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Le hard reset carolo: un changement de Still en vue pour les Zèbres

En engageant Edward Still, Charleroi a opéré une reconfiguration complète de son système de fonctionnement. Un nouveau départ amorcé à l’ombre d’une préparation discrète, mais où les attentes sont nombreuses. Plongée dans le Charleroi façon start-up nation.

Deux parasols géants pour couvrir la terrasse, mais autant d’hectolitres d’eau en une semaine que sur deux mois d’été normaux. Le bruit sourd d’un drone qui irrite l’oreille et les consignes en franglais d’un coach hyperactif. Bienvenue à Garderen, Pays-Bas. Transformés en laboratoire géant à ciel ouvert par Edward Still, les trois terrains du V.V Veluwse Boys, club actif en séries amateurs néerlandaises, sont les premiers à essuyer les plâtres du Charleroi 2.0 version 3-5-2.

Aux mises en place succèdent les exercices. Les coups de sifflet surtout, et les captures d’écran imaginaires qui vont avec. De loin, ça ressemblerait presque à une partie d’ « 1-2-3 soleil! ». Ou quand, une fois mis sur pause, le meneur de jeu se met à épier la moindre faute de mouvement. Edward Still, lui, replace, ajuste et pique parfois.  » Reda ( Akbib, ndlr) ne cherche pas, c’est pour ça que tu ne joues pas! », tance le nouveau coach carolo à l’encontre de son défenseur, après une faute évitable aux vingt mètres. La soufflante de début de stage raconte un coach exigeant et obsédé par le respect de ses consignes.

C’est très dur, mais je kiffe parce que c’est réfléchi. On sent qu’il a travaillé en amont, que tout est minutieusement préparé. » Joris Kayembe

« Chaque chose est vraiment importante pour lui », détaille au calme un Gaëtan Hendrickx revenu des abîmes de l’oubli sous Karim Belhocine. « Cette fois-là, c’était pour la pomme de Reda, mais ça aurait pu tomber sur un autre. Le fait est que dès qu’il y a un relâchement, dès qu’il y a une passe ratée, il nous tombe dessus. C’est sa manière de coacher. Ça vient du fait que je crois que ça le rend fou de voir un joueur se relâcher, alors que lui ne connaît jamais un moment d’égarement. C’est un passionné. Et c’est à travers son coaching et ces coups de sang-là qu’on s’en rend compte. »

CRI DU COEUR ET TÊTE DE TURC

Ordonné et méticuleux jusqu’à choisir, dit-on, les victimes expiatoires de ses accès de colère pour faire grandir son groupe, Edward Still est avant tout un coach de principes. Capable de taper frénétiquement sur le même clou pendant six semaines pour faire rentrer ses idées au forceps dans la tête de ceux à qui il reviendra de les mettre en musique. Ceux-là sont censés avoir compris que le football d’anticipation ressemble au b.a.-ba de la méthode Still. « Les duels, c’est fini les gars! », coupe d’ailleurs le T1 carolo régulièrement. « Ça ( il agite alors les bras en tous sens, ndlr), c’était il y a quinze ans. Compris? » Ce qui fera le malheur des photographes qui se servent régulièrement de ces duels un contre un pour capturer plus aisément l’instant, doit à terme s’inscrire dans ce football du futur prôné par Still.

Le Molenbeekois Corenthyn Lavie au duel avec Dorian Dessoleil lors de l'amical du 14 juillet dernier à Garderen (2-2).
Le Molenbeekois Corenthyn Lavie au duel avec Dorian Dessoleil lors de l’amical du 14 juillet dernier à Garderen (2-2).© BELGAIMAGE

Le paradoxe d’un coach qui conjugue son souhait de développer le football de demain avec une vision nostalgique de ses souvenirs d’enfance. Ceux dans lequel le West Ham des années 90 d’ Harry Redknapp évoluait avec des numéros allant de un à onze. Sans les fioritures et les excès actuels de joueurs qui préfèrent rendre hommage à un département que de valider le désir d’un coach qui rêve de débuter la saison avec l’élégance des chiffres comme atout. « Ça peut faire sourire, mais c’est réellement un de ses combats », décrypte Pierre-Yves Hendrickx, directeur administratif du Sporting. « Il nous parle en tout cas de ça depuis des semaines. Je crois que pour lui, c’est vraiment important. » Une histoire de symboles à honorer que la postérité refusera de toute façon de matérialiser totalement, vu que le numéro 11 de Dante Brogno a définitivement été rangé au placard à Charleroi.

Reste que, souvent caricaturés en équipe de combat ces dernières années sous Felice Mazzù ou Karim Belhocine, les Zèbres s’apprêtent dans tous les cas à rentrer dans une nouvelle ère. Décrit par une majorité de son vestiaire comme un « architecte du jeu », par une majorité des observateurs alentours comme un  » geek« , Edward Still transmet surtout pour ses débuts sur un banc l’image d’un coach dont l’emprise va bien plus loin que le tableau noir. « Disons que maintenant, on sait qu’après un petit dej’, il y a la séance qui va suivre et qu’il vaut mieux ne pas trop manger si t’as pas envie de te vomir dessus », s’amuse un joueur du noyau carolo.

POUR VIVRE HEUREUX VIVONS CACHÉS

Ceux qui ont connu les années Mazzù n’en reviennent alors pas. Aux stages ouverts au public et aux buffets gargantuesques servis lors des escapades hivernales en Turquie des hivers 2014 ou 2015 ont succédé des repas calibrés au gramme près par des nutritionnistes arrivés il y a déjà plusieurs saisons, mais dont le rôle n’a jamais semblé aussi déterminant. « Sincèrement, heureusement qu’Edward n’est pas arrivé à l’époque », s’amuse Mehdi Bayat. « Il aurait ouvert de grands yeux. »

Dans ce Charleroi nouvelle mouture, il est plus difficile d’accéder aux confidences d’un staff que d’échanger avec son administrateur délégué. Élevé à l’école du secret sous Ivan Leko, et fort des leçons tirées de l’écolage fraternel de Will Still avec le toujours accessible Yannick Ferrera, Edward a décidé de contrôler de bout en bout la communication faite autour de la préparation carolo.

Comme si à l’approche du début de saison, le nouveau capitaine du navire sambrien préférait naviguer loin des regards. Anxieux pour les uns, control freak pour les autres, Edward Still sait surtout trop bien lire dans les cartes adverses pour accepter de dévoiler les siennes. « Il n’est pas parano, mais il avance caché parce qu’il pense sans doute que tout le monde est comme lui, capable de passer des heures à lire et écouter des choses sur les autres équipes dans l’espoir de capter un détail susceptible de changer le cours d’un match », détaille une vieille connaissance. Tellement à l’aise dans son costume de chroniqueur dans une autre vie sur le service public, Edward Still est un communiquant trop avisé pour se laisser surprendre au petit jeu de la connivence.

Maintenant, on sait qu’après un petit dej’, il y a la séance qui va suivre et qu’il vaut mieux ne pas trop manger si t’as pas envie de te vomir dessus. » Un joueur du noyau carolo

FC START UP

Dans sa recherche de perfection, l’homme avait aussi pointé les installations néerlandaises du V.V Veluwse Boys comme un point de chute idéal. C’est ici déjà qu’il s’était rendu au cours de l’été 2017 pour son premier stage estival aux côtés d’Ivan Leko avec le FC Bruges. Quatre ans plus tard, son coup de coeur de l’époque aura su convaincre Mehdi Bayat de rompre avec les habitudes maison, qui obligent normalement de réunir sur un même endroit lieu de résidence et terrains d’entraînement.

Il aura donc fallu attendre l’été 2021 et le Charleroi d’Edward Still pour voir Mehdi Bayat sur un deux-roues sans moteur. Le meilleur moyen de connecter les 1.100 mètres entre le Bilderberg Hotel Residence de Garderen et les installations de son club local étant d’enfourcher la bicyclette, l’ancien président de la Fédération s’est prêté au jeu. L’occasion de voir le boss mouiller le maillot dans un improbable combo chaussures Balenciaga, training zébré et torpédo. Le tout, bien sûr et le plus souvent, avec le téléphone vissé à l’oreille. Le reste est connu et fait désormais partie intégrante du personnage. Tour à tour perché en haut d’un échafaudage ou sur une poubelle en plastique, l’ancien président de l’Union belge a toujours aimé prendre de la hauteur pour scruter le matériel à disposition.

La tête des mauvais jours pour Mehdi Bayat. À moins que ce ne soit là un énième coup de bluff de l'administrateur délégué des Zèbres.
La tête des mauvais jours pour Mehdi Bayat. À moins que ce ne soit là un énième coup de bluff de l’administrateur délégué des Zèbres.© BELGAIMAGE

Surplomber pour mieux régner. Pour mieux disséquer aussi les facéties de son nouveau coach. Et de constater en même temps dans son groupe la révolution en cours. « Je ne crois pas que ce soit spécialement la préparation la plus dure de ma carrière, même si on travaille beaucoup », témoigne Joris Kayembe. « En fait, c’est particulier parce que c’est très dur, mais je kiffe parce que c’est réfléchi. On sent qu’il a travaillé en amont, que tout est minutieusement préparé. Quand on arrive le matin, les trois terrains sont déjà prêts, les cônes sont installés. C’est ce qui donne l’intensité. Et puis, surtout, il explique pourquoi on fait tel exercice. Et pourquoi, si on le fait bien, on sera bons dans ce domaine-là… »

« Il est exigeant et ça dépasse de loin l’aspect tactique », relance Gaëtan Hendrickx. « Pour lui, tout fait partie intégrante de la vie du footballeur. Ça nous change énormément, on sent qu’on est plus analysés, qu’il n’y a plus rien qui est laissé au hasard. Et comme tout est chiffré, on peut se comparer les uns aux autres. Les poids, les datas, etc… On peut voir si on s’améliore. C’est comme une compétition permanente entre nous, mais on s’est pris au jeu. Pour l’instant, j’ai surtout l’impression que ça nous tire tous vers le haut. »

Comme un vieux routeur qu’on ferait redémarrer une dernière fois, Guillaume Gillet dit lui aussi retrouver dans cet esprit de compétition permanent la fraîcheur nécessaire pour accompagner un dernier tour de piste. « Pour moi, c’est un peu comme une mise à jour grandeur nature. À 37 ans, je suis content de vivre ça. De connaître cette intensité dans la préparation. Il n’y a pas de temps mort, tout s’enchaîne, tout est réglé comme du papier à musique. Pour moi, c’est intéressant parce que ça correspond exactement à ce que nous apprend Roberto Martínez pendant nos cours d’entraîneurs à la Fédération. » Et puis, il y a les carottes que le coach met en place. « Ici, à la fin d’un entraînement, on compare nos statistiques, par exemple. En vert, tu as les trois premiers qui ont le plus couru, en rouge ceux qui se sont le moins donnés. Forcément, ça donne une énergie, même si être dans le vert en ayant les pieds carrés ne servirait pas à grand-chose. »

S’adapter au niveau global de son équipe, voilà sans doute l’ultime défi d’un coach habitué ces dernières années à travailler dans l’ombre d’Ivan Leko au sein de noyaux pléthoriques et probablement supérieurs d’un point de vue qualitatif. Pas toujours concluante, la préparation a en tout cas laissé entrevoir les lacunes d’un groupe encore en transition et qui devra maintenant digérer l’importante masse de travail imposée par Still depuis six semaines.

De quoi peut-être faire peur aux supporters carolos, mais pas à la propriétaire du lieu de villégiature zébré. « Les équipes qui viennent ici font normalement une bonne saison dans la foulée », rigole celle qui avait seize ans en 1996 lorsque ses parents ont pour la première fois accueilli une équipe étrangère en préparation. « Le Barça de Bobby Robson! Je m’en souviens très bien. Il y avait Luis Enrique et Gheorghe Popescu notamment. Pour moi, les voir en vrai, c’était énorme, c’était mes héros du Mondial 1994! » Moins connu du grand public à l’époque, un certain Ronaldo foule cet été-là aussi les pelouses du V.V Veluwse Boys, avant de devenir, moins d’un an plus tard, l’homme du doublé Coupe du Roi-Coupe des vainqueurs de Coupes réalisé par le FC Barcelone. « Je souhaite la même réussite au coach de Charleroi qu’à Bobby Robson », achève notre interlocutrice. Et à Chris Bédia la trajectoire de Ronaldo, qui sait?

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