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Le jour où Dieu a dérapé

Maradona a multiplié les exploits et les excès pendant son long séjour à Naples. Évocation.

Près de 70.000 fans ont envahi un stade San Paolo baigné de soleil ce 5 juin 1984 pour assister à la présentation d’un génie que le petit Napoli est allé arracher au grand Barça. Le petit homme sort du tunnel des vestiaires, un ballon à la main, et salue la foule avec enthousiasme. On a l’impression que Dieu est descendu sur Naples.

Avec le temps, on va comprendre. Comprendre que le joueur de classe mondiale, celui qui n’a pas d’égal sur un terrain, ne peut rien contre les dérives de la poudre. Blanche. La cocaïne l’a pris en grippe. Son amour immodéré du ballon rond, l’amour dingue que les Napolitains lui portent ne changeront rien à l’affaire.

Naples aussi se transforme en une sorte de prison, il n’a plus aucune liberté. Ni lui ni sa famille. Pendant sept saisons, Diego Maradona va symboliser le peuple napolitain. À lui seul, il va combler le fossé séparant le sud du nord. Grâce à lui, Naples va devenir la capitale mondiale du foot. Mais El Pibe va sombrer.

Rendez-vous amoureux en terrasse

La Via Scipione Capece est installée sur une colline, Posillipo. C’est le lieu de vie des Napolitains qui ont les moyens. Un quartier élégant, des rues pittoresques, et au sommet, un des plus beaux panoramas que l’on puisse imaginer: la baie de Naples, avec d’un côté le Vésuve, et tout devant, Capri. Pendant sept ans, cette rue va être une des plus fréquentées par les gens de la ville et les touristes. La Casa Maradona, la maison de Diego, va devenir un lieu de pélerinage. On y passe en fixant la terrasse au deuxième étage, et surtout en espérant apercevoir Dieu.

C’est sur cette fameuse terrasse que les paparazzi braquent leurs zooms quand Maradona s’offre des rendez-vous amoureux avec Heather Parisi, une actrice et présentatrice TV italienne, née aux États-Unis. L’étincelle est née quand, pour les besoins d’un programme télévisé tout public, Fantastico, la présentatrice a fait un duplex avec l’hôtel où l’équipe de Naples était en mise au vert avant un match contre la Juventus. Maradona est clairement tombé sous le charme de la jeune femme et l’a appelée trois jours plus tard. Le début d’une romance qui allait durer jusqu’à la veille de la Coupe du monde 1986. Claudia Villafane, sa fiancée, a découvert les fameux clichés dans la presse à scandales quand elle est rentrée d’Argentine. Il se passait quelque chose entre Diego et Heather. À lui de gérer l’affaire avec sa moitié!

Trouver de la coke? Trouver des filles? Un jeu d’enfant pour Maradona.

En 1987, le tout premier titre de champion pour Naples plonge la population dans une transe indescriptible. Mais entre-temps, les écarts de conduite de Maradona sont de plus en plus incontrôlés. Les doses de coke qu’il s’enfile sont de plus en plus importantes et son addiction a clairement une influence sur son comportement.

Il passe des nuits en boîte, protégé par des gars de son clan. Parmi eux, on retrouve Gabriel Esposito, marié à la soeur de Diego, Maria. Diego le déteste parce que c’est un délinquant, mais il lui pardonne tout parce qu’il est fou de ses enfants, Jonathan et Jorge. Le clan explose quand Jorge Cyterszpiler, l’homme qui a bouclé le transfert de Barcelone à Naples (et qui finira par se suicider), est viré. Guillermo Coppola, qui prend sa place comme agent de Maradona, tente de mettre de l’ordre dans la baraque. Mais il ne connaît pas Naples et ne sait pas que ça ne sert à rien de se fâcher. Il essaie de protéger le joueur des influences néfastes, mais ça ne fonctionne absolument pas.

Entouré par les photographes le jour de son arrivée au San Paolo de Naples.
Entouré par les photographes le jour de son arrivée au San Paolo de Naples.© belgaimage

Tout le monde ferme les yeux

Diego Maradona connaît bien Forcella, le quartier où règne le clan Giuliano. Une famille puissante, bien décidée à appliquer ses propres règles dans cet épicentre de la consommation de drogue, où la contrebande de cigarettes a aussi son QG. Toute l’Italie découvre avec stupéfaction les photos de Diego avec Carmine Giuliano, le grand saint du clan, entre-temps repenti. Pour le joueur, trouver de la coke est un jeu d’enfant. Idem quand il s’agit de dénicher une fille pour passer un peu de bon temps au lit. Des jeunes filles, des transgenres, des dames chics: elles sont nombreuses à être prêtes à tout pour quelques moments intimes avec le demi-dieu…

Ses équipiers savent comment il vit. Son président, Corrado Ferlaino, qui a dépensé près de huit millions d’euros pour l’acheter à Barcelone en 1984, sait tout, lui aussi. Comme ses entraîneurs, Ottavio Bianchi puis Alberto Bigon. Ils ferment les yeux, sûrs que ça permettra de prolonger la belle histoire dont ils tirent aussi profit.

Un beau jour, une Napolitaine de 22 ans, Cristina Sinagra, annonce en direct à la télé qu’elle a accouché d’un fils de Diego Maradona. Elle l’a appelé Diego Junior. Il nie. Jusqu’au verdict de la justice, qui l’oblige à reconnaître cet enfant.

De plus en plus, Maradona est étouffé par la passion des Napolitains. Chaque fois qu’il est repéré dans sa Mercedes noire, une incroyable foule se rue sur lui. Des milliers de fous furieux veulent le toucher et l’obligent à trouver des détours. Le jour où un morceau de marbre est balancé sur sa voiture et brise une vitre, il prend peur. Il commence à envisager un départ de cet environnement devenu invivable.

« Dites aux Napolitains que je les ai aimés »

Le 1er mai 1988, Naples, leader, est battu par l’AC Milan. Il reste deux journées et les Rossoneri passent en tête. La ville devient folle. La Camorra a-t-elle influencé le résultat de ce match, comme tout le monde le pense? Histoire de ne pas devoir distribuer trop d’argent à tous les parieurs qui, sur le marché noir, ont misé sur une victoire du Napoli? Plus tard, une enquête judiciaire conclura que ce n’était pas le cas. La rue où habite Maradona est envahie par des photographes et des journalistes, tous à la recherche d’une image du joueur ou d’un scoop. Entre-temps, tout le monde sait qu’il s’offre du bon temps avec des prostituées et des transgenres, et qu’il sniffe de la cocaïne.

Sur le terrain, il continue à assumer. Et offre un nouveau cadeau à la ville, un deuxième titre national en 1990, un an après lui avoir délivré la Coupe de l’UEFA. En avril 1991, en pleine nuit, il s’enfuit de sa cage dorée. Une Renault noire l’emmène à l’aéroport de Rome, où il prend un avion pour Buenos Aires. À nouveau, la presse est là, en nombre. De sa voix cassée par l’abus d’alcool, il lance un dernier message: « Dites aux Napolitains que je les ai aimés. »

Le jour où Dieu a dérapé
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