Le IVe Argentin

Excédentaire en début de saison, l’attaquant turc fait aujourd’hui figure d’incontournable.

Il y a trois mois, plus personne ne voulait de Serhat Akin. Ni le FC Cologne, où il avait été prêté sans succès lors du mercato de janvier 2007, ni tout autre candidat/acheteur, effrayé par les 2,5 millions d’euros réclamés en échange d’un footballeur souvent blessé. Anderlecht, à qui l’attaquant turc devait encore une année de contrat, n’était pas chaud non plus. A choisir parmi les réservistes de luxe, le club bruxellois préférait de loin garder Mbo Mpenza, professionnel jusqu’au bout des ongles et champion des bons sentiments, plutôt que l’ex-joueur de Fenerbahce, allergique au dug out.

Interdit de séjour dans le noyau A au Parc Astrid, en juillet, et appelé à s’entraîner avec les éléments surnuméraires, le Taurillon du Bosphore a été repêché fin août en raison des problèmes de finition des Mauves. Un véritable coup dans le mille car, Akin a démontré qu’il n’avait absolument rien perdu de ses qualités de finisseur. Et si le Sporting est toujours en lice, actuellement, en Coupe de l’UEFA, c’est grâce à son but de qualification au Rapid Vienne… après avoir trouvé l’ouverture face à ces mêmes Autrichiens lors du match aller.

Vous revenez de très loin, non ?

Serhat Akin : Mes débuts ici il y a deux ans s’étaient déroulés comme dans un rêve. J’avais d’emblée trouvé mes marques comme valeur sûre et cette première campagne s’était soldée par un sacre à l’occasion de l’ultime journée de compétition face à Zulte Waregem. Ce match mémorable, qui coïncidait avec les adieux de Pär Zetterberg, aura hélas signifié le début de mes ennuis. Durant la rencontre, j’avais ressenti des élancements dans le bas-ventre. Mes muscles étaient tout à fait en compote et une intervention chirurgicale s’imposait. Après avoir consulté une demi-douzaine de spécialistes, j’ai finalement été opéré à Varsovie. C’était le seul praticien qui m’assurait encore un avenir footballistique au plus haut niveau. En principe, au terme de trois mois de revalidation, j’allais pouvoir prendre appui sur mes membres inférieurs. Mais cinq semaines plus tard à peine, j’étais déjà déclaré bon pour le service !

Entre-temps, vous aviez perdu votre place de titulaire.

Nicolas Frutos marchait du tonnerre, Mbark Boussoufa et Mémé Tchité s’étaient adaptés aussi. Sans compter qu’Ahmed Hassan trouvait ses marques également. Je faisais partie des excédentaires. J’avais envie de jouer et je devais le plus souvent me contenter de bribes de matches. Régulièrement, je poussais la porte du bureau du manager général, Herman Van Holsbeeck, pour exprimer mon mécontentement. Mais il renvoyait toujours la balle au coach. Frankie Vercauteren me répliquait alors qu’il sélectionnait ceux qui, à ses yeux, étaient les meilleurs et que je devais continuer à bosser pour entrer dans ses grâces. J’avais beau re-doubler d’ardeur aux entraînements, rien n’y faisait. A la longue, j’en ai eu assez et j’ai demandé à être prêté. Le FC Cologne s’est manifesté et j’ai d’autant plus aisément accédé à sa requête que j’avais l’occasion de retrouver là-bas l’entraîneur Christoph Daum, qui m’avait dirigé à Fenerbahçe. Mon entrée en matière avait été prometteuse avec un but lors de mon premier match. Mais mon compteur allait en rester là car, en raison de bobos divers, je n’ai disputé que sept rencontres. Dans ces conditions, il était normal que je n’intéresse personne.

Ingérable

A votre retour au RSCA, vous avez été estampillé persona non grata. Un choc ?

Non, je comprenais l’attitude de la direction. Je ne m’étais guère montré commode avant mon départ et je recevais la monnaie de ma pièce. Avec le recul, je mesure que j’ai été franchement ingérable pendant toutes ces semaines où je faisais banquette. Je n’aurais pas aimé être à la place du coach à ce moment-là. Ses premiers cheveux gris, c’est à moi qu’il les doit. Et je n’étais jamais qu’un des 30 gars du groupe. Si les autres avaient été d’aussi mauvaise composition que moi, il serait tout blanc aujourd’hui ( il rit). Mon indisponibilité et les vicissitudes que j’ai connues m’ont mûri et je porte un autre regard sur le métier de coach. Je me souviens qu’un jour, alors que je réclamais une nouvelle fois des comptes à Vercauteren, celui-ci nous avait tous placés autour du périmètre du rond central. Regardez bien vos voisins car ils ne joueront pas ce week-end, avait-il alors dit en substance. A priori, je plaignais ceux qui se trouvaient à mes côtés avant de réaliser que j’étais moi-même à la gauche et à la droite de quelqu’un. Cette scène m’a fait comprendre que coucher sur papier un onze de base n’était pas chose aisée. J’en ai voulu à mort à Vercauteren, mais c’est un gars bien. Il a d’ailleurs eu envers moi un geste que je n’oublierai pas de sitôt.

En vous repêchant ?

Non seulement mais aussi en me permettant de m’échauffer à domicile contre mes anciens potes de Fenerbahçe alors qu’il était acquis que je ne disputerais pas cette rencontre. Je venais tout juste de reprendre le collier et je n’entrais nullement en ligne de compte. Il n’empêche que cet épisode a eu pour effet de me booster. Je me suis vraiment senti pousser des ailes et sans doute faut-il trouver là l’explication de mon retour tonitruant, d’abord au Racing Genk puis contre le Rapid Vienne. Ces buts m’ont fait un bien fou et j’ai le sentiment d’être reparti du bon pied. A mes yeux, le meilleur est encore à venir car, en matière d’automatismes, il nous reste une belle marge de progression. Même si je n’ai pas à me plaindre de mes premiers pas au côté de Jan Polak par exemple. Pour avoir joué en Allemagne et suivi de très près la Bundesliga, je me suis fait d’emblée la réflexion qu’Anderlecht avait réalisé un bon coup en l’embrigadant. Car l’âme du FC Nuremberg, c’était lui. Depuis, je me suis régalé de ses caviars, tant en championnat qu’en coupe d’Europe. Et ce n’est qu’un début. La preuve par notre dernier match en déplacement, à Roulers, où il marque le but qui nous permet de recoller au score avant d’être à l’origine du penalty, synonyme de nul. Il constitue une aubaine. Mais j’attends autant de ma collaboration avec Frutos. Nous sommes faits pour nous entendre. Les anciens, comme Bart Goor et Filip De Wilde, nous comparent d’ailleurs au tandem formé Jan Koller-Tomasz Radzinski. C’est prometteur. En attendant, nous nous sommes déjà trouvés en dehors des terrains.

Les leçons de Fenerbahçe

Il vous a même surnommé le quatrième Argentin.

Oui, et ça m’a fait réellement chaud au c£ur. Le 20 août, pour la première fois, j’ai pu à nouveau m’entraîner avec le groupe. Quand ils m’ont vu sur le terrain, Lucas Biglia ainsi que les deux Nicolas, Frutos et Pareja, ont couru spontanément vers moi avant que d’autres, comme Walter Baseggio et Roland Juhasz, ne les imitent. Allez savoir pourquoi mais il y a toujours eu des affinités avec les Argentins du noyau, même si je m’entends bien, en règle générale, avec tout le monde au Sporting. A l’époque déjà où je jouais à Fenerbahçe, il y avait une complicité entre les Sud Américains et moi. Et plus particulièrement avec l’Argentin Ariel Ortega et le Brésilien Stecanelo Washington. Nous avons tous du tempérament et ceci explique peut-être cela.

Que vous a inspiré la double confrontation européenne avec vos anciennes couleurs ?

Un goût de trop peu. Fenerbahçe, c’est toujours tout ou rien. Tantôt, l’équipe peut prendre la mesure des meilleurs, comme elle l’a démontré contre l’Inter Milan, tantôt elle va perdre stupidement des points contre un des mal lotis du championnat de Turquie. Cela s’est vérifié face à nous. A l’aller, mes anciens coéquipiers étaient vulnérables. Regrettable que le Sporting n’ait pas cru davantage en ses chances là-bas car le coup était jouable. Lors du retour, par contre, les Stambouliotes étaient impériaux. Il y avait une grosse pression sur eux ainsi que sur le coach, Zico, et dans ces circonstances, ils sont toujours redoutables.

Comme Anderlecht ?

A cette nuance près que, d’un pays à l’autre, la pression n’est nullement comparable. Ici, on s’est quelque peu émus après un 3 sur 12. En Turquie, lorsque le score est encore vierge à la mi-temps, à domicile, le président descend automatiquement aux vestiaires et bonjour les dégâts. Si rien ne change, vous pouvez être sûr d’être pris à partie par le public sitôt la rencontre terminée, et gare à votre véhicule car vous ne vous en tirez jamais sans casse. De ce point de vue, on est nettement plus verni en Belgique. C’est sans doute pourquoi les Argentins par exemple, sont heureux de pouvoir mener une vie normale ici. Le seul qui fait exception à la règle, c’est Hassan. Il était habitué au chaos au Caire et à Istanbul et, de temps en temps, cette effervescence lui manque ( il rit).

Demain, cette atmosphère enfiévrée sera de retour avec la visite d’Hapoel Tel-Aviv. Que peut-on attendre d’Anderlecht ?

La Coupe de l’UEFA est particulière avec des matches aller sans retour et vice-versa. Il faut aller de l’avant lors des matches à domicile, avec l’espoir d’engranger les trois points, et espérer l’une ou l’autre unité en déplacement. Avec deux victoires sur nos terres et un partage à l’extérieur, nous serions automatiquement assurés de passer l’hiver au chaud. Il faut battre les Israéliens. Tottenham, chez nous, ce sera une autre paire de manches. Les Anglais sont favoris dans notre poule, au même titre que Getafe. Mais ils sont aussi mal lotis en championnat que les Espagnols… Ils méritent le respect mais ne doivent pas nous inspirer de la peur.

Le Sporting est le seul rescapé belge à l’échelon européen. Cette situation ne risque-t-elle pas de lui jouer un tour pendable sur le plan domestique ?

Au contraire. Par le passé, c’est vrai que l’équipe a quelquefois gaspillé des points suite à son implication en Ligue des Champions. A force d’accumuler les contre-performances, il nous était difficile de nous ressaisir le week-end venu. Cette fois, nous pouvons résolument espérer faire quelques bonnes performances. Et elles devraient logiquement trouver leur prolongement sur la scène belge.

Après un tiers de championnat, le RSCA accuse déjà un retard substantiel sur le Standard.

A ce stade de la compétition, rien n’est joué, croyez-moi. Avec Fenerbahçe, j’ai un jour comptabilisé 14 points de retard sur Besiktas. Ce qui ne nous a pas empêchés d’être champions avec 8 longueurs d’avance. Fenerbahçe n’est jamais aussi redoutable que lorsqu’il est poussé dans ses derniers retranchements. Et comme vous l’avez dit vous-même, Anderlecht c’est pareil. Le Standard n’a qu’à bien se tenir.

par bruno govers – photos: belga

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