Le Gunner marrant

Replacé au milieu droit par Arsène Wenger, l’ancien défenseur de Beveren reste sur une saison moyenne et promet d’être plus calme l’année prochaine.

2 janvier 2005 : Emmanuel Eboué, le défenseur de Beveren, lie sa destinée à celle d’Arsenal. Les suiveurs du championnat belge ricanent : qu’est-ce qu’un modeste joueur d’à peine 1,78m au physique trop frêle pour la Premier League va faire dans l’une des meilleures formations du monde ? Mai 2006, les critiques ont leur réponse. Eboué dispute la finale de Ligue des Champions contre Barcelone et crève l’écran par ses grandes enjambées, sa fougue et ses dribbles incisifs. En trois ans, l’Ivoirien est devenu l’un des cadres d’ Arsène Wenger.

 » Ne sois pas fragile « 

Flash-back : c’est en septembre 2002 qu’Emmanuel Eboué débarque en compagnie d’autres Ivoiriens ( Marco Né, etc.) à Beveren dans le cadre du projet de collaboration mis en place avec l’Académie d’Abidjan de Jean-Marc Guillou. Grâce à l’apport de ces Ivoiriens, la Beveren Touch devient un label protégé de notre championnat, un jeu fait de passes rapides, de technique en mouvement, de déplacements incessants et de passements de jambes virevoltants. Toutes les équipes redoutent le déplacement au Freethiel et les entraîneurs prennent mille précautions tactiques pour contrer une équipe dont la fantaisie est à la fois la première qualité et le défaut numéro un. Même si les résultats ne suivent pas, le talent individuel de plusieurs Ivoiriens tape dans l’£il des recruteurs.

En mai 2004, Eboué est dans le collimateur de Majorque, Marseille et Lyon. Dans l’ombre, un plus gros poisson suit avec discrétion les progrès de l’arrière droit : Arsène Wenger en personne.

 » Lors du dernier match de la saison, j’ai appris avec stupeur l’intérêt que me vouait Arsenal « , se souvient Eboué.  » Un dirigeant m’a dit : – Wenger est dans les tribunes pour toi ! J’ai sorti une rencontre de tous les diables et, à la fin du match, j’ai croisé le Français au coin du vestiaire. Wenger m’a souri et m’a dit : – Tu vas venir en stage avec moi à Arsenal durant un mois. J’étais heureux comme un gosse. Quelques semaines plus tard, je suis arrivé dans le vestiaire d’Highbury et j’ai posé mon sac à coté de ceux de Thierry Henry, Sol Campbell, Ashley Cole et Ray Parlour. Puis Kolo Tourém’a accueilli. En rejoignant la pelouse, mon compatriote m’a regardé droit dans les yeux : – N’aie pas peur et ne sois pas fragile. On attend de toi que tu mettes le pied et que tu sois solide avec le ballon. Il m’a alors présenté au reste des joueurs. Pendant toute la durée du stage, je ne les ai pas lâchés une seconde : j’ai discuté avec eux, j’ai partagé mes impressions et j’ai posé des dizaines et des dizaines de questions « .

Vient alors la fin du stage. Wenger le prend à part :  » Tu vas retourner à Beveren pendant six mois pour parfaire ton écolage et puis tu reviendras parmi nous « .

Eboué redépose ses valises au Freethiel. Durant une demi-année, il continue à aligner les prestations convaincantes. Le soir, il visionne des matches de Premier League pour décortiquer la manière de jouer à l’anglaise : le placement des joueurs, la manière de négocier les duels,… Entre-temps, peu après son arrivée en Belgique, une seconde rencontre importante s’est produite dans sa vie. Eboué :  » Je me sentais seul à Beveren. Arsène Né sortait avec une fille de Liège et je lui ai dit que je cherchais quelqu’un avec qui me lier. La copine d’Arsène a amené Aurélie, l’une de ses compagnes de classe, à un match de Beveren. Nous avons commencé à nous fréquenter et cela fait aujourd’hui six ans que nous sommes ensemble. Nous avons eu deux filles, qui ont aujourd’hui quatre et deux ans « .

Il frappe Wenger avec un ballon

Janvier 2005 : le temps des retrouvailles est venu. A Arsenal, Eboué trouve un style de jeu pour lequel il a été formé à l’Académie : circulation rapide du ballon pour faire courir et fatiguer l’adversaire, jeu construit et léché,… Mais Arsenal n’est pas Beveren. Les premiers mois sont difficiles. Eboué ne décolle pas du banc. Wenger décide alors de tester son poulain en Coupe.

 » J’ai été titularisé contre Stoke City et j’ai voulu montrer que j’avais ma place dans cette équipe. A la fin du match, Wenger est venu me trouver : – Je n’ai pas eu tort de te prendre. Aujourd’hui, tu as prouvé que tu méritais ton transfert « .

La chance a tourné. Lors de la saison 2005-2006, il effectue quelques piges au premier tour avant de devenir titulaire à l’arrière droit dès janvier 2006, suite à la blessure du Camerounais Lauren. Il dispute 17 matches de championnat et 10 rencontres de Ligue des Champions avec comme point d’orgue la finale contre Barcelone. Le noyau d’Arsenal découvre un Eboué boute-en-train. Un jour, il arrive déguisé en tigre dans le vestiaire et offre la frayeur de leur vie à ses coéquipiers :  » Je me suis aussi travesti en femme. Dans un groupe de joueurs, il faut quelqu’un qui insuffle de la joie et de l’amour. Je ne suis pas du genre à rester triste et seul dans mon coin. Dans le vestiaire, on fait des paris entre coéquipiers, on organise des jeux et des concours de danse « .

Le contraste avec un Wenger posé, rigide et froid est frappant. Mais Eboué réussit l’impossible : le mariage du feu et de l’eau :  » On m’avait dit que Wenger était un coach sévère. J’ai donc parié que j’arriverais à le faire rire. Un jour, nous étions à l’entraînement et j’ai tapé sur lui avec un ballon. Il m’a regardé bizarrement et je lui ai dit que c’était pour m’amuser. – Je n’aime pas plaisanter quand je travaille, m’a-t-il répondu. Peu après, il a mis son bonnet sur la tête. Je suis passé derrière lui et je le lui ai enlevé. Il a été surpris puis il s’est enfin décidé à rire. Les autres avaient peur et n’osaient pas plaisanter avec lui. Quand il travaille, Wenger est dur. On pense qu’il est méchant mais c’est quelqu’un qui est plus compréhensif qu’il ne le paraît « .

 » Le Barça est le frère espagnol d’Arsenal « 

Le 17 mai 2006 est le point d’orgue de la carrière d’Eboué. Ce jour-là, Arsenal affronte Barcelone en finale de la Ligue des Champions. Emmené par Deco, Ronaldinho, Samuel Eto’o et Ludovic Giuly, Barcelone pratique le meilleur football d’Europe et fait figure d’ultra favori. La tâche des Gunners est rapidement compliquée : Jens Lehmann est exclu à la 18e minute. Contre toute attente, SolCampbell offre l’avantage à ses couleurs avant la mi-temps. Mais, en seconde période, Arsenal subit la furia barcelonaise et s’incline finalement 2-1.

Eboué :  » Quand je suis arrivé à Arsenal, j’avais envie d’affronter deux équipes. La première, c’est l’AC Milan. Tout le monde veut jouer contre les Rossoneri. Le club de Carlo Ancelotti a remporté sept fois la Ligue des Champions et tu meurs d’envie de le battre. Si tu y parviens, tu as la satisfaction d’appartenir au top 5 européen. Puis, il y a Barcelone. Le Barça, c’est le frère espagnol d’Arsenal : même style de jeu, même envie de proposer un football séduisant… Tu as donc envie de prouver que tu es meilleur qu’eux « .

Seulement voilà : en mai 2006, Barcelone est au sommet de son art et Arsenal ne présente pas les mêmes atouts.  » Non, je ne suis pas d’accord. Nous avons joué à dix contre une équipe qui faisait trembler le reste du monde. Nous sommes même parvenus à mener 1-0 et nous avons tenté de préserver cet acquis jusqu’à la fin. Mais sans être assez vigilants et en galvaudant un paquet d’occasions  » La page Ligue des Champions referme le livre de la saison 2005-2006, celle où Eboué a trouvé ses marques.

Les journalistes lui reprochent ses absences

Lors de la saison qui suit, il revêt à 24 reprises le maillot d’Arsenal. Reste que la suite du périple d’Eboué en Angleterre est faite de haut et de bas. Au cours de l’exercice 2007-2008, Arsène Wenger doit faire face à des problèmes de sélection et trouve une solution par la polyvalence d’Eboué. Déplacé au milieu droit, l’Ivoirien peste contre ce nouveau positionnement :  » Je n’ai pas presté à un haut niveau. Je n’étais pas bien dans ma tête et j’éprouvais des doutes à l’idée d’évoluer à cet endroit. Aujourd’hui, j’essaie de me convaincre que cela ira mieux dans les mois à venir. Certains observateurs disent que c’est une bonne place pour moi. Or, c’est un rôle où je suis obligé d’être plus statique. Et moi, ce que j’aime, c’est lancer de longues chevauchées balle au pied depuis la défense, surgir comme un diable hors de ma boîte « .

Pendant plusieurs mois, il accepte de se sacrifier pour le bien de l’équipe. Avec Wenger, le ton reste cordial. Mais Eboué manifeste plusieurs fois son mécontentement.  » Le coach m’a dit : – Je te préfère à cet endroit car tu es rapide, tu joues avec culot et tu es capable d’éliminer ton opposant. J’attends de toi que tu marques et que tu aides l’équipe à marquer. C’est le coach et je n’ai rien à dire « .

Malgré la confiance qu’il reçoit, Eboué n’enchante pas et cherche ses marques. Les journalistes lui reprochent son manque d’efficacité et ses absences sur le terrain. Le 16 décembre 2007, contre Chelsea, il blesse John Terry à la suite d’un tacle trop violent. Le coup semble volontaire mais il s’empresse de s’excuser :  » Je perds trop vite la tête, je suis incapable de rester concentré durant 90 minutes. Je ressens tellement l’envie de bien faire que j’ai les nerfs à vif dès que je rate ce que j’entreprends. Une fois que je suis énervé, je passe au travers de mon match. La saison prochaine, je serai plus calme. J’ai aussi manqué de repères par rapport à mon nouveau positionnement sur le terrain. Actuellement, j’accomplis un travail mental pour me préparer psychologiquement à évoluer à nouveau comme milieu droit. Et Wenger a raison : je dois encore perfectionner ma passe et mon sens du but car mon travail devant le rectangle n’est pas terrible « .

Durant le mercato hivernal, il a été cité à Milan et à la Juventus. Mais le deal ne s’est pas fait. Parce qu’il manque de rigueur pour évoluer dans le Calcio ?  » Non. Peu importe le club qui me désire, je sais que je m’y adapterai. Je suis parti de la Côte d’Ivoire et je me suis directement imposé en Belgique. Quand j’ai opté pour la Premier League, on me prédisait les pires difficultés dans un championnat physiquement éprouvant. Pour finir, je suis toujours là, non ? C’est bien beau de dire que Milan ou la Juventus me veulent. Moi, je me sens bien à Arsenal. J’ai montré aux Anglais qu’il n’était pas nécessaire d’aller au bout du monde pour trouver du talent. C’est pareil avec Emile Mpenza : lui et moi faisons la fierté du championnat belge « .

par simon barzyczak – photos: reporters

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