Le Grillon

A San Sebastian, il a remporté sa troisième épreuve de Coupe du Monde de la saison : en 14 ans, personne n’y était parvenu.

Ses victoires à Hambourg (3 août) et à San Sebastian (9 août) lui ont permis de bondir à la première place de la Coupe du Monde, de reléguer Peter Van Petegem, l’ex-leader, à 97 points, et de renforcer sa position en tête du classement UCI. Tout cela ne doit pas faire oublier ses succès à Milan-Sanremo et au championnat d’Italie. Paolo Bettini est certainement le cycliste du moment. Alors que la grande majorité des coureurs se contenteraient d’un palmarès comme celui-là à la fin de leur carrière, le coureur de Quick Step-Davitamon, lui, y est parvenu en quelques mois. Et on ne saura jamais ce qu’il aurait réalisé si une chute à Gand-Wevelgem ne lui avait pas occasionné un problème à l’épaule et ne l’avait pas tenu à l’écart des pelotons pendant deux mois, l’obligeant à faire une croix sur Liège-Bastogne-Liège et l’Amstel Gold Race.

Après son succès à San Sebastian, le Grillon n’a pas dormi : l’avion qui devait le ramener chez lui n’est jamais arrivé. Bien que le vol ait été programmé pour deux heures du matin, à une heure, les portes et grillages du petit aéroport de Bilbao ont été fermés. Tout le monde est parti à la recherche d’un l’hôtel de fortune. Départ prévu à cinq heures. Cette fois, Bettini retrouvera sa maison en pierres du pays à Riparbella, en Toscane. En attendant, le leader des Quick Step-Davitamon aura eu le temps de se repasser les images de son exploit sur le Jaizkibel et dans la montée moins exigeante de Gurutze.  » Je me suis trouvé effrayant « , précisera-t-il en souriant.  » C’était pourtant la journée la plus chaude que j’aie connu depuis que je suis coureur, du moins en Europe. Eh bien oui, je me suis impressionné parce que tout m’a semblé extraordinairement facile. J’ai presque honte à le dire mais cela a vraiment été ainsi « .

On a donc vu le meilleur Bettini :  » Oui, parce que le Tour de France a augmenté ma résistance à la fatigue et que je peux me permettre d’attaquer quand je le veux alors qu’en d’autres occasions, comme à Zurich en 2001, j’ai dû la jouer un peu à l’économie. Mais je retiendrai aussi le Bettini de Milan-Sanremo parce que, jusqu’à ma victoire, on estimait qu’il ne fallait démarrer qu’une seule fois et surtout ne pas rater son coup. Moi, j’ai prouvé que l’on pouvait remporter la Primavera en attaquant deux, voire trois fois « .

Dans l’ombre de Bartoli

A 29 ans, Bettini est arrivé à maturité et n’apprécie pas quand on lui reproche d’avoir trop souvent préféré le rôle de gregario à celui de chef de file.  » Je dois dire que mon évolution sur le plan sportif et psychologique s’est effectuée de la sorte justement parce que j’ai eu de véritables maîtres aux moments décisifs de ma carrière. J’ai eu la chance de pouvoir attendre et apprendre. Mon modèle au début était Giuseppe Saronni. Après j’ai eu la chance de courir aux côtés d’un capitaine comme Michele Bartoli qui, à ce moment-là, était le coureur de classiques le plus fort au monde. J’ai beaucoup appris grâce à lui « , souligne un Bettini qui se montre reconnaissant alors que -ce n’est pas un secret- l’amitié quasi fraternelle des premières années a fait place à la rivalité atroce, aux bagarres et au divorce pour incompatibilité de caractère et de choix techniques.

Cela fait plusieurs mois que Franco Ballerini, le sélectionneur de l’équipe d’Italie, l’a désigné comme étant le leader en vue du Mondial de Hamilton, le 12 octobre.  » Le maillot arc-en-ciel, c’est le rêve de tous les coureurs. Ce n’est pas à moi de distribuer les rôles. Je pense que je pourrais être un des protagonistes du championnat du monde mais tant d’autres athlètes sont également en mesure de l’emporter… C’est vrai que cette saison semble être la mienne « , commente Bettini qui n’est pas aussi doué que Marco Pantani pour les déclarations tapageuses et qui n’affichera jamais la certitude absolue de Mario Cipollini. Comment va-t-il préparer les derniers mois de la saison et le rendez-vous canadien ?

 » Pour les courses d’un jour, je ne travaillerai pas un aspect en particulier. Je crois que j’ai atteint mon maximum. Franchement, je serais un faux cul si je ne le reconnaissais pas : je ne voudrais pas donner dans la fausse modestie car, désormais, il y a peu de choses à améliorer. En revanche, je devrais beaucoup travailler pour progresser dans les courses à étapes. Dans ce cas, il faudrait prévoir des entraînements spécifiques sur les grandes montées mais je me demande si cela en vaut bien la peine. Et j’ai également des doutes sur les progrès possibles dans les contre-la-montre. Voilà pourquoi j’estime franchement que bouleverser la préparation et les programmes représenterait un risque, qu’aujourd’hui ne veux pas prendre « .

Début à sept ans

Que Bettini soit devenu coureur cycliste n’est pas vraiment surprenant. Son père, Giuliano, était le président du groupe sportif La California, du nom du village de la région de Livourne (Toscane) où Paolo a vécu jusqu’au jour il a épousé Monica. Différentes disciplines étaient représentées dans cette association mais comme papa adorait le vélo, la suite est facile à deviner.

 » Cette passion, mon père l’a transmise d’abord à mon frère Sauro. Mais comme il ne voulait pas étudier, mon père lui dit qu’il valait mieux qu’il aille travailler. Avec un père ouvrier, une mère, Giuliana, ménagère, il n’était pas question de se permettre un certain luxe. Sauro ne parvenait pas à concilier travail et vélo et stoppa en 1980. Un an plus tard, à sept ans, j’ai débuté chez les Giovanissimi, les tout jeunes. Mon premier vélo, c’est mon père qui me l’a offert. Il l’avait trouvé dans les immondices et l’avait remis en ordre. J’ai disputé ma première course à Marina di Bibbone et je l’ai gagnée, même si je n’avais pas passé la ligne en premier. J’ai terminé deuxième mais j’étais le premier de ma catégorie, les Giovanisimi 1. Je ne la considérais pas comme une vraie victoire et, le dimanche suivant, je devançais tout le monde. Cette année-là j’ai remporté 23 des 24 épreuves auxquelles j’ai pris part « .

Le succès ne fut pas toujours au rendez-vous. Ainsi, au milieu des années 80, à Ponsacco, il se fit battre par Fabiana Luperini. A l’époque, les rares jeunes filles étaient obligées de courir avec les garçons. Celle qui allait devenir la plus grande athlète du cyclisme italien a souvent battu ses compagnons chez les tout jeunes, mais a également enlevé sept victoires chez les débutants. C’est à ce moment-là que l’amitié entre les deux jeunes, qui ont le même âge, voit le jour. Ils décident de s’entraîner ensemble. Encore aujourd’hui, il leur arrive d’effectuer une sortie ensemble. Chez les amateurs, d’abord avec la Monsummanese et après avec la Grassi-Mapei, Bettini, ne se brilla pas vraiment.

 » J’étais un coureur parmi tant d’autres. C’est lors de ma dernière saison dans la catégorie, en 1996, que je me suis fait le plus remarquer. J’ai remporté huit courses dont une étape du Giro pour amateurs et j’ai terminé troisième du championnat national amateurs. Ces quatre années chez les amateurs ont été fondamentales. Pendant les trois première saisons, j’ai couru contre des gens beaucoup plus âgés que moi, puisqu’il n’y avait pas de limite d’âge Ce furent des années de galère pendant lesquelles j’ai appris à souffrir. C’est précisément en 1996 qu’on a fixé à 23 ans la limite d’âge. J’en avais 22 et je ne pouvais donc figurer dans cette catégorie qu’une saison. Ma chance, c’est que le docteur Luigi Cecchini, qui était mon préparateur physique, connaissait bien GiancarloFerretti, qui était à la recherche de deux jeunes pour son équipe MG Technogym. Début juillet, nous nous sommes rencontrés et une demi-heure a suffi pour que toutes les formalités soient réglées. Avant de faire le grand saut en 1997, je me suis retrouvé en équipe d’Italie et j’ai terminé quatrième du Mondial à Lugano « .

La prise de conscience grâce à La Doyenne

La première année, Bettini roule aux côtés de Michele Bartoli, qui vit alors ses années les plus glorieuses. La saison suivante, sous le maillot de l’Asics, il décroche son premier succès au Tour de Romandie mais c’est à Liège-Bastogne-Liège qu’il marque les esprits. Il fait exploser le peloton dans la Redoute avant de lancer Bartoli vers la victoire.  » En quittant la Belgique, j’ai dit à Michele que cette course était faite pour moi. Deux ans plus tard, je l’ai remportée. C’était ma première grande victoire et, à partir de ce moment-là, j’étais convaincu de pouvoir me fixer d’autres objectifs importants « . Suit alors une étape au Tour de France 2000 à Dax et un deuxième succès en Coupe du Monde au Championnat de Zurich 2001. Mais, entre-temps, l’amitié qui l’unissait à Bartoli s’effrite. Au terme du Mondial 2000 à Plouay, Bartoli, quatrième, accuse Bettini de ne pas l’avoir aidé lors du sprint. Un an plus tard, à Lisbonne, Bettini, deuxième, adresse quasiment les mêmes reproches à Bartoli. Après cinq années de collaboration, leurs chemins se séparèrent.

En 2002, Bettini remporte Liège-Bastogne-Liège pour la deuxième fois. Dix autres succès allaient suivre et sa victoire dans la Coupe du Monde le consacrait chasseur émérite de classiques. En 2003, il en a remporté trois, du jamais vu depuis la création de ce classement de régularité.

 » Cette année est vraiment fantastique. Au-delà des trois épreuves de Coupe du Monde, il y a aussi cette victoire au championnat d’Italie qui te donne un maillot rapidement reconnaissable et qui fait de toi un symbole, surtout quand tu roules à l’étranger. C’est vraiment une saison fantastique, grâce également à une équipe exceptionnelle bien qu’elle ne soit née que cette année. C’est un groupe d’amis et pas de collègues. Je ne peux oublier ce que Luca Paolini et Richard Virenque ont fait pour moi à Sanremo et à San Sebatian. Quand, à la fin du Tour, nous nous sommes salués, Virenque, que j’avais aidé dans sa chevauchée victorieuse vers Morzine, me dit en me serrant la main : û Nous nous reverrons sur le Jaizkibel à San Sebastian. Il a tenu parole. Dès les premiers lacets, il s’est mis à imprimer le rythme. Richard est un gars incroyable : je voyais en lui un type égoïste, avec son air de premier de la classe, mais en fait j’ai découvert un homme vrai qui nourrit encore une passion extraordinaire pour son métier « .

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