Le grand frère

Thomas Bricmont

Arsène Wenger recherchait une version moins pataude et plus technique de Niklas Bendtner pour aider les petits formats de l’entrejeu. Dites bonjour à Marouane !

« J’ai failli avoir une crise lorsque j’ai joué pour la première fois avec Arsenal. Je me suis dit que je ne serai jamais capable de tenir un match entier. Parfois, je souhaitais que notre gardien ralentisse le jeu en gardant un peu le ballon, mais non… il l’envoyait direct vers l’avant. « 

Marouane Chamakh venait de découvrir le foot anglais et envoyait, involontairement, un tackle à une L1 peu emballante qui l’a accueilli sept années durant. Arrivé en 2000 à l’âge de 16 ans, au Haillan, le magnifique centre de formation des Girondins de Bordeaux, le natif de Tonneins (petit village d’Aquitaine) fait ses débuts en championnat trois ans plus tard.

Big Mo n’a pas encore la vingtaine mais déjà la stature imposante (1,88 m) et la technique affirmée. Rapidement, il devient le parfait point d’ancrage offensif de ses équipiers. Dès 2003-2004, l’international marocain fait partie des cadres et enchaîne les matches. L’été dernier, quand il quitte la Gironde pour Londres, son CV affiche 230 matches en L1. Pas mal pour un gars de 26 ans qui a toujours figuré parmi les préférés de ses coaches : Michel Pavon, Ricardo ou Laurent Blanc. Seule ombre au tableau, un ratio but par match (1 sur 4) qui ne fait pas pavoiser. Mais Chamack, c’est davantage qu’un killer instinct (qui s’est quand même développé les deux dernières saisons), c’est un gros bosseur, un lutteur infatigable, un pivot très habile des deux pieds, capable de jouer en déviations et au jeu aérien phénoménal.

 » Il est selon moi le meilleur joueur de la tête de L1 et peut-être même d’Europe « , dira Jean Fernandez, entraîneur d’Auxerre.

Son arrivée dans le onze technique d’ Arsène Wenger fait figure d’évidence : aux côtés des  » nains  » Arshavin, Nasri ou Fabregas, il manquait un grand frère, quelqu’un capable d’apporter de la hauteur, tout en s’imbriquant dans le jeu rapide et au sol des Baby Gunners. Parti à l’été 2009, Emmanuel Adebayor n’a jamais été remplacé, alors que le Danois Niklas Bendtner s’est souvent fourvoyé.

Star du Maroc

L’ Emirates Stadium n’a pas mis longtemps à l’adopter : sept buts en championnats (dont le plus rapide de l’histoire des Gunners après 36 secondes) et trois en Ligue des Champions l’ont grandement aidé. Et il n’y a pas que papa Arsène qui sourit.

 » J’ai le sentiment que Marouane est devenu un footballeur plus complet depuis son arrivée « , estime Eric Gerets, son nouveau sélectionneur à la tête du Maroc.  » Les Londoniens jouent un football en un temps incroyable et ce style de jeu le fait progresser de semaine en semaine.  »

Pour sa première à la tête des Lions de l’Atlas, celui de Rekkem a en tout cas pu compter sur son Gunner. A Belfast, Chamakh inscrit l’unique but du partage des siens (bien aidé par une toile du gardien nord-irlandais) et porte son total à 15 pions en 57 sélections. S’il est aujourd’hui la plus grande star du Maroc, ce statut, il ne l’a pas toujours porté de gaîté de c£ur. Après des débuts idylliques, qui l’amènent notamment en finale de la CAN en 2004, Chamakh vit aussi la période sombre du foot marocain symbolisée par l’année 2010. Pas de trace du Maroc à la dernière Coupe du Monde, ni à la CAN. Gerets arrive en sauveur alors que Chamakh doit se réconcilier avec le peuple marocain qui en a souvent fait son bouc-émissaire.

 » J’ai peut-être pris la décision d’opter pour le Maroc un peu à la hâte « , lâche-t-il en septembre dernier.  » Mais je savais combien cela serait important pour mes parents.  » Chamakh n’a que 19 ans et un match avec les Espoirs français quand il lie sa destinée aux Lions.

Bordeaux ne le lâche pas

Sa trajectoire à Bordeaux va, elle, durer plus longtemps que prévu. L’été 2005, Jean-Michel Aulas dépose 10 millions sur la table pour l’attirer. Refus catégorique de la direction bordelaise. Quatre ans plus tard, c’est l’étranger qui débarque. Le président girondin, Jean-Louis Triaud fait monter les enchères et finit par demander 15 millions d’euros pour s’attirer le néo-champion de France. Arsenal trouve la somme excessive, seul Sunderland est prêt à allonger les biffetons. Fan de Denis Berkamp et d’Arsenal, Chamakh fait la moue et décide de rester en Gironde douze mois de plus avant de pactiser avec les Londoniens, en juin dernier, délivré de tout contrat. Et la trésorerie d’Arsenal d’apprécier.

Lors de sa dernière année bordelaise, Chamakh en aura profité pour inscrire 10 buts en championnat, 5 en Ligue des Champions, et s’inscrire en 13e position (non éligible) de la liste Modem – parti centriste français – de Jean Lassale aux dernières élections régionales. Militantisme toujours : en décembre 2009, il refuse de se rendre en Israël pour y affronter le Maccabi Haïfa en Ligue des Champions.  » Je suis un être humain, et j’ai aussi un c£ur ; donc s’ils font du mal aux gens, je suis partie prenante (sic).  » Nuançons toutefois le geste, Bordeaux déjà qualifié, Laurent Blanc avait décidé de se priver de ses joueurs clefs pour ce déplacement. Et puis, quelqu’un qui aborde à 26 ans, la coupe tecktonik (phénomène musical heureusement disparu) ne peut être réellement pris au sérieux. Sur le pré, c’est une autre histoire…

THOMAS BRICMONT

 » J’ai peut-être opté pour le Maroc un peu à la hâte. Mais c’était important pour mes parents… « 

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