Le génial impertinent

L’ex-star bulgare coule des jours heureux à Chicago pour le compte des Fire, un club de la Major League Soccer.

La réputation, surtout la mauvaise, est coriace. Elle vous colle à la peau comme une sangsue. Elle est inoxydable. Elle ne s’altère donc jamais. Prenons celle du Bulgare Stoitchkov. On dit l’homme teigneux, égocentrique, provocant, colérique, invivable. et bien plus encore. Et il est vrai que sa carrière fut émaillée d’anecdotes croustillantes, de faits parfois choquants et de déclarations trempées. Mais il n’en reste pas moins que l’homme est attachant, chaleureux et bien plus généreux qu’on ne le pense et qu’on ne le sait. Peut-être est-ce l’âge? Hristo (le Christ) vient d’avoir 35 ans. Ou alors l’absence de pression?

Sans être une formalité, le championnat américain est bien moins stressant que les compétitions européennes. Ou encore l’environnement? Situé au bord du lac Michigan, le stade des Chicago Fire (Soldier Field, là où les Diables Rouges ont affronté l’Allemagne en 94) est magnifique et le centre d’entraînement sur le campus du Lake Forest College est situé dans un écrin de verdure au beau milieu d’une communauté particulièrement privilégiée. C’est un peu de tout cela certainement qui fait que l’homme a quelque peu calmé ses ardeurs.

Short noir et torse nu, la superstar nous rejoint dès la fin des deux heures d’entraînement quotidien qui se termine vers midi. Elle est en grande forme. Après avoir manqué quelques matches en raison d’une blessure, elle a marqué le but de la victoire l’avant-veille contre Miami.

Débuts internationaux contre les Diables : « Sécher Ceulemans! »

Les débuts de Stoitchkov en équipe nationale bulgare ont eu lieu le 23 septembre 87 contre… la Belgique, défaite 2-0 à Sofia.

« Un souvenir formidable », confie-t-il. Le premier match de la sélection de son pays est un grand moment pour tout joueur. Je me souviens que l’entraîneur Dimitar Penev nous avait demandé de surveiller tout particulièrement Jan Ceulemans et de le sécher au besoin. Il s’en méfiait comme de la peste ».

La première cap de Stoitchkov survint quinze jours seulement après être banni… à vie par la fédération bulgare. Que s’est-il donc passé? Réaction laconique de l’intéressé qui s’est exprimé en espagnol tout au long de l’entretien : « Politique. Les Communistes… » On n’en apprendra pas plus.

Les débuts du petit Hristo ne sont pas particulièrement roses. A l’âge de 12 ans, un entraîneur de réputation nationale ne reconnaît pas ses qualités. Trois ans plus tard, l’école des Sports de Plodiv, sa ville natale, refuse sa candidature. « C’est difficile à expliquer… et tout aussi difficile à vivre, surtout à cet âge quand vous n’avez que le football pour tout univers. Au lieu de faire partie d’une équipe structurée, organisée, j’ai dû évoluer dans des équipes de quartier et d’usine. Mais d’un autre côté, ça m’a donné une grande force de caractère, un mental à toute épreuve ». Mais il y a une justice et en 84, à l’âge de 18 ans, Stoitchkov signe un contrat dans le club le plus prestigieux du pays, le CSKA Sofia.

A la question du capitaine Georgi Dimitrov : « Qui es-tu? », il répond du tac au tac : « Hristo Stoitchkov, et toi, qui es-tu? »

Heureusement, le talent est plus grand que l’impertinence et le transfuge signe dès cette première saison une douzaine de matches pour ses nouvelles couleurs. Mais il était écrit que la série noire devait reprendre son cours. Après son rôle disons « actif » dans une bagarre lors de la finale de la coupe CSKA-Levski, Stoitchkov est suspendu au cours de la saison 85-86. Une fois de plus, l’adversité lui donne des ailes et les quatre saisons suivantes dans la capitale bulgare vont le révéler à ses compatriotes et à l’Europe entière. La chrysalide devient papillon. Itzo comme on le surnomme amicalement, est la coqueluche. Une vedette qui émerveille par sa technique transcendantale et pas sa rapidité d’exécution.

Le jour où Cruyff l’a découvert.

La saison 89-90 est particulièrement riche : 30 matches et 38 buts, ce qui lui vaut le Soulier d’Or européen du meilleur buteur. Douze mois avant ce trophée, Johan Cruyff voulait l’attirer à Barcelone contre qui il avait marqué trois fois en deux matches de Coupe d’Europe. C’était sans compter sur les arcanes du système politique et bureaucratique en place.

La transaction va prendre un an. Elle n’aboutit que grâce au laisser-passer spécial du président bulgare de l’époque, Todor Jivkov. Barcelone l’acquiert pour 4 millions de dollars. Un record qui tiendra jusqu’en 99.

« Nous étions en 1990. J’avais 23 ans en et j’étais le joueur le plus heureux du monde. J’atterrissais dans un des plus grands clubs d’Europe dirigé par une de mes deux idoles avec Penev. Il n’y a qu’une infime poignée de joueurs dont on peut dire qu’ils ont influencé ou influencent le football et Cruyff est indiscutablement de ceux-là. J’ai énormément de respect pour eux et pour lui en particulier ».

Ce qui ne va pas empêcher notre homme d’avoir plusieurs sérieuses prises de bec avec le Batave. Une relation amour-haine en quelque sorte. Itzo passera cinq années en Catalogne. Un lustre émaillé d’honneurs, de trophées et de très grands bonheurs : « J’ai passé de moments absolument formidables à Barcelone, avec en point d’orge personnel l’obtention du Ballon d’Or France Football en 94. Le plus grand honneur individuel pour un joueur. Ça dépasse tout ce qu’on peut imaginer. C’est un grand sentiment de fierté ».

La fierté, voilà bien un mot qui ne lui est pas étranger. En 91, la finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupe qui avait lieu à Londres et qui mettait aux prises Manchester United et Barcelone (2-1) n’allait pas être retransmise en Bulgarie. Qu’à cela ne tienne : Stoitchkov acheta personnellement les droits qu’il céda gracieusement à la télévision nationale!

Il écrase le pied d’un arbitre.

Mais tout cependant n’est pas à marquer d’une pierre blanche en Espagne. Chacun se souvient de sa suspension de trois mois pour avoir écrasé intentionnellement le pied de l’arbitre Orisar Aspitarte.

Même s’il avoue ne rien avoir contre les arbitres (« Mon témoin de mariage en était un! »), il ne supporte pas le corps arbitral (« Je déteste l’injustice. Et dès qu’il y a intervention humaine, il y a place pour l’erreur ».

La solution risque d’être difficile à trouver! Deux arbitres de champ, peut-être, comme en basket?  » Surtout pas », lance le rebelle. « Nous avons essayé ça avec les Chicago Fire l’an dernier lors de l’Open Cup et ce fut catastrophique. L’un disait blanc pendant que l’autre sifflait noir! »

Stoitchkov ne se sent-il peut-être pas suffisamment protégé par les hommes en noir? Les artistes du ballon tiennent souvent ce langage. « C’est sûr qu’on est visé mais cela étant dit, physiquement, je n’ai pas à me plaindre. Puisque jusqu’à l’âge de 32 ans, j’ai été épargné par les blessures graves. Depuis 97 cependant, j’ai été opéré deux fois du ménisque et une fois des ligaments. Mais c’est finalement bien peu dans une carrière et puis ça ne résultait pas de jeu dur. Pour en revenir aux arbitres, je crois que le problème essentiel c’est que beaucoup d’entre eux n’ont jamais joué au foot. Ils ne sentent pas le jeu comme un joueur ».

Et s’il pouvait changer une règle? « On jouerait sans referees (il rit). Non, franchement je ne vois pas ou alors peut-être remplacer le throw in par un coup de pied? A la rigueur. Mais les règles ne sont pas mal comme elles sont. Changer les détails ne servent à rien ».

La catastrophe parmesane : « Le calcio est surévalué ».

En 95, après une altercation (de plus) avec Cruyff qui voulait rajeunir les cadres, Stoitchkov met le cap sur l’Italie et sur Parme en particulier malgré le forcing de l’Inter Milan : « Ce fut une année très difficile. J’arrivais avec l’étiquette du meilleur joueur européen, d’un grand buteur et toute la presse m’attendait au tournant, avec des espoirs démesurés. Et puis, j’ai vite réalisé que j’avais plus signé avec Parmalat, le sponsor, qu’avec l’équipe de Parme elle-même. On m’a fait venir comme si j’étais une attraction foraine. Ça ne m’a pas plu. Je ne suis pas un produit commercial. Surtout que le jeu de Parme ne me plaisait pas : il était défensif, négatif. L’intérêt du public était limité. On jouait devant une dizaine de milliers de spectateurs, 15.000 parfois pour les grandes affiches. Pour moi, le football italien dans son ensemble est surestimé ».

L’expérience italienne tourne court et douze mois après, le Bulgare retrouve Barcelone avec plaisir. Il va y rester jusqu’en mars 98, y jouer 22 matches et y marquer 7 petits goals : « En un an, tout avait changé. Ce n’était plus pareil. Nous ne formions plus un groupe soudé. Les nouveaux joueurs n’étaient pas très ouverts, pas très communicatifs ».

Alors, contre toute attente, l’enfant prodigue revient au pays, dans le club de ses débuts pros, le CSKA Sofia. Mais le retour est de courte durée : deux petits mois seulement avant que l’envie de voir du pays ne le reprenne à nouveau. En juillet, il signe pour le club japonais de Kashiwa Reysol où il reste une saison (28 matches et 13 buts).

« Une bonne expérience dans l’ensemble », estime-t-il. « Un bon niveau de jeu. J’y ai côtoyé des joueurs qui font maintenant partie de l’équipe nationale. Le revers de la médaille, c’étaient les longs déplacements. Parfois 10 ou 12 heures. C’est fatigant et dur pour la famille. Et puis, je ne pouvais plus supporter de subir un tremblement de terre par jour » (il rit).

34 buts pour la Bulgarie.

La carrière de Hristo Stoitchkov est aussi intimement liée à l’équipe nationale pour laquelle il a joué 84 fois et scoré à 34 reprises. La Bulgarie fait immanquablement songer à la dramatique élimination de la France pour la phase finale de la Coupe du Monde 94 aux Etats-Unis. « Eh oui », sourit notre homme. « On a marqué le but de la victoire (1-2) la 92e minute. C’était à la fois inespéré mais pas miraculeux pour autant. Israël s’était bien imposé 1 but à 2 au Parc des Princes alors pourquoi pas nous? »

Avant la rencontre, Hristo avait promis qu’en cas de victoire, il rentrerait à pieds nus en Bulgarie! Promesse tenue?  » Non bien sûr mais je te garantis que cette nuit-là j’ai intensément arpenté les rues de la Ville Lumière. J’avais bien mérité l’avion le lendemain ».

Sur sa lancée, la Bulgarie va signer une magnifique campagne aux States en disputant le demi-finale après avoir éliminé la grande Allemagne. Il éclabousse le tournoi de toute sa classe, ponctuant sa prestation du titre de meilleur buteur (6 buts) ex-aequo avec le Russe Salenko. « La World Cup restera mon plus beau souvenir sous le maillot bulgare. Ce que nous avons accompli là-bas fut très grand ». Sans compter que ses exploits devaient, six ans après, porter d’autres fruits dans ce même pays.

Bernard Geenen à Chicago

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