LE JOYAU NE BRILLE PLUS

Chassé du onze par un 4-4-2 dans lequel il ressemble trop à Steven Defour, critiqué pour ses prestations dans un costume de n°10 pas vraiment taillé pour lui, Youri Tielemans traverse une période difficile. Des critiques d’adultes sur un visage d’enfant.

Il fallait rester dans les tribunes clairsemées du stade Constant Vanden Stock, à la mi-temps d’un pluvieux Anderlecht-OHL, pour recevoir sa dose de Youri Tielemans. Quinze minutes de style maison pendant que les titulaires écoutent les consignes du coach, un autre quart d’heure d’échauffement le long de la touche, puis un retour sur le banc. Besnik Hasi préfère les muscles de StefanoOkaka aux pieds de Tielemans pour venir à bout des hommes d’Emilio Ferrera. Un choix validé par les trois points, et qui confirme la cruelle tendance du début de saison : quand Youri n’est pas titulaire, le Sporting assure. Dix points sur douze, qui auraient dû se transformer en bilan sans faute si JeanFrançoisGillet n’avait pas sorti le grand jeu et trois penalties le 4 octobre dernier.

La question s’était déjà invitée dans les travées du Parc Astrid l’hiver dernier, mais des play-offs pleins de culot et de frappes à distance téléguidées avaient fini par éteindre l’incendie qui couvait. Mais la voilà déjà de retour : et si Anderlecht jouait mieux sans son wonder boy ? Et si Youri n’était pas si fort qu’on le dit depuis plus de deux ans maintenant ?

Le scepticisme est fréquemment de mise au moment d’évoquer le numéro 31 de Saint-Guidon.  » Faut arrêter de parler de lui comme si c’était ZinédineZidane « , entend-on même sur le chemin de la tribune de presse. Si Dennis Praet est déjà parvenu à prouver sur la scène européenne que tous les superlatifs employés par ses formateurs n’étaient pas usurpés, on attend toujours le match de référence de Tielemans sur les pelouses continentales. Avec de plus en plus d’impatience. Car l’immunité de Youri contre la critique a visiblement pris fin en même temps que ses études.

L’ÉQUILIBRE SANS YOURI

Débarrassé des contraintes scolaires, Tielemans devait profiter de cette saison pour s’installer sur le toit du championnat. Le départ a été fulgurant, aussi puissant que cette frappe envoyée dans le plafond du but de LaurentHenkinet pour décrocher les trois premiers points de la saison dans les arrêts de jeu face à Waasland-Beveren. Avec trois buts à la fin des grandes vacances, Youri était propulsé dans un rôle de  » relayeur-frappeur  » qui provoque les comparaisons avec le meilleur Frank Lampard. Parallèle étonnant, car la star des Blues brillait surtout par son flair sans le ballon quand l’ado des Mauves ne parle jamais mieux qu’avec un ballon au bout du pied. Le football naturel de Youri Tielemans est bien plus latin que britannique.

Pourtant, la Lampardisation de Youri Tielemans s’infiltre jusqu’aux phrases distillées par le numéro 31 à l’interview :  » Je dois gagner en volume de jeu, faire davantage de courses sans ballon, me retrouver plus souvent dans le rectangle « , confie-t-il à Sport/Foot Magazine en début de saison. Une progression vers un jeu à l’anglaise qu’il commence à esquisser dans le chaos du losange de Besnik Hasi, où il est le seul à tirer son épingle du jeu sur le plan offensif. Mais malgré la présence conjointe de Tielemans, StevenDefour et LeanderDendoncker, le Sporting ne maîtrise ni la possession, ni la géométrie nécessaire pour équilibrer le losange. Le système était idéal pour faire grandir Youri entre les lignes tout en lui permettant d’élaborer sa gestion du rythme du match en possession du ballon, mais le onze mauve n’a jamais digéré les implications défensives du module.

Si le passage au 4-4-2 à plat éclaircira le ciel bruxellois, il fait resurgir un problème déjà constaté la saison dernière : Steven Defour et Youri Tielemans ne parviennent pas à jouer ensemble. Les deux hommes sont trop semblables pour être naturellement complémentaires, et aucun n’est prêt à se sacrifier pour magnifier le football de l’autre. Le Tielemans du dernier titre avait eu CheikhouKouyaté, le Defour actuel a Dendoncker. Un lieutenant qui avale les kilomètres pour installer son équipier dans les meilleures dispositions afin de dessiner le football mauve.

Aux côtés de l’indispensable Dendoncker, Hasi choisit donc le métier et le leadership de Defour. Le 4-4-2 fait ses preuves contre Saint-Trond, puis régale sur la pelouse de Zulte Waregem. Après des semaines de balbutiements, Besnik Hasi semble enfin avoir trouvé son système. Avec Tielemans sur le banc.

NUMÉRO 10 PAR DÉFAUT

Mais au Parc Astrid, l’équilibre du terrain n’est qu’un paramètre vers la plénitude. Tout comme Carlo Ancelotti avait dû stabiliser son Real Madrid en installant ToniKroos et JamesRodriguez dans un onze déjà plus offensif que la moyenne, Hasi doit résoudre l’équation qui mêle l’équilibre tactique, les joueurs talentueux (ou très chers) et la victoire. Ce 4-4-2 ne suffit donc pas, parce qu’il manque de Youri. Le Sporting ne peut pas se permettre de briller sans le plus étincelant de ses joyaux.

Alors, Hasi bricole un 4-3-3 modulable en 4-4-2. Avec Ezekiel qui joue les funambules entre l’attaque et le flanc droit, et Youri Tielemans en numéro 10. Trop haut.  » Il est sans doute plus à l’aise quand il est plus bas sur le terrain que quand il se retrouve trop souvent devant le ballon et dos au but « , explique Jean-François Remy, l’entraîneur-adjoint des Diablotins.  » Ce n’est pas une question de vitesse d’exécution, comme on l’entend souvent. Parce que la vitesse d’exécution est une qualité mentale. C’est le fait de voir les choses avant les autres pour pouvoir les exécuter plus rapidement. Et ça, peu de joueurs sont capables de le faire aussi bien que Youri.  »

Le problème de Tielemans ne vient pas de la lenteur de ses pupilles, mais plutôt de son absence d’yeux dans le dos. Sans oublier que plus il est près du but, moins il peut faire parler ce jeu long qui, offensivement, est l’une de ses armes principales. À Sclessin, placé aux côtés d’Okaka en penchant légèrement vers la gauche, il n’a jamais pu trouver son football pour exister, perdu entre les fautes professionnelles de RéginalGoreux et les interventions musclées de SambouYatabaré. Pendant ce temps, Defour profitait des espaces offerts par le Standard autour du rond central pour multiplier les balles dans le dos de la défense. Mais Youri, roi national du coup de poignard dans le dos de l’adversaire, n’aurait-il pas fait mieux que Steven dans ce rôle ?

En numéro 10, Youri Tielemans semble égaré. Sa prestation à Monaco a oscillé entre l’anonymat et les contrôles ratés. Le lendemain matin, ce positionnement contre-nature allait jusqu’à alimenter les conversations au petit-déjeuner du staff d’un des plus grands rivaux du Sporting. L’an dernier, déjà, Pär Zetterberg nous confiait que  » pour jouer aussi haut sur le terrain, il manque un peu de mobilité et de vivacité. Je ne le trouve pas assez explosif sur les premiers mètres. Et il ne va pas dribbler deux ou trois adversaires sur un tout petit espace. Tielemans ne sait pas pivoter sur une pièce d’un franc. Il lui faut plus d’espace. J’estime qu’il doit jouer un peu plus bas, parce qu’il aime bien avoir beaucoup d’emprise sur le jeu, parce qu’il veut toucher le ballon tout le temps.  »

 » Sa position très haute, trop haute sur le terrain, l’amène à évoluer contre-nature « , souligne Alex Teklak.  » Le sens de l’infiltration et la prise des intervalles ne font pas, à l’heure actuelle, partie de ses atouts, au contraire de ses formidables qualités de passing qu’il exprime surtout lorsqu’il se situe en dessous du ballon, dans une position moins exposée au pressing.  »

Le problème de Youri, c’est qu’un peu plus bas, il y a un certain Steven Defour. Et que la zone occupée par le numéro 16 ressemble à une propriété privée. La mise en vitrine conjointe des qualités des deux maîtres à jouer du Sporting semble irréalisable. Les alentours du rond central sont trop exigus pour les deux hommes, et le match se joue avec un seul ballon.

UN ADO JUGÉ COMME UN TAULIER

Besnik Hasi semble donc installé devant un étrange dilemme. Soit Tielemans joue à un poste loin d’être taillé pour lui, soit il ne joue pas. Le coach albanais, dont les relations avec le teenager sont parfois difficiles, choisit le plus souvent de le faire jouer vaille que vaille. Un mal pour un bien car si la position n’est pas idéale, elle permet à Youri de poursuivre sa post-formation dans une situation d’inconfort. Et la plupart des formateurs vous affirmeront que les situations inconfortables sont celles où on progresse le plus.

Surtout, les suiveurs ont tendance à oublier que Youri Tielemans est encore dans cette fameuse phase de post-formation. Celle où il est sain de faire des erreurs pour apprendre.  » Le schéma de la progression de Youri est assez classique et logique, il n’a rien d’étonnant « , reprend Jean-François Remy.  » Avec ce style de joueur très précoce, on commence toujours par une phase d’étonnement et d’admiration, avant de voir naître des attentes – et la pression qui les accompagne – dans les médias et dans l’opinion publique. Alors, quand ils traversent une période difficile, ces joueurs sont immédiatement remis en question de manière démesurée. Souvenez-vous du passage de VincentKompany à Hambourg. Selon moi, ce n’est pas vraiment Tielemans qui a changé ces derniers mois, mais plutôt le regard que les gens portent sur lui.  »

Il y a effectivement deux façons de juger les prestations de Youri Tielemans : celle qui considère qu’il a déjà joué cent matches sous le maillot anderlechtois depuis l’été 2013 et sa première apparition officielle face à Lokeren, et celle qui rappelle qu’il est né en 1997. Au même âge, même un certain LionelMessi ne comptait pas autant de matches disputés en équipe fanion.  » Aujourd’hui, on en est venu à oublier le fait qu’il n’a que dix-huit ans « , tient à rappeler Jean-François Remy.  » Mais je ne m’inquiète pas pour lui. Il grandira encore, parce qu’il a beaucoup de personnalité et qu’il sait où il veut arriver.  »

Il ne reste plus aux amoureux de Tielemans qu’à prendre leur mal en patience, en attendant le moment où le Sporting se décidera enfin à se mettre sur son 31.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

Le dilemme de Besnik Hasi : soit Tielemans joue à un poste loin d’être taillé pour lui, soit il ne joue pas.

Le problème de Youri, c’est que la zone occupée par Steven Defour ressemble à une propriété privée.

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