Le gros nettoyage

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le volcanique président est sûr que le redressement sportif des Loups ne doit rien au hasard.

Le président des Loups a craqué! Nous lui demandions une interview depuis plusieurs mois. Chaque fois, il avait refusé. Poliment mais fermement…

Pourquoi vous êtes-vous muré aussi longtemps dans le silence?

Filippo Gaone: J’ai attendu que la tempête se calme. J’étais sous le choc parce que Jean-Claude Verbist avait lâché ses états d’âme sur la place publique alors que le linge sale doit se laver en famille. Si j’avais répondu sur-le-champ, on aurait oublié encore un peu plus le sport. Les supporters veulent des résultats; ça ne les intéresse pas de voir Gaone et Verbist se battre comme des chiffonniers.

Je n’accepte pas que des gens de mon club déconnent à travers les médias. La Belgique entière a été mise au courant de notre querelle. Ce n’était pas l’idéal. Même si, avec le recul, c’était peut-être mieux comme ça: l’interview sulfureuse de Verbist m’a permis de mettre de l’ordre à La Louvière. Je ne sais pas si je dois remercier votre magazine, mais bon (il rit)

Le conflit n’était pas récent!

Nous étions assis sur une marmite bouillante. J’ai essayé plusieurs fois de régler notre problème entre quatre-z-yeux. Sans succès. Il m’empêchait de faire évoluer le club et d’y faire entrer de nouvelles forces vives. Roland Louf était arrivé pendant l’été, mais Verbist l’avait fait partir. Affreux! A ce moment-là, j’ai compris combien le monde du foot était ingrat. Dans le business, ça ne se passe pas comme ça: les gens ont encore le respect de la hiérarchie. Ici, certains se croient tout permis et ne restent pas à leur place. Ils ne respectent ni la hiérarchie, ni les objectifs, ni les budgets.

« Je ne mets pas mon entreprise en danger pour la RAAL »

Verbist vous reprochait justement votre laxisme dans le budget…

Il inverse les rôles. Dans mes affaires, j’ achète seulement quand j’ai la certitude de pouvoir bien vendre. Verbist m’avait promis de transférer les joueurs dont nous n’avions plus besoin. Je lui ai fait confiance. Et j’ai donc accepté d’acheter plusieurs nouveaux joueurs. On a transféré n’importe qui, n’importe quand. Il n’est donc pas étonnant que nous ne parvenions pas à boucler le budget. Verbist m’a attaqué sur ce point, mais qui sortait l’argent de son portefeuille quand il y avait des trous?

Combien avez-vous déjà injecté dans le club?

C’est le moindre de mes soucis… A chacun sa passion. Mais n’allez pas croire que je mette mon entreprise en danger pour la RAAL. Je reste un homme d’affaires.

Si Charleroi perd 80 millions par saison, comment votre club fait-il pour s’en sortir?

Nous avons pu nous en tirer l’année dernière mais ce ne sera plus possible cette saison. Je ne pourrai plus compter sur des sponsors exceptionnels qui avaient promis un apport supplémentaire en cas de maintien. Et nos recettes spectateurs sont en baisse. Au niveau des rentrées, on touche le fond. Je crains même le pire en fin de saison prochaine, quand de nombreux contrats de sponsoring conclus pour trois ans expireront. Dès cette année, nous devrons rechercher des solutions auprès des banques, signer des plans de remboursement. Par contre, nous serons parfaitement en ordre avec la fédération, la TVA, l’ONSS et l’assurance-groupe. Pas de problème pour la licence, donc. J’espère seulement que la fédération affichera la même sévérité vis-à-vis de tous les clubs. Je trouve bizarre que seul Turnhout n’ait pas obtenu sa licence la saison dernière…

Comment pourrez-vous vous en sortir à plus long terme?

En vendant nos meilleurs joueurs en cours de contrat. Comme tout le monde. Je suis admiratif devant le travail réalisé à Lokeren. J’ai été scié quand on m’a dit ce que gagnent les joueurs de ce club: quatre ou cinq fois moins que chez nous. Le minimum vital. Mais ils gagnent beaucoup de matches et la direction les revend au prix fort. Chapeau!

La Louvière aurait-elle sa place dans un championnat à 14 équipes?

Peut-être pas. Mais, 14 clubs, c’est encore beaucoup trop. Il en faut huit ou dix, mais d’un bon niveau, capables de se battre valablement. Il y a trop de différence entre les cinq meilleurs et les autres. Les spectateurs d’Anderlecht-La Louvière ont vu sept buts, mais un tout petit match. Si je m’ennuye régulièrement au foot, qu’est-ce que ça doit être pour ceux qui payent leur place… Entre les clubs du top et les autres, l’écart est trop grand au niveau purement sportif, sur le plan des installations, de l’arbitrage, etc.

« On nous isole en Wallonie »

Vous êtes convaincu que les arbitres s’acharnent sur La Louvière?

Je ne veux pas être méchant. J’espère seulement qu’un jour, ils seront professionnels. S’ils gagnent assez d’argent, ils pourront être objectifs et faire moins de sentiments vis-à-vis de certains clubs et certains joueurs. On dit que tout s’équilibre en fin de saison? Je constate que ce n’est pas vrai et que les arbitres jouent avec le pognon des clubs et des footballeurs.

Je vois des entourloupes à différents niveaux. Des gens qui nous isolent dans notre petit coin de Wallonie. Des arrangements à gauche et à droite. Des équipes qui offrent des points. Ou carrément des joueurs. Par exemple, Anderlecht a bien aidé Westerlo en lui prêtant Karaca et Thompson. Je ne suis même pas sûr qu’une location soit payée. Anderlecht préfère peut-être Westerlo à certains autres clubs. Dans ces cas-là, on s’entraide…

Plusieurs joueurs de La Louvière sont transfigurés par rapport au début de la saison.

Combien évoluaient à leur niveau lors des premiers matches? La différence, c’est qu’ils sont aujourd’hui tous bien employés. Ils savent de nouveau qui ils sont, ce qu’ils ont à faire et contre qui ils vont jouer. Ils donnent parce qu’ils reçoivent quelque chose de leur entraîneur. Il y a un respect mutuel et une organisation sur le terrain. Ça tourne, ça joue au foot. En début de saison, Daniel Leclercq ne tenait pas compte de leurs qualités et refusait systématiquement de s’intéresser aux adversaires. Un scouting se fait avant le match, pas après…

Comment expliquez-vous qu’il ait changé à ce point durant l’été?

Il y a des choses inexplicables. A la reprise, notre effectif était plus talentueux que la saison dernière. Nous avions offert à Leclercq les joueurs qu’il nous avait demandés. Mais le courant ne passait plus entre l’entraîneur et le noyau. Il faut être humain pour diriger un groupe de footballeurs. Aujourd’hui, nous avons un entraîneur qui considère ses joueurs comme des hommes et prend la peine de leur parler. C’est toute la différence par rapport au début de saison. Je vois un club qui revit et des gens qui travaillent dans le seul intérêt de la RAAL.

En début de championnat, je ne voyais que des larves sur le terrain! Je ne reconnaissais plus mes joueurs. La situation était devenue intenable: j’osais à peine adresser la parole à Leclercq ou à Verbist parce qu’ils prenaient tout très mal. Le malaise était très profond. A tous les niveaux. Quatre hommes formaient un bloc contre le noyau: Leclercq, Verbist, l’entraîneur adjoint et le coach des Réserves.

« Leclercq: un gentleman quand on discute finances »

Quel intérêt avaient-ils à agir comme ça?

(Il soupire). Je n’en sais rien. Je ne comprends plus rien au comportement de Leclercq. Au départ, il ne voulait pas de contrat. Puis, il a signé après le départ de Verbist. Quelques jours plus tard, il a décidé de partir. Il a cru que certains joueurs étaient contre lui. Je n’ai pas ressenti les choses de cette manière et je ne l’aurais jamais accepté. Au bout du compte, je regrette quand même que nous ayons dû nous séparer. Parce que j’ai du respect pour l’homme. La saga Leclercq m’a fait plus mal que la saga Verbist. Je croyais en lui et j’étais persuadé que nous pourrions faire un long bout de chemin ensemble. Je le comparais au meilleur personnel de mon entreprise, à des gens qui sont chez moi depuis 25 ou 30 ans. Nous avons vécu ensemble des grands moments qui sont gravés dans ma mémoire pour la vie. Pour moi, Leclercq, c’était Moïse mais je me demande dans quelle mesure il n’a pas été servi par une baraka incroyable pour nous éviter le retour en D2.

Leclercq dit que vous lui avez finalement demandé de rester.

Il ment! Quelques heures après avoir annoncé son départ aux joueurs, il s’est demandé ce qu’il avait fabriqué. Il ne savait pas que je sauterais sur l’occasion pour mettre fin à notre collaboration. Nous nous sommes finalement séparés de commun accord. Aucune des deux parties n’a dû payer un dédit. Sur ce point-là, Leclercq a été un gentleman. Il n’a pas cherché à profiter financièrement de la situation.

Il dit aussi que son annonce de départ aux joueurs était une façon de provoquer un choc psychologique, que cela avait été organisé avec vous.

Faux! Je ne joue pas à ces petits jeux-là.

Pourquoi lui aviez-vous fait signer son contrat à une période où l’équipe perdait tous ses matches?

J’étais convaincu que le départ de Verbist allait changer la donne. J’avais remarqué que le manager influençait l’entraîneur. Le problème, c’est qu’il a continué à le faire, à distance. Verbist ne souhaitait pas que Leclercq continue chez nous et que tout se passe bien. Ils ont continué à se monter la tête et je n’ai pas pu faire ce que j’espérais: travailler en direct et dans de bonnes conditions avec Leclercq.

Vos joueurs français se plaignent de ne pas avoir eu droit à une bonne discussion après vos critiques à Gand.

J’ai vu Ouédec et Rivenet deux jours plus tard et je leur ai dit: -Faites-moi regretter sur le terrain ce que j’ai déclaré à la TV. Ils mentent s’ils disent que nous n’en avons pas parlé.

Vous regrettez surtout que l’image du club ait été salie?

Evidemment. J’avais mis dix ans pour redorer un blason terni par des événements survenus avant mon arrivée. Tout cela pour lire subitement un tas de mensonges. Les gens se sont crus revenus quinze ans en arrière, quand on faisait n’importe quoi dans ce club. La presse flamande a ajouté son grain de sel en lançant que nos recettes allaient être saisies à cause de soi-disant problèmes avec l’ONSS. Alors que nous étions en règle. J’ai aussi lu que nous aurions pu acheter certains matches pour nous sauver. Pourquoi ne vérifie-t-on pas toutes ces infos avant de les rendre publiques?

Leclercq lui-même a déclaré que le foot belge était complètement pourri…

Il a peut-être voulu faire reparler de lui. C’était sa façon de sortir des oubliettes. Quand on ne sait rien prouver, on se tait.

Avez-vous commis des erreurs depuis la montée en D1?

Certainement. Des erreurs de jeunesse. Dès l’accession en D1, j’aurais dû faire une bonne évaluation du personnel en place et ne pas avoir de pitié pour certains qui avaient participé à la belle aventure mais n’avaient plus leur place en D1. Et il faut un staff sportif et administratif très compétent. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce n’était pas le cas chez nous et je n’ai pas réagi assez vite. Nous avons entre-temps fait le grand nettoyage.

N’avez-vous jamais envisagé de démissionner, quand vous étiez attaqué de toutes parts?

Je serais parti si on m’avait prouvé que j’avais tort. Mais j’avais raison. Je ne veux pas rester de force. Je ne suis pas fou. Je ne suis qu’un homme. Ici, je suis simplement de passage. Le plus important, c’est la survie du club.

Pierre Danvoye

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