Le génial rebelle

L’Allemand a remplacé Fabio Capello à la tête de la Maison blanche.

En voyant Bernd Schuster (47 ans) sur le banc du Real, comment ne pas se rappeler sa carrière de joueur ? Peu de footballeurs ont déchaîné les passions comme le distributeur allemand, qui a disputé quelque 400 matches de compétition de 1978 à 1996, en Allemagne et en Espagne. A deux reprises, il a secoué l’Espagne, d’abord en quittant Barcelone pour son rival, le Real, puis en rejoignant l’Atlético. Le médian, fin technicien, doté d’une excellente vista et d’une superbe longue passe, faisait fureur. On l’a surnommé l’Ange blond.

 » Schuster est un des plus grands talents que j’ai vus « , remarqua un jour Jupp Derwall, l’ancien sélectionneur, récemment décédé.  » C’est un génie en devenir « . En entraînant le modeste Getafe, le sixième club de sa carrière de coach, Schuster espérait récolter à ce poste les succès qu’il a connus quand il jouait. En novembre dernier, il faisait la une en traitant un arbitre d’homosexuel, ce qui lui a valu un match de suspension. Pourtant, les éclats dont il était coutumier jadis ont pratiquement disparu.

Schuster fait partie des meilleurs joueurs de sa génération. Très vite après ses débuts professionnels pour le FC Cologne en 1978-1979, il est repris en équipe nationale. Il évolue aux côtés de footballeurs du calibre de Karl-Heinz Rummenigge, Lothar Matthäus, Toni Schumacher, Manfred Kaltz, Uli Stielike et Felix Magath. Au début des années 80, on le compare même au légendaire Franz Beckenbauer. Las, le médian fait souvent la une de manière négative.

En plus, ses transferts suscitent généralement l’émoi. Le FC Cologne, Barcelone, le Real, l’Atlético et Leverkusen : Schuster n’a quitté aucun club par la grande porte.  » On m’a rapidement collé une étiquette. Mon problème, c’est que j’ai développé une bonne vision du jeu à un âge tendre, comme Johan Cruijff. On peut émettre un avis avant d’avoir 35 ans mais en Allemagne surtout, ce n’est pas toléré de la bouche d’un jeune. Or, je dis franchement ce que je pense. Je n’ennuie pas mes coéquipiers mais bien l’entourage « .

A 18 ans, il a signé trois contrats simultanément

En 1993, après treize saisons de succès en Espagne, Schuster revient au pays. Le groupe Bayer a une mauvaise image, qu’il veut à tout prix améliorer. La présence de Schuster, le deuxième grand nom après l’entraîneur Dragoslav Stepanovic, doit théoriquement permettre de gagner en rayonnement. Après un bon début, le joueur entre en conflit avec le staff technique. Stepanovic est remplacé par Erich Ribbeck, qui n’est absolument pas sous le charme de son médian, alors âgé de 36 ans. Il estime que sa vedette est sur le retour. Schuster fait donc souvent banquette.  » Le règlement ne me permet pas d’aligner Bernd uniquement pour botter les coups francs et les corners « , commente Ribbeck.

Rainer Calmund, le manager du Bayern, en ajoute une couche :  » Défensivement, il est juste bon pour la Regionalliga « . Schuster réagit très mal.  » Nul n’a jamais sali mon nom de cette façon. Leverkusen est le chapitre le plus pénible de ma carrière « .

Fin 1995, après une énième incartade, le club l’écarte. Schuster attaque son employeur en justice et obtient sa réintégration. Ses coéquipiers ne dissimulent pas leur agacement. Schuster réclame ensuite 1,4 million d’euros suite à la rupture de son contrat. Ce n’est pas une fin de carrière glorieuse mais elle illustre bien le personnage.

Son sens du ballon, son jeu créatif et empreint de risques ne sont pas typiquement allemands, ce qui explique sans doute les relations difficiles qu’il entretient avec sa patrie. Il aime attirer l’attention. A 18 ans, en 1978, il signe trois contrats simultanément : au FC Augsburg, au Borussia Mönchengladbach et à Cologne, qu’il choisira finalement. C’est là, en compagnie de Pierre Littbarski, Yasuhiko Okudera et de l’ancien coach d’Anderlecht, Herbert Neumann, que sa carrière s’envole. Il débute avec un salaire mensuel de 700 euros. Le 21 octobre 1978, la Bundesliga découvre le médian, qui entre au jeu contre l’Eintracht Francfort, qui gagnera le match 0-2. Sept mois plus tard, il est repris en équipe nationale.

Comme David et Victoria Beckham

 » Il était le meilleur à l’entraînement « , constate Hennes Weisweiler, l’entraîneur colonais.  » Il fait partie des trois meilleurs avec lesquels j’ai travaillé « , ajoute Leo Beenhakker. Celui-ci l’a dirigé en 1988-1989 au Real Madrid. Il est un des rares entraîneurs à n’avoir jamais eu de problèmes avec lui.

 » Bernd est de ceux qui jouent très bien et élèvent le niveau de leur équipe « , estime le Néerlandais.  » Il lisait le match. On le disait ennuyeux, contestataire mais jamais je ne l’ai remarqué. Il a du caractère. Quand on est ouvert et honnête à son égard, qu’on lui montre un certain respect, sans perdre son autorité, il se donne à fond, sur le terrain et en dehors « .

Schuster se livrera surtout sur les pelouses ibériques. Après 61 matches de Bundesliga, il s’estime prêt pour l’étranger. Il rejoint Barcelone durant l’automne 1980, contre 1,8 million d’euros. Deux superbes prestations en équipe nationale, pendant l’EURO italien, ont attiré l’attention des Catalans. L’Allemagne bat les Pays-Bas 3-2 dans les matches de poule. Klaus Allofs inscrit les trois buts mais le jeune Schuster est brillant.  » La Bundesliga est trop petite. Que puis-je encore y atteindre ? »

La DFB, la fédération allemande, n’aime pas sélectionner des mercenaires. Barcelone répugne à libérer son médian et Schuster n’est pas facile à vivre non plus. Ainsi évite-t-il la presse germanique. On raconte qu’il a demandé 2.500 euros pour une interview.

Cette réserve en fait la proie rêvée de la presse, qui s’intéresse de près à sa vie privée. Sa femme, la flamboyante Gaby, et Bernd sont des célébrités, les prédécesseurs de David et Victoria Beckham. Le couple se présente dans des tenues de rêve aux fêtes de la haute société. Il est même escorté par des gardes du corps depuis qu’un de ses quatre enfants a été enlevé.

Schuster a fait la connaissance de Gaby, de six ans son aînée, à 19 ans, quand il jouait à Cologne. Madame Schuster devient son agent, ce qui lui vaut une réputation peu enviable. La presse à sensation la surnomme le patron de Bernd, puisqu’elle est souvent à l’avant-plan, dans un monde d’hommes, et qu’elle protège son mari. Gaby est dure dans les négociations et quand elle n’obtient pas gain de cause, elle menace souvent de faire appel à un avocat.

En Espagne aussi, elle s’attire les foudres de tous en critiquant publiquement l’entraîneur du Barça, Udo Lattek, ou le sélectionneur Derwall, quand celui-ci ne reprend pas son époux. Elle se met l’Allemagne à dos en qualifiant l’équipe nationale de chose annexe. Elle estime que seuls les clubs peuvent permettre à un joueur d’obtenir des succès commerciaux. Les problèmes constants de sélection conduisent Schuster à renoncer à l’équipe nationale à 24 ans, après 21 matches.

Equipier de Maradona

Rubio de Oro, le blond en or, la version espagnole de l’Ange blond, est le premier étranger à se produire pour les trois plus grands clubs d’Espagne : Barcelone, le Real et l’Atlético Madrid. Membre de l’Eglise de scientologie, le médian passe la majeure partie de ses années en Espagne à Barcelone. Après quelques problèmes d’adaptation, il y prend son envol. Il inscrit onze buts lors de sa première saison. Il va évoluer pendant deux saisons aux côtés de Diego Maradona, à partir de l’été 1982. Les deux génies se trouvent aisément, même si, par un étrange concours de circonstances, ils jouent finalement peu de matches ensemble. Barcelone remporte son premier titre en onze ans en 1985. Puis les problèmes commencent. Durant l’exercice 1986-1987, Schuster ne dispute pas le moindre match officiel pour le compte du Barça. Il reste malgré tout un an de plus dans la capitale catalane.

En 1988, influencé par Gaby, il rejoint le Real Madrid. Il signe un contrat de trois ans. Schuster forme la nouvelle génération avec Hugo Sánchez et le Quinta del Buitre d’ Emilio Butragueño, Manuel Sanchis, Miguel Pardeza, Michel et Rafael Martin Vázquez. Son aventure au Real ne durera que deux saisons. Lorsque Beenhakker s’en va, la deuxième année, ses performances baissent. Le club et le joueur rompent l’été 1990. En octobre, il signe pour le voisin et rival du Real, l’Atlético.

 » Je veux prouver que je ne suis pas fini « , déclare Schuster pour se justifier. Il évoluera six ans au plus haut niveau, sous le maillot de l’Atlético puis de Leverkusen.

Schuster devient entraîneur. Une nouvelle vie commence. Intelligemment, l’ancien international ne brûle pas les étapes. Il débute au bas de l’échelle. Il coache Fortuna Cologne et le 1. FC Cologne en 2e Bundesliga, il débute au même niveau en Espagne, à Xeres. Il y récolte ses premiers succès. Sa seule mission est en fait de maintenir Xeres en Segunda Division mais il rate de trois points la promotion. On ne peut lui reprocher son inexpérience, puisqu’il a déjà tout connu dans sa jeune carrière d’entraîneur : les caves du football professionnel, une aventure pénible en Ligue des Champions avec le Shakhtar Donetsk et un limogeage à Levante.  » Il était clair, aux yeux de tous, que Levante n’était pas capable de rester dans le peloton de tête durant toute la saison. Ce n’était pas notre place. Le président avait une autre opinion « , commente Schuster lors de son départ en mai 2005.

Durant sa seconde saison à Getafe, les prestations de l’équipe sont tellement bonnes qu’on le cite dans moult clubs européens de haut niveau. Le petit club de la banlieue de Madrid se qualifie même pour la Coupe UEFA, malgré ses modestes moyens. La presse espagnole prétend que Schuster figurait sur la liste de Barcelone mais c’est le Real qui emmène l’ange blond dans une nouvelle aventure.

par Vincent Okker (ESM)

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