Le ket de Pompey

Du foot de rue à Zulte Waregem en passant par Portsmouth : sur les traces d’un jeune talent au parcours atypique.

Trois minutes, le temps de déposer sa carte de visite, on a connu des débuts plus laborieux. Le 30 août dernier lors de Malines-Zulte Waregem, Andrea Mbuyi-Mutombo montait au jeu à la 87e et plantait le 0-2 à la 90e. Andrea venait de retrouver la Belgique après un an sur le sol anglais du côté de Portsmouth. Ce retour, sous forme de prêt d’une saison, s’inscrivait dans le cadre du partenariat tissé entre les deux clubs (l’attaquant Danijel Subotic avait effectué le même chemin un mois plus tôt). La suite allait être tout aussi rose : deuxième titularisation face à Tubize et second but, celui de la victoire (1-0). S’en suivent les premiers coups de projecteur, les premiers sourires sur un faciès tout droit sorti d’une série pour ados. Ses dreadlocks et son jeu fait de technicité et de dribbles apportent un coup de frais à une rencontre qui en manquait tant. Andrea marque les esprits, lui le deuxième joueur le plus efficace (derrière l’infortuné Kevin Geudens) de notre championnat avec deux réalisations en 151 minutes.  » Ah bon ? Vous me l’apprenez. Et pourtant, je suis loin d’être un buteur. J’ai beaucoup de sang-froid dans le jeu, je ne m’affole jamais, mais devant le but j’ai tendance à vouloir trop bien faire. Et donc à gaspiller.  »

Au-delà de ces chiffres purement anecdotiques, il y a un parcours atypique, romanesque chez ce jeune Bruxellois de tout juste 18 ans.  » C’est vrai que je n’ai pas connu l’écolage standard. Loin de là. De 10 à 15 ans, je n’étais inscrit dans aucun club, c’est la rue qui m’a formé. Et aujourd’hui, je ne le regrette pas. J’ai appris à développer ma technique, à être plus inventif, à encaisser les coups face à des types plus âgés. « 

Né à Kinshasa, Andrea Mbuyi-Mutombo atterrit à Bruxelles très jeune. Son terrain de jeu, c’est la cité Hunderenveld à Berchem-Sainte-Agathe, commune où il grandit.  » Les grands du quartier ont très vite remarqué que j’avais quelque chose dans les pieds « , se rappelle Andrea.  » Ils m’ont poussé à m’inscrire à Anderlecht. Quand t’es petit, les Mauves, c’est l’eldorado, là où les meilleurs doivent aller. « 

 » A Anderlecht, les anomalies sont nombreuses « 

A 8 ans, il y signe donc sa première carte d’affiliation après un test concluant qui l’envoie chez les Préminimes nationaux (l’élite de la catégorie). Mais l’expérience tourne court. Deux ans plus tard, ses entraîneurs considèrent qu’il stagne et le rétrogradent vers les provinciaux.  » J’ai vécu ça comme un échec. Quand t’es petit, t’acceptes difficilement ce genre de choses. Surtout que je ne partais pas avec les mêmes chances que les autres. J’ai grandi dans un milieu modeste. Ma mère, qui m’a élevé seule, n’avait pas de voiture et je ne pouvais me rendre à Neerpede qu’en transports en commun. A huit ans, tout seul dans le métro le soir, votre mère voit évidemment ça d’un mauvais £il. J’ai donc loupé pas mal d’entraînements. « 

Andrea est aujourd’hui encore très loin d’avoir le coup de c£ur pour la maison mauve.  » Anderlecht est un club bizarre. Dernièrement, j’ai été voir mon cousin, Geoffrey Mujangi-Bia, jouer avec Charleroi contre les Mauves. Le stade était plein mais il n’y avait aucune ambiance. Les gens me regardaient de travers parce que je parlais un peu trop. Anderlecht est devenu tellement bourgeois. En Angleterre, l’atmosphère est incomparable, que ce soit à Portsmouth ou ailleurs. Même à Waregem où il y a moins de monde, on sent une envie d’y mettre du c£ur.

Et chez les jeunes, y’a rien de très emballant, non plus. Anthony Vanden Borre, Vincent Kompany sont les arbres qui cachent la forêt. Qui d’autres a rejoint l’équipe Première ? Et pourtant des perles, il y en a. Mais les anomalies sont nombreuses. Quand j’assiste à des matches d’équipes de jeunes, où évoluent des gamins du quartier, je suis frappé par la scission entre les fils à papa et les enfants d’origine étrangère. Il y a un vrai clivage. Ensuite, regardez les résultats des équipes des -12, -13 ou -15, ils sont généralement impressionnants. Anderlecht remporte des tournois internationaux devant des grands clubs comme le Barça. Après, par contre, ça coince. La transition entre l’adolescence et l’âge adulte est très mal gérée. Pendant mon année à Portsmouth, j’ai directement compris que je n’étais plus un gosse, que mon but et celui du club étaient que je joue le plus rapidement en Premier League. D’une part, vous percevez un salaire (entre 600 et 700 euros), pas énorme, mais important pour un jeune gars de 17 ans, et vous êtes nourri et blanchi. On vous considère comme un pro et le discours est clair : vous êtes là pour la gagne, rien d’autre. Le développement passe aussi par une prise en charge individuelle. On n’hésite pas à vous intégrer pour plusieurs jours en Première, ce qui m’a permis d’emmagasiner de l’expérience grâce aux conseils de gars comme Nwanko Kanu, Lassana Diarra, Jermaine Defoe. Inversement, vous pouvez disputez plusieurs bons matches en Réserve et y rester quand même. On vous évite d’attraper le boulard. Tout est parfaitement réfléchi même si vous ne vous en rendez pas toujours compte…  »

 » Je me laissais guider par l’ambiance du quartier « 

Le passage à Zulte, après une année seulement à Portsmouth a-t-il été vécu comme un échec ?  » Non. Ça fait partie de la formation anglaise de prêter ses joueurs dans les divisions inférieures vers 18 ans. On évite que vous moisissiez en Réserve. Quoique. Je peux vous dire que le niveau est très bon. Les duels, il faut se les farcir. « 

On l’a bien compris, si Andrea est aujourd’hui à Zulte Waregem, c’est dans le but de faire son trou un jour en Premier League. Mais comment un joueur relégué chez les jeunes à Anderlecht a-t-il été recruté par les Pompey’s ?

 » De 10 à 13, j’ai essentiellement joué dans les parcs. Mon but était de m’amuser, de développer mon bagage technique. Je regardais sur le net les gestes les plus fous et j’essayais de les refaire avec mes amis. Aux alentours de 13 ans, j’ai commencé à multiplier les conneries. Rien de grave mais je me laissais guider par l’ambiance du quartier. C’est mon frère qui m’a bougé. Lui connaissait les bandes. Il n’a jamais fait partie de la grande délinquance mais connaissait leur fonctionnement. Il voulait m’éviter tous ces problèmes. C’est pourquoi, il m’amené vers Seth Nkandu qui était connu pour s’occuper des jeunes du quartier. Avec lui, je me suis entraîné sept jours sur sept, par tous les temps, et gratuitement. Il faut arriver à s’imaginer. Après l’école, je filais pour une à deux heures d’entraînement. Après deux ans, Seth m’a dit de retenter ma chance en club. Pour lui, j’étais enfin prêt. J’ai alors effectué un test à Anderlecht, qui s’est avéré négatif. J’étais pourtant physiquement au-dessus. Mais l’entraîneur souhaitait, paraît-il, garder une cohésion dans son groupe… Soit. Je suis passé au Brussels où j’ai vécu deux saisons fantastiques comme numéro 10. Je faisais partie d’une génération en or qui a tout écrasé en Belgique. Lors d’un tournoi international en Irlande, où nous avons terminé 4e sur 54 équipes, j’ai frappé dans l’£il de plusieurs clubs anglais. Portsmouth s’est montré le plus insistant ; des membres du club se sont même déplacés jusque chez moi. Je sais que je dois énormément à Seth. Il m’aide encore et m’aidera dans mes futurs choix. L’école a par exemple toujours été au centre de ses préoccupations. D’ailleurs, je compte obtenir mon diplôme de secondaires en fin d’année.  »

Pour conclure en mode british : sky’s the limit ?  » Quand Seth m’a repris en main, il m’a dit dès le premier jour qu’il m’amènerait en Ligue des Champions. Moi, je me vois bien un jour à Arsenal. Et croyez-moi quand je vois d’où je viens, c’est pas demain que je vais lâcher l’affaire.

par thomas bricmont – photos: belga

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