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 » Le grand défi sera de tirer le meilleur des joueurs en grande forme « 

Nous avons rencontré Roberto Martinez quelques semaines avant qu’il ne dévoile sa sélection pour la Coupe du monde. Pour Sport/Foot Magazine, il évoque en détail le travail à effectuer lors de la préparation et ses plans pour la campagne de Russie.

L’entretien à lieu dans le bureau que Roberto Martinez occupe au premier étage du Centre National de Football à Tubize. Nous sommes fin avril, l’entraîneur espagnol n’a pas encore été prolongé de deux ans mais l’homme a une vision qui va bien au-delà de la campagne de Russie. Rencontre.

Vous êtes satisfait du calendrier de la phase de poules ? D’abord le Panama, puis la Tunisie et le dernier match contre l’Angleterre.

ROBERTO MARTINEZ ( il rit) : Je serai satisfait si nous jouons bien et que nous remportons ces matches. Pour le moment, je suis surtout content de la préparation que nous avons mise en place, des trois matches amicaux en Belgique, ce qui nous permet de nous préparer en famille. Beaucoup de joueurs évoluent en Angleterre et n’ont pas eu de trêve, ils n’ont pas eu l’occasion de passer une semaine en famille ou avec les amis. Cela fait dix mois qu’ils traversent un tunnel sans en voir le bout. Il était important de leur accorder un break, histoire qu’ils aient à nouveau faim de football. Sinon, ils ne font que subir. Vous vous rappelez du match Gand -Tottenham ? Ce soir-là, on a vu la différence entre une équipe qui avait faim et une autre qui cherchait son second souffle… Sur ce plan, le match contre l’Angleterre sera intéressant. En Russie, nous aurons deux longs déplacements mais le plus important, c’est que notre camp de base est à Moscou et qu’après notre long voyage à Sotchi, nous pourrons passer dix jours dans la capitale. Ce sera une belle période. Après, il faudra aller à Kaliningrad et mériter la suite.

Je ne cherche pas des grandes gueules, je veux des gens qui, dans les moments difficiles, sont capables de tirer l’équipe.  » – Roberto Martinez

Par rapport à il y a quatre ans, certains joueurs ont enrichi leur palmarès : Kompany mais aussi De Bruyne, Hazard, Courtois, Meunier, Vermaelen…

MARTINEZ : Ça aide, c’est même essentiel. Un champion est quelqu’un qui a survécu aux coups durs. C’est ça qui manque à cette équipe, en plus de l’esprit de groupe. Lors de notre dernier rassemblement, en mars, j’ai veillé à deux choses. Primo, se concentrer sur l’Arabie saoudite, qui se présentait avec un nouveau coach, était rassemblée depuis un petit temps et avait bien joué contre l’Ukraine. Sur le plan émotionnel, c’était un duel comparable à ceux qui nous attendent face à la Tunisie et au Panama, des équipes qui n’ont rien à perdre et veulent entrer dans l’histoire… Secundo, j’ai collecté des données pour savoir où ils en étaient sur le plan physique comparativement à douze mois plus tôt. Cela nous a permis d’élaborer des programmes et de savoir à quoi nous devons veiller désormais. Maintenant, nous devons nous concentrer tactiquement. Nous devons former une équipe. Il y a des pays qui construisent leur équipe nationale autour d’un club. L’Italie avec la Juventus, l’Espagne avec Barcelone, l’Allemagne avec le Bayern. Mais nous avons des individualités exceptionnelles disséminées un peu partout et il faut en faire une équipe.

 » Défensivement, nous devons être plus homogènes  »

Cela signifie-t-il qu’après autant d’années, les Diables Rouges ne jouent pas encore en équipe ?

MARTINEZ : Ils forment une équipe à certains points de vue. En possession de balle, ils sont mêmes très bons. Mais défensivement, nous devons être plus homogènes, savoir davantage ce qu’il faut faire. Nous allons beaucoup travailler cet aspect. L’équipe doit apprendre à réagir en groupe en cas de coup dur.

Nous sommes forts en possession de balle mais ne dépendons-nous pas de l’un ou l’autre individu ?

MARTINEZ : Je pense qu’offensivement, nous jouons vraiment bien en équipe, que nous savons ce que chacun va faire quand il a la balle et que nous jouons sans réfléchir. Nous savons des choses qui nous permettent d’anticiper ce qui va se passer. En perte de balle, la synchronisation peut être meilleure. Au cours des deux dernières années, j’ai beaucoup étudié ce que les joueurs pouvaient amener, quelles étaient les combinaisons idéales et nous avons fait preuve de beaucoup de flexibilité dans notre approche tactique. Ce groupe est capable de jouer à trois derrière mais aussi à quatre. Et parfois, en fonction de l’adversaire, il faudra jouer à cinq. C’est une question d’espaces, d’homogénéité et de travail mutuel. Ces concepts me préoccupent davantage que  » le système « . Je veux que l’équipe développe un bon concept. Cette génération sait ce qu’elle doit faire en possession de balle, je dois à présent chercher un groupe capable de protéger son rectangle. Le grand défi, ce sera de tirer le meilleur des joueurs en grande forme. Dries Mertens, Romelu Lukaku, Eden Hazard et Kevin De Bruyne ont connu une excellente saison avec leur club mais nous devons leur adjoindre des gens et former un groupe. Nous avons déjà beaucoup progressé à ce niveau au cours des deux dernières saisons. Je pense par exemple à l’influence de plus en plus importante de Dries. A son intelligence sur le terrain. Il est tellement fort lorsqu’il s’agit de créer des espaces qu’il a fait toute sa carrière comme cela. Lorsque j’entraînais Rom à Everton, il n’avait pas la même attitude qu’en équipe nationale, où il s’amuse de plus en plus. Ce n’est qu’aujourd’hui que je retrouve le joueur que j’ai connu à Everton. En Coupe du monde, il sera important que tout le monde fasse en sorte que ces joueurs soient au top. C’est cette culture que nous voulons. Nous ne devons pas commettre l’erreur de nous concentrer uniquement sur les onze qui jouent. Si on analyse les dernières Coupes du monde, on constate que les vainqueurs n’ont jamais survolé le tournoi, qu’ils n’ont pas gagné tous les matches trois ou quatre à zéro. Souvent, un match se joue sur des détails, un réserviste qui fait la différence, des tirs au but, une décision de l’arbitre… Ce sont des choses qu’on doit affronter en équipe, pas individuellement.

 » Il ne faut pas accorder trop d’importance aux clean sheets  »

Les équipes qui sont allées loin en 2010 et en 2014 étaient surtout très fortes défensivement, elles n’encaissaient pratiquement pas.

MARTINEZ : Il ne faut pas accorder trop d’importance aux clean sheets. Il faut faire ce qu’il faut pour passer au tour suivant. En 2010, l’Espagne était championne d’Europe et favorite mais elle a perdu son premier match. Ce n’était pas prévu mais les joueurs ont resserré les rangs et ont cherché le moyen de faire mieux. Grâce à cela, ils ont peu encaissé.

Depuis que vous êtes sélectionneur, la Belgique est très efficace devant mais moins derrière.

MARTINEZ : De quels matches parlez-vous ?

Le Mexique, la Russie, l’Espagne.

MARTINEZ : Des matches amicaux… (il rit). Si on ne peut pas profiter de ceux-ci pour faire des expériences…. Je n’ai pas de problèmes à ce qu’on me cherche un peu (il rit) mais nous avons tout de même été la première équipe européenne à nous qualifier pour la Coupe du monde. Et celle qui a inscrit le plus de buts, à égalité avec l’Allemagne ! Alors derrière, c’est vrai, il fallait essayer des choses. On ne peut pas prendre part à un tournoi sans effectuer des tests et les matches amicaux servent à cela. Nous protégeons déjà bien notre rectangle mais nous devons être plus conséquents. Dans leur club, certains joueurs doivent redescendre et d’autres doivent presser haut. L’équipe nationale, c’est entre les deux. Ce que j’apprécie dans cette équipe, c’est le sens de la responsabilité collective dans la reconquête du ballon. Je l’ai remarqué lors de chaque match. Au cours des trois, quatre premières secondes après avoir perdu le ballon, chaque joueur veut le récupérer.

Mais face aux bonnes formations qui peuvent éviter le pressing, l’équipe belge semble parfois désorganisée.

MARTINEZ : Il est possible qu’elle donne cette impression mais, jusqu’à présent, nous avons surtout essayé de gagner nos matches. Nous n’avons pas encore essayé de bien presser collectivement. Nous allons tenter de jouer le mieux possible en Russie mais ça ne suffira pas pour être champion du monde. Pour cela, il faudra marquer plus de buts que l’adversaire. Mais je ne veux pas qu’on analyse une campagne de qualification au cours de laquelle nous avons battu tous les records en mettant le doigt sur des erreurs commises lors de matches amicaux. On pourra nous faire des reproches si nous perdons un match mais pour le moment, nous sommes là où nous devons être.

Avec Romelu Lukaku, qu'il a déjà eu sous ses ordres à Everton.
Avec Romelu Lukaku, qu’il a déjà eu sous ses ordres à Everton.© IDPHOTOAGENCY -JONAS LAMPENS

 » Vincent reste le jouer-clé de la défense de City  »

Les remarques de Kevin De Bruyne font-elles partie du processus de formation d’une équipe ?

MARTINEZ : Oui. Nous devons faire notre auto-critique. Lorsqu’il dit ça, je prends l’information et j’observe sa réaction. Nous devons oser affronter ce que nous pensons être nos lacunes et tenter d’y remédier, pas faire l’autruche. Kevin a l’expérience du plus haut niveau et il doit la partager. Il est possible que certaines choses soient gonflées par les médias mais ce qui m’intéresse le plus, c’est la réaction interne. J’ai le sentiment que le groupe est plus fort. Croyez-moi : nous connaîtrons encore cette situation. Des choses vont se dire, il y aura des erreurs mais cela renforcera le groupe. Sur ce plan, nous avons beaucoup progressé depuis deux ans. Tant techniquement qu’humainement, des liens forts se sont tissés. Ce que Kevin a voulu dire, c’est que le moment était très important pour tout le monde, que tout comptait et que nous voulions vraiment gagner.

Nous devons oser affronter ce que nous pensons être nos lacunes et tenter d’y remédier, pas faire l’autruche.  » – Roberto Martinez

Vincent Kompany reste le patron ?

MARTINEZ : Ce qui est intéressant, c’est qu’en club, il évolue au plus haut niveau. On a vu l’été dernier que, financièrement, Manchester City pouvait acheter qui il voulait. C’est le club qui a transféré le plus de défenseurs mais qui joue ? Vinnie. Ce n’est pas à moi de dire qu’il joue un rôle important pour nous. Moi, je dois tout évaluer et je constate qu’il reste le joueur le plus important de la défense de Manchester City. Cela me prouve surtout qu’il a faim, qu’il veut toujours gagner et qu’il traverse une très bonne période. Je dois évaluer chaque joueur de la même façon : voir ce qu’il fait dans son club et chez nous. Puis faire les meilleurs choix.

Sera-t-il le seul à pouvoir parler ?

MARTINEZ : Absolument pas ! De plus en plus de joueurs comprennent qu’être un leader, ce n’est pas seulement dire ce qu’on pense. Jan Vertonghen, Thibaut Courtois, Thomas Vermaelen, Kevin De Bruyne, Eden Hazard, Dries Mertens… Je ne cherche pas des grandes gueules, je veux des gens qui, dans les moments difficiles, sont capables de tirer l’équipe. Par le passé, j’ai travaillé avec beaucoup de gens qui avaient toujours une explication à tout mais qui camouflaient surtout leurs propres lacunes. Je cherche des joueurs qui ont envie de gagner et je les ai. Vinnie a gagné le droit d’être important dans ce groupe sur base de ce qu’il a démontré cette année. Car Pep Guardiola n’était même pas obligé d’être loyal envers lui, ils n’avaient encore rien gagné ensemble jusqu’ici. La saison dernière, il était souvent blessé, devait parfois sortir après quatre minutes de jeu ou à la mi-temps. Il a imposé le respect sur un chemin pourtant semé d’embûches. Dans un noyau avec Mendy, Mangala, Laporte, Jones… Alors, je dis wow !

Pour relativiser la campagne qualificative, on évoque souvent le fait que les adversaires étaient modestes et que l’équipe actuelle n’a pas encore affronté de cadors…

MARTINEZ (il coupe) : On ne peut affronter que les équipes désignées par le sort. Le tout est de voir ce qu’on fait. À Gibraltar, nous avons marqué après huit secondes. Pas sur un cadeau mais parce que nous le voulions et que nous avons fait ce qu’il fallait pour y arriver. Notre attitude a été parfaite. À domicile, nous avons gagné 9-0 en jouant longtemps à dix. Je n’ai vu personne faire cette analyse. On a juste dit que ce n’était que Gibraltar. En Grèce, nous nous sommes qualifiés en battant une équipe qui n’avait plus perdu à domicile depuis deux ans. Et en Bosnie, nous avons gagné sur un mauvais terrain et face à une équipe qui devait s’imposer pour terminer deuxième.

Le seul bémol, ce sont les buts encaissés. Mais nous jouions face à une équipe qui abattait ses dernières cartes. Nous avons inscrit beaucoup de buts, notre qualification n’a jamais été mise en péril et pourtant, les joueurs ont eu peu de crédit parce qu’ils n’ont pas affronté une grande équipe. Puis-je vous faire remarquer que la France a fait match nul à domicile face au Luxembourg ? Je pense que, pour arriver à quelque chose que nous n’avons pas encore obtenu, nous devons changer de mentalité. Si nous avions déjà été champions du monde et que nous ne parvenions plus à atteindre le même niveau, je comprendrais. Mais nous n’avons jamais été champions du monde.

Alors, je pense que nous devons être un peu plus positifs à l’égard de nos joueurs. Ils ont une bonne attitude, ils aiment jouer en équipe nationale, beaucoup trouvent même ça un peu spécial. Alors, soutenez-les un peu, au moins jusqu’à ce qu’il y ait une raison de dire que ce n’était pas suffisamment bon. Pour arriver à faire quelque chose d’incroyable, nous devons y croire. Or, je n’ai jamais entendu personne dire : – Yes, nous étions les premiers à nous qualifier. Et c’est dommage.

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Les cas Dendoncker-Tielemans

Vous qui avez l’expérience du football international, coupez une fois pour toutes court à la discussion : Dendoncker est-il un médian ou un défenseur ?

ROBERTO MARTINEZ: En Belgique, c’est un médian mais au plus haut niveau, il est meilleur comme défenseur central. Je pense qu’en Belgique, devoir jouer derrière, c’est frustrant pour lui car il voit ce qu’il se passe devant lui et il se dit qu’il pourrait faire beaucoup mieux. Et c’est vrai : lorsqu’il est entré au jeu face à la Bosnie-Herzégovine, sur un terrain en mauvais état, il a étalé toute sa puissance. Mais je pense que dans des circonstances plus difficiles, il a encore besoin d’une cinquantaine de matches pour améliorer son placement dans l’entrejeu. Quand on veut jouer en Premier League et qu’on perd le ballon, il faut pouvoir se replier en trois ou quatre secondes. En ce moment, on ne sait pas encore s’il pourra récupérer le ballon ou non. C’est un bon gars, toujours concentré, jamais blessé, très fiable et simple. Sa famille lui a inculqué de belles valeurs.

Le joueur dont tout entraîneur rêve ?

MARTINEZ: Exactement. Parce qu’il peut jouer à deux places.

Youri Tielemans a aussi connu une saison difficile.

MARTINEZ: Son problème, c’est Moutinho, que Jardim voudrait voir prolonger et qui travaille avec lui depuis longtemps. Il sait ce dont Moutinho est capable et il n’alignera jamais Fabinho et Youri pendant quinze matches d’affilée. Jardim évolue avec un seul meneur de jeu et a tenté plusieurs fois d’aligner Moutinho et Youri mais alors, il doit déplacer Youri sur le flanc et ça ne fonctionne pas. On peut l’y mettre – à Barcelone, Andrés Iniesta pouvait jouer à toutes les places – mais quand l’équipe n’a pas le ballon, ce n’est pas une bonne place pour Youri. Lorsque je l’ai appelé en mars, au cours des premiers jours, il s’entraînait comme à Monaco : il était un peu triste, il faisait des choses qu’il fait moins bien comme courir, presser… Après deux séances, je lui ai parlé et je lui ai dit : -Youri, tu n’es pas là pour ça. Tu es là parce que tu peux plonger dans les espaces et tirer de l’extérieur du rectangle. À partir du troisième entraînement, ça a commencé à porter ses fruits. À un certain moment, un joueur mûr doit se concentrer sur ses qualités et tenter de camoufler le plus possible ses défauts. En cours de formation, c’est différent. J’ai eu l’impression que Youri tentait avant tout de faire plaisir à son entraîneur mais ça fait aussi partie de son évolution.

Vous parlez beaucoup avec les joueurs des difficultés qu’ils rencontrent dans leur club ?

MARTINEZ:Parfois. Il faut être prudent avec ça, trouver l’équilibre entre ce qu’ils veulent et ce que leur équipe attend d’eux. Quand je vois qu’un joueur est heureux, j’essaye de ne pas trop lui parler de son club mais si je peux l’aider, pourquoi pas ? Surtout les jeunes.

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Une prolongation de deux ans

Le directeur technique de l’Union Belge, Chris Van Puyvelde, avait à coeur de proroger le contrat du fédéral dès la fin de la campagne de qualification des Diables. Mais, en haut lieu, on désirait plutôt jouer la montre et attendre la fin du Mondial pour prendre une décision. Finalement, il n’en a rien été et Roberto Martinez a été prolongé, pour une période de deux ans, aux mêmes conditions que son contrat actuel.

Ses qualités aux yeux des décideurs ? Son engagement pour le football belge en général, des Diables aux diverses sélections de Diablotins, ses résultats, ses qualités en matière de gestion d’un groupe, son professionnalisme, ses connaissances du football en général, car l’homme est une véritable encyclopédie. Et puis, ce qui ne gâte rien : l’Espagnol est un gentleman qui attache beaucoup d’importance aux valeurs..

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