Le Guérillero

Depuis le match à Saint-Trond, le Standard sait qu’il a deux bons gardiens. Maintenant, la question, c’est qui va devoir sauter ?

A la fin de cette semaine, Michel Preud’homme va devoir trancher. Olivier Renard sera rétabli de l’opération à la cuisse décidée en urgence avant le match à Saint-Trond. Retrouvera-t-il la place qu’il occupe depuis plus d’un an dans les buts du Standard ou bien l’Equatorien, Rorys Andres Aragón Espinoza, aura-t-il profité des deux matches de championnat et de la rencontre de Coupe d’Europe qui lui furent offerts pour marquer suffisamment de points et s’imposer ?

Si la question fait mal, la réponse risque d’être plus douloureuse encore pour celui qui restera sur le banc. Espinoza ne s’en cache pas.

Vous avez dû attendre un an et demi avant de recevoir une véritable chance. C’est long ?

Oui, le temps a passé très lentement car j’ai toujours été habitué à jouer beaucoup. Mais je me suis toujours dit que le moment viendrait et j’ai travaillé pour être prêt. Maintenant, je profite au maximum de ce que je vis même si le plus important sera de conserver cette place.

Et si vous devez retourner sur le banc, vous quitterez le Standard au mercato ?

Je serai déçu, c’est évident. Je ne crois cependant pas que partir serait la bonne solution. Je pense qu’il vaut mieux continuer à travailler.

Preud’homme ne devrait pas opter pour l’alternance. Il a connu cela avec Gilbert Bodart il y a vingt ans et n’en garde pas de bons souvenirs.

L’alternance, ce n’est pas une solution intelligente, c’est vrai. Un entraîneur doit prendre ses responsabilités. C’est ce que Michel a fait.

Par contre, pour le poste de deuxième gardien, l’alternance existe puisque c’est soit vous ou Jeremy Devriendt sur le banc. L’entraîneur semble même avoir hésité jusqu’au dernier moment avant de choisir lequel des deux remplacerait Renard. On dit même qu’il a demandé conseil à Luciano D’Onofrio.

Je n’en sais rien. Michel nous a parlé à tous les deux, Jeremy et moi. Il nous a dit qu’il avait confiance en ses trois gardiens et que, s’il ne donnait pas plus rapidement le nom de celui qui allait jouer, c’était pour nous éviter d’être assaillis de coups de fil des journalistes. C’est donc au briefing d’avant match que j’ai appris que son choix s’était porté sur moi.

 » Olivier est un grand gardien « 

L’an dernier, lorsque Renard était critiqué, vous avez disputé un match de Coupe contre Hamme mais vous n’aviez pas convaincu. N’étiez-vous pas prêt ?

Si mais l’entraîneur a décidé qu’Olivier continuerait à jouer et j’ai respecté sa décision parce que c’est un grand gardien.

Le principal reproche émanant de ceux qui vous voyaient à l’entraînement, c’était de ne pas capter les ballons, de tout repousser.

Le plus important, c’est que le ballon ne franchisse pas la ligne. Si on a la possibilité de l’arrêter en deux temps, pourquoi tenter de le capter à tout prix ? Mais nous avons beaucoup travaillé cet aspect des choses avec Jorge Veloso et je peux aussi arrêter le ballon en une fois lorsque c’est nécessaire.

En deux temps, ça fout la frousse à tout le monde.

Au public, peut-être. Mais je peux vous assurer que ça tranquillise l’équipe, ça lui permet de se replacer. Et il y a aussi un risque à vouloir tout capter : celui de voir le ballon glisser comme une savonnette. Surtout que je n’étais pas habitué aux terrains humides, à ces ballons qui viennent beaucoup plus vite.

A Saint-Trond, vous avez impressionné par quelques arrêts très spectaculaires.

Il était important de garder le zéro au marquoir puisque nous ne parvenions pas à marquer. Ce soir-là, j’ai pu montrer qui était Espinoza.

Justement, qui est Espinoza ? Parce qu’il faut bien dire qu’on ne vous connaît guère. Doit-on vous appeler Rorys, Andres ou Aragón ?

Chez moi, on m’appelle Rorys mais c’est très difficile à prononcer pour les Européens. Alors, ici, on dit Andres ou André. Aragón, c’est le nom de mon père. Et Espinoza, celui de ma mère. Je suis né à Esmeralda, en Equateur, une ville qui se situe sur une île avec plage, soleil, tourisme… J’ai deux frères et une s£ur. Mon frère cadet (20 ans) joue en D1 équatorienne. Il est défenseur central. Ma mère nous a élevés seule avec l’aide de mon grand frère car mon père est décédé d’un accident lorsque j’avais 10 ans.

Un accident de voiture ?

Un accident. Je préfère ne pas en dire plus. Il était chef du personnel du conseil provincial d’Esmeralda. Nous avons tous surmonté cette épreuve sauf ma mère, qui ne s’en est vraiment jamais remise. Malgré cela, elle nous a donné une éducation parfaite et c’est pour cela que je porte son nom sur mon maillot. L’un de nous aurait pu prendre le chemin de la délinquance mais elle a toujours veillé à ce que cela n’arrive pas.

Après le décès de votre père, la vie n’a pas dû être facile.

Non. Nous étions tous à l’école mais nous avons dû nous mettre à faire des petits boulots pour gagner un peu d’argent. Avec mon frère, nous allions chercher du riz à la rizière. Lorsque j’ai eu 14 ans, je suis parti pour Guayaquil. J’ai signé un premier contrat à Emelec à l’âge de 17 ans. Un an plus tard, les deux gardiens de l’équipe Première se sont blessés. L’entraîneur, un Brésilien, est venu me chercher contre l’avis de tous. On disait que j’étais trop petit, que je n’avais pas de personnalité. J’ai joué le derby contre Barcelona et nous avons gagné 3-1. C’était en 1999. Depuis, j’ai toujours été titulaire. Ce fut un tournant important dans ma vie. Du jour au lendemain, tout a changé pour ma famille sur le plan économique.

Trop petit ? Il n’était pas le seul à vous le dire.

( Il rit). Non, c’est vrai. A cause de ma taille, j’ai aussi eu beaucoup de mal à convaincre Jessica de m’épouser. Elle est ingénieur agronome. Une de mes tantes était sa marraine. Nous nous sommes rencontrés chez elle. Ce fut le coup de foudre mais j’ai quand même dû lui montrer que j’étais un homme avant qu’elle dise oui. La famille, c’est très important pour moi. Mon deuxième fils est né alors que j’étais en test au Standard. Ce fut un moment très difficile. Je dois me contenter des photos.

En 2004, vous êtes parti au Nacional.

A Emelec, j’avais fait le tour de la question. J’avais été champion à deux reprises, j’avais remporté deux fois le titre de meilleur gardien du pays. Il me fallait un nouveau défi, d’autant que le club vendait tous ses meilleurs joueurs. Au Nacional, j’ai de nouveau été champion alors j’ai demandé qu’on me libère pour tenter ma chance en Europe.

Miss Equateur

Et vous vous êtes retrouvé à l’Inter grâce à… votre s£ur.

Marta a un an de plus que moi. Elle est très belle. Elle a été élue Miss Equateur. Un jour, elle a voulu partir. Comme moi : toute seule. C’est quelque chose que notre père a eu le temps de nous apprendre : il faut toujours vouloir améliorer sa condition, toujours viser le poste le plus élevé. C’est pour cela qu’en arrivant au Standard, j’ai demandé le maillot numéro un. Marta est donc partie en Italie. Tout le monde lui disait qu’elle pourrait toujours revenir au pays en cas d’échec mais moi, j’étais sûr qu’elle ne reviendrait pas. Et en effet, elle a vite signé un contrat avec une agence et elle a commencé à défiler pour de grands couturiers.

Cela ne nous dit pas comment elle est entrée en contact avec les gens de l’Inter.

Ma s£ur joue aussi très bien au football. Elle a rapidement intégré le Beautiful team, qui dispute des matches au profit d’£uvres caritatives. De fil en aiguille, elle est parvenue à parler à Marcos Branca, un des responsables de l’Inter. Et elle lui a remis un DVD de mes prestations.

Mais à l’Inter, vous étiez extracommunautaire et on vous a donc prêté.

On a d’abord parlé de me prêter en Russie mais je n’avais pas de manager. C’est ma s£ur qui m’assistait et moi, je discutais ses contrats de mode. Finalement, par l’intermédiaire de Giovanni Trapattoni, on m’a prêté au Red Bull Salzbourg. J’y suis resté cinq ou six mois mais je n’ai joué que des matches amicaux.

A l’Inter, vous étiez l’ami d’Alvaro Recoba, Ivan Ramiro Córdoba, Adriano… Rien que des stars.

Je connaissais Adriano pour l’avoir affronté au Mondial des -20 ans en Equateur. J’avais déjà joué contre l’Uruguay de Recoba également. Quand j’ai débarqué, je n’étais donc pas un inconnu pour eux. Ils disaient que j’étais le frère de Dida, parce que nous avions la même coiffure, que j’étais un espion à la solde du Milan AC.

Dida, c’est votre idole ?

Oui. C’est un des meilleurs gardiens du monde. Vous voyez : lui aussi, il ne capte pas beaucoup de ballons. C’est la technique sud-américaine. Pourtant ses défenseurs adorent jouer avec lui.

On vous surnommait aussi Pantera, la panthère.

Oui, parce que je jouais en noir, ma couleur préférée. En Equateur, on m’appelait Elgato negro, le chat noir. Je préfère panthère, c’est plus puissant, plus courageux. Quand je sors de mon but, je veux que tout le monde ait peur. Désolé si je blesse quelqu’un mais je défends mon équipe et mon gagne-pain. Je sais aussi que, si je me fais mal, ce sera pour la bonne cause.

On ne vous a jamais reproché d’être trop gros ?

Non. Je suis professionnel et je me sens bien comme ça. Si je dois perdre du poids, c’est mon corps qui me le dit, personne d’autre. Je suis costaud, j’ai une carcasse très forte, je ne peux rien y faire. L’important, c’est la puissance, la vitesse.

Qui a joué le rôle le plus important dans votre carrière jusqu’ici ?

Luciano Castellini, l’entraîneur des gardiens de l’Inter. El Mister. Il m’appelait Arturo, comme son fils. Sans lui, je ne serais pas ici.

Il disait que vous aviez la hargne, le physique et l’instinct. Qu’il ne vous manquait que la technique pour devenir un des meilleurs gardiens d’Europe.

Oui mais cette question de technique, elle est réglée. On y a beaucoup travaillé. Avec lui et avec Jorge Veloso.

Alors, pourquoi n’êtes-vous pas encore un des meilleurs d’Europe ?

Parce que je n’ai pas assez joué. Il me manque de la continuité. Preud’homme dit aussi que je dois être plus concentré mais c’est surtout ma soif de matches qui me trahit parfois encore.

 » Je ne sais pas taire la vérité « 

Vous n’avez jamais vraiment été international non plus. Etonnant pour quelqu’un qui a été élu à deux reprises meilleur gardien du pays.

C’est encore un sujet à part. Je suis sans doute trop franc, je dis les choses en face, qu’elles plaisent ou non. Je n’ai peur de personne. En Equateur, il m’arrivait souvent d’aller secouer un équipier lorsqu’il ne faisait pas son travail. Je dis bien secouer, au sens propre du terme, taper s’il le fallait. Parce qu’en Amérique du Sud, beaucoup de joueurs se contentent de peu. Ce n’est pas le cas en Europe. Je suis un guerrier. Je n’ai jamais mâché mes mots à l’égard du président de la fédération non plus. Je lui ai reproché de ne pas investir dans des centres de formation pour les gamins de la rue. Cela ne lui a pas plu. Dans mon pays, les dirigeants veulent toujours tenir la vedette. Aujourd’hui, les deux gardiens de l’équipe nationale sont deux Argentins naturalisés. J’attends tranquillement qu’ils se plantent. Un jour, on viendra me rechercher.

Vous êtes une sorte de José Luis Chilavert, en somme ?

Comme lui, je ne sais pas taire la vérité. La différence entre Chilavert et tous les autres, dont moi, c’est que lui, il a tout gagné et qu’il a marqué des buts.

Comment va la vie en Equateur ?

Pour le moment, la situation politique est très stable. C’est dû au travail du président Rafael Correa Delgado. Il me fait un peu penser à Fidel Castro : il parle beaucoup mais le peuple le respecte. C’était nécessaire car il y a eu beaucoup de coups d’Etat avant lui. Le peuple était fatigué, ne supportait plus d’être volé par des politiciens. Lorsque nous avions le sucre comme monnaie, au début des années 2000, le président est parti avec l’argent des deux plus grandes banques du pays. Pour faire face à une dette publique de 16 milliards de dollars, le président Mahuad avait fait passer la TVA de 10 à 15 % et le prix du combustible avait augmenté de 174 %, le sucre avait été dévalué, les banques fermées pendant une semaine et les comptes bancaires bloqués. Quelques mois plus tard, le sucre perdait 20 % de sa valeur en une semaine et les prix augmentaient de 35 à 60 % sur le marché de Quito. Des tas de gens ont perdu toutes leurs économies. Il y a eu des suicides, des infarctus. Moi-même, j’ai perdu pas mal d’argent dans l’aventure. Je ne sais pas si j’en reverrai un jour la couleur.

par patrice sintzen – photo: reporters/buissin

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