LE GOÛT DU RISQUE

Star de la saga adolescente Twilight, l’actrice américaine a su joliment tourner la page. Démonstration à Cannes, où elle brillait dans Café Society, comédie vintage de Woody Allen, comme dans Personal Shopper, errance postmoderne d’Olivier Assayas.

Inutile de chercher plus loin, la star de Cannes 2016, c’est elle, Kristen Stewart, deux films en sélection officielle – Café Society, de Woody Allen, en ouverture, et Personal Shopper, d’Olivier Assayas, en compétition -, des manchettes et des couvertures de magazines à n’en plus finir, et une présence jusque sur les colonnes Morris garnissant la Croisette, où elle s’affichait en égérie Chanel. A 26 ans, l’actrice américaine n’en finit plus d’apporter un démenti cinglant à ceux qui pensaient que sa notoriété ne survivrait pas à la saga adolescente ayant fait d’elle une star – Twilight, en l’occurrence, où elle embarquait en 2008 en compagnie de Robert Pattinson, trouvant en Bella Swan un rôle emblématique qu’elle tiendra tout au long de la pentalogie.

Kristen Stewart avait des arguments à faire valoir, il est vrai. Née à Los Angeles dans une famille de cinéma (son père est régisseur et producteur, et sa mère scénariste), elle signe des débuts précoces, passant par la case Disney Channel avant que David Fincher n’en fasse la fille de Jodie Foster dans le flippant Panic Room. On a connu pire comme écolage, et à l’instar de son aînée (qui tournait à 13 ans dans Taxi Driver), la comédienne se joue des écueils torpillant bien souvent la carrière des enfants acteurs, pour rebondir dans Speak, de Jessica Sharzer, que suivra bientôt Into the Wild, de Sean Penn. La suite est connue qui, après Twilight, l’a vue aligner avec un égal bonheur films indépendants – On the Road, de Walter Salles, Still Alice, de Richard Glatzer et Wash Westmoreland,… – et grosses machines – elle était ainsi, à titre d’exemple, la Blanche-Neige de Snow White and the Huntsman, de Rupert Sanders. Non sans saisir au passage l’opportunité de se réinventer devant la caméra d’Olivier Assayas le temps de Sils Maria, un César du meilleur second rôle à la clé…

Une sensibilité européenne

Son actualité cannoise est d’ailleurs là pour rappeler l’étendue de son registre, qui lui permet de se montrer à son avantage dans une vision fantasmée du Hollywood de l’âge d’or comme dans la tension du Paris contemporain, entre grâce vintage et énergie en mouvement. Woody Allen, dont elle a été la muse pour Café Society, dit de Kristen Stewart qu' » elle est belle comme Elizabeth Taylor, et les stars hollywoodiennes des années 1940. Je l’ai choisie parce qu’elle peut être aussi crédible en petite fille naïve originaire du Nebraska, avec sa robe et ses socquettes blanches, qu’en femme sophistiquée arborant fourrures et parures de bijoux.  » Et comment ! Là, à l’heure du rendez-vous, la star californienne a opté pour le chic gothique-punk, le blond décoloré de ses cheveux ressortant d’une toilette déclinant les noirs de la robe au perfecto, un collier orné d’un petit cadenas refermant le tout. Et celle qui découvrait Cannes il y a quatre ans à la faveur de On the Road, adaptation par Walter Salles du célèbre rouleau de Jack Kerouac, manifeste de la Beat Generation, de confier combien elle se sent ici dans son élément :  » Je m’identifie sans réserve aux motivations pour lesquelles les gens font du cinéma en France. Les réalisateurs américains avec lesquels j’ai préféré travailler ressemblent d’ailleurs beaucoup aux cinéastes européens avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer. On trouve ici une volonté de prendre des risques sans commune mesure avec les raisons qui poussent la plupart des gens à faire des films aux Etats-Unis. C’est authentique, évident, et tout simplement génial…  »

Avec une telle philosophie, c’est peu de dire que Kristen Stewart dénote dans le paysage hollywoodien. Ce dont elle n’a visiblement cure, préférant se montrer telle qu’en elle-même. Le genre à afficher son engagement féministe, à rebours des pratiques de l’industrie. Ou à vivre sa vie comme elle l’entend, sans souci pour le qu’en-dira-t-on.  » Je ne veux pas être surprotégée, soupèse- t-elle. Je suis devenue excessivement célèbre à 17 ans, à un âge où on ne sait guère interagir avec plus de quelques personnes, et où on ne cesse de s’interroger sur la façon dont les autres nous perçoivent, et à quoi l’on peut bien ressembler à leurs yeux. Quand les masses s’emparent de ces considérations, cela enclenche un mécanisme qui m’a incitée à l’époque à me fermer. J’étais tellement protégée. Mais l’on ne peut s’épanouir de cette manière. Il y a des attitudes différentes à adopter suivant que l’on soit avec les médias, avec le public, et au-delà, avec les gens. Et j’ai trouvé une sorte d’équilibre, où j’ignore ce qui me semble ne pas en valoir la peine, et laisse filtrer ce qui m’apparaît humain, sans me cacher et en étant honnête, tout en sachant ce dont il retourne.  » Pas dupe pour un sou. Ce qui pourrait donner une clé de lecture de sa filmographie sinueuse où les films commerciaux – ainsi, récemment encore, le déjanté (et par ailleurs fort réussi) American Ultra, de Nima Nourizadeh – ont aussi pour objet de favoriser des projets plus audacieux, les Equals, de Drake Doremus, ou autre Certain Women, de Kelly Reichardt, qui, de la Mostra de Venise au festival Sundance, en font définitivement une icône indie.

Projets incertains

Elle dit encore s’en remettre à ses impulsions créatives et à cette connexion mentale qui peut s’établir avec un réalisateur autour d’un film.  » Je suis prête à faire quelques faux pas ou à me lancer dans des projets incertains. C’est la raison pour laquelle j’aime tourner avec des réalisateurs français ou avec des gens aux intentions téméraires. «  Personal Shopper, pour lequel elle a retrouvé Olivier Assayas, en constitue une bonne illustration, dont le réalisateur confie qu’il n’aurait sans doute pas  » écrit ce scénario si je n’avais pas connu Kristen, et si je n’avais travaillé avec elle auparavant. Elle l’a inspiré.  » En ressort un film fragile, naviguant entre superficialité et fantômes intimes, et une entreprise dans laquelle l’actrice s’est jetée, à l’évidence, corps et âme, investissant l’écran d’un fluide vital propre à maintenir l’ensemble à flot. Et tant pis si elle en est ressortie exténuée –  » Je mets la même énergie et le même engagement dans tout ce que j’entreprends « , affirme-t-elle, et on ne songerait guère à la contredire.

Si les deux films figurant à son curriculum cannois sont assurément fort différents – par leur cadre temporel et géographique, mais aussi par leur humeur, solaire pour l’un, éprouvante pour l’autre -, l’actrice n’hésite pas à comparer les méthodes de travail de leurs réalisateurs.  » Avec Woody Allen, le scénario est tellement parfait que les explications ne sont pas nécessaires. Ses indications se bornent généralement à un « go on ». Mais pour être honnête, Olivier Assayas n’est guère plus bavard. Certains réalisateurs sont l’étincelle, et aiment ensuite observer le feu brûler. Et Woody et Olivier sont assez proches en ce sens qu’ils ne sont pas spécialement enclins à interférer dans votre processus de réflexion. Ils l’enclenchent, et essayent ensuite de capturer ce qui en résulte. Il y a une vraie vibration. En ce qui concerne Woody, cela a constitué un choc, parce que, s’il instille un ton immédiatement identifiable à ses films, je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus contrôlé…  »

Tournée vers l’autre

Sans surprise à vrai dire, eu égard à son regard aiguisé, Kristen Stewart confie encore vouloir passer à la réalisation, manière aussi d’assouvir ce goût du risque n’étant pas dans son chef que déclaration d’intention. Point de caprice de star dans sa démarche, mais un besoin que l’on devine viscéral d’exprimer sa vision, elle qui confie avoir déjà écrit un scénario qu’elle espère traduire bientôt à l’écran, ajoutant avoir appris de différents réalisateurs :  » C’est un processus d’accumulation, mais quand j’ai vu travailler Sean Penn sur Into the Wild, je me suis dit : « voilà ce que je veux faire ». J’adore l’idée de créer un environnement dans lequel on puisse complètement s’exposer et découvrir des choses que l’on ne pourrait pas en d’autres circonstances. J’aime me mettre au service de la vision de quelqu’un d’autre et faire partie de son processus de pensée, mais j’ai aussi ma vision propre, et je sais être à même de protéger ceux qu’elle rassemblera. Je veux en être entièrement responsable.  » Catalyseur, plutôt que récepteur…

En attendant, on la retrouvera prochainement à l’affiche de Billy Lynn’s Long Halftime Walk, le nouveau film d’Ang Lee, un autre réalisateur ayant laissé sur elle une marque indélébile.  » Ang est extrêmement zen, calme, avec un côté posé, très doux, et beaucoup d’attention. D’un point de vue technique, ce film sera révolutionnaire. Ang Lee est convaincu qu’il y a encore des terrains à défricher, et des façons plus immersives de raconter des histoires, et il s’y emploie. Mais s’il est incroyablement en avance et tourné vers le progrès, il n’essaie pas pour autant de forcer les choses. Il est d’une telle douceur que tout le monde a livré une performance d’une sincérité absolue, non pas à cause de la pression, mais parce que l’on se sentait protégé. Et c’est crucial : la seule raison pour laquelle on tourne des films, c’est parce que l’on s’intéresse les uns aux autres, que nous voulons en apprendre plus sur nous-mêmes, et devenir plus proches les uns des autres… « 

PAR JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

 » Elle est aussi crédible en petite fille naïve qu’en femme sophistiquée  » – (Woody Allen)

 » J’aime tourner avec des réalisateurs français ou des gens aux intentions téméraires  »

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