpool et sans doute aussi de Manchester. Les autres villes ont une dynamique différente.  »

Allez-vous enfin cesser de travailler ? On pose souvent la question à Jürgen Klopp. De nos jours, tous les managers sont des alcooliques du travail mais alors que la plupart préfèrent l’un ou l’autre aspect de leur travail, Klopp peut les maîtriser tous. Il veut manager les gens et leurs émotions, la tactique et les détails. S’y ajoutent les exigences spécifiques à Liverpool et les attentes des supporters, ce qui rend l’ensemble encore plus dur. Mais Klopp est insatiable.

Il n’accorde qu’une concession à la fatigue. Chaque soir, quand il rentre de Melwood, il s’octroie une sieste, parfois de plus d’une heure mais jamais de plus de deux. Il se réveille ensuite plein d’énergie et profite bien de sa soirée. Sa femme et lui aiment se promener avec leur chien Emma, un collie retriever appelé ainsi en hommage à Lothar Emmerich, un avant de Dortmund dans les années 60 qui a également fait, par la suite, les beaux jours du Beerschot.

Il aime aussi aller boire et manger dans un pub ou un restaurant de la ville, avec son staff. Parfois, les habitants peuvent les voir jouer au tennis de table ou aux fléchettes. Ils débordent de joie de vivre.

À FOND LA FORME

Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Klopp est convaincu qu’il doit se donner à fond dans chaque aspect de son métier mais il ne veut pas gaspiller non plus son énergie dans certaines choses. Le cirque médiatique en est une. Les bagarres entre managers n’intéressent pas Klopp. La presse et José Mourinho ont interprété quelques-unes de ses remarques sur le marché des transferts, comme la raison pour laquelle il ne veut pas dépenser cent millions pour un joueur ( « ce qui compte, c’est de jouer ensemble « ), comme une attaque contre Manchester United et le transfert de Paul Pogba.

Mourinho a riposté en déclarant que certains managers ne seraient jamais placés devant ce choix, parce qu’ils  » n’entraîneraient jamais un grand club.  » La presse s’attendait à une réaction de Klopp.  » Ce que les autres clubs font ne m’intéresse absolument pas « , a répondu le manager de Liverpool.  » Ça n’aurait aucun sens.  »

Entraîner Liverpool requiert déjà assez d’énergie sans se laisser attirer par des querelles entre managers rivaux, sans parler de ses employeurs. Beaucoup d’anciens patrons de Liverpool en ont fait l’amère expérience. Klopp peut être en proie à des crises de colère. Il suffit pour s’en convaincre de consulter son casier à Dortmund, mais il sait comment utiliser son énergie de manière positive et surtout comment ne pas la gaspiller. Il ne se lance que dans des combats dont il est sûr qu’ils en vaillent la peine.

PAR OLIVER KAY (FOUR FOUR TWO) – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Les gens rigolent de ses accolades mais pour nous, joueurs, c’est la preuve qu’on se sent apprécié par le coach.  » ADAM LALLANA

Après le premier entraînement de Jürgen Klopp, Joao Teixeira a vomi et deux joueurs étaient cassés, tant la séance avait été dure.

 » Je ne peux pas l’imaginer à Barcelone, au Real ni même à Arsenal. Il veut un club qui respire le football, un club situé dans une ville de football. Dortmund et Liverpool répondent à ce critère.  » NEIL ATKINSON SUR LE PODCAST ANFIELD WRAP

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