Le gamin de Tertre

Pierre Bilic

L’international de Sclessin n’oubliera jamais le Borinage où se sont croisés ses aïeux polonais, irlandais, italiens et flamands.

L’or noir fume dans les tasses. Le café réchauffe les souvenirs alors que le froid et une petite pluie fine donnent un air de mélancolie à Tertre, un village de 6.000 habitants qui fait partie de Saint-Ghislain depuis 1977.

Lové le long de l’autoroute Bruxelles-Paris, entre Mons et la frontière française, Tertre a gardé, malgré la crise et un déclin qui engendra jusqu’à 33 % de chômage à travers le Borinage, pas mal d’usines qui rappellent son glorieux passé industriel. Il fut un temps où cette région comptait 120 puits à charbon, produisait 30 % de la houille belge. Jonathan Walasiak est accroché à son Borinage comme Jacques Brel l’était à son Plat Pays. Il y a même un canal à l’entrée de la localité. L’espoir de jours meilleurs y renaît.  » C’est chez moi, je m’y sens bien, j’adore y revenir, voir ma famille « , dit Jonathan Walasiak.

La concierge de son école primaire ne le reconnaît pas tout de suite. Même quand on n’a que 21 ans, le temps passe vite. La dame sort son appareil photo. Jonathan promet de lui faire parvenir des photos dédicacées. Sa terre familiale, ancien hameau de Baudour, doit son nom à un moulin à vent situé sur un tiette, un mot du dialecte borain qui signifie tout simplement un tertre. Devant l’église, un monument aux anciens combattants rappelle que des fils de Tertre ont donné leur vie pour la liberté en 1914-18 et en 1940-45. La rue de la maison de ses parents porte le nom d’un de ces héros : LouisGlineur.

Avant et après la Deuxième Guerre, des milliers d’immigrés vinrent prêter main forte aux ouvriers borains.  » A cette époque, mon père travaillait dans le nord de la France « , raconte Alain Walasiak, le papa de Jonathan.  » C’était une force de la nature. Solide comme le roc. Il ne se laissait pas marcher sur les pieds. Jonathan a de qui tenir « .

Le 1er septembre 1939, la Pologne est envahie par les Nazis. Quand le cliquetis des armes se répand à travers toute l’Europe, le grand-père Walasiak quitte le nord de la France et se réfugie en Espagne au terme d’un long voyage.  » Son but était de rejoindre au plus vite l’Angleterre afin d’y prendre les armes « , dit Alain Walasiak.  » Ce ne fut pas si simple car il fut fait prisonnier par le régime espagnol, celui du général Franco, proche des idées de l’Axe. Cela a fini par s’arranger et, libéré, il trouva une place dans un cargo à destination de l’Angleterre « .

A peine arrivé au pays du smog, il se fit un devoir de rejoindre la 8e Armée britannique. Jonathan Walasiak écoute avec grande attention. Les aventures d’un footballeur, aussi doué et médiatisé soit-il, ne sont rien à côté des destinées de ces hommes qui donnaient leur vie pour la liberté.

Langue anglaise

 » Je mesure très bien tout cela « , dit le joueur du Standard. Après une petite période de formation militaire, le grand-père de Jonathan se retrouve en Afrique du Nord.  » Il était opérateur radio « , continue Alain Walasiak.  » Il a pris part à toutes les grandes batailles de Libye et d’Egypte avant de débarquer en Italie. Là, les troupes anglo-polonaises se sont distinguées, durant quatre mois, de janvier à mai 1944, à Monte Cassino. En fait, ce sont surtout les forces polonaises qui ont donné leur sang et gagné cette célèbre bataille. La Belgique était encore loin de ses idées. Après la victoire et sa démobilisation, mon père rentra en Angleterre. Là, il y rencontra sa femme, d’origine irlandaise. Ils se fixèrent à Wigan, entre Manchester et Liverpool. Mais la vie des ouvriers y était assez précaire, plus dure qu’en Belgique. Les s£urs de mon père avaient quitté le nord de la France pour le Borinage. Il décida de les rejoindre et vint travailler dans les charbonnages de Tertre. C’était un regroupement familial. Je suis né en 1960, ma s£ur en 1952, et à la maison, nous parlions anglais. Officiellement, je m’appelle Alan mais je suis Alain pour tout le monde. Ce passé familial m’a aidé car, plus tard, après avoir été ferronnier, je suis entré au SHAPE en tant que pompier. La connaissance de l’anglais fut un atout mais je ne parle hélas pas polonais. Mon père a battu des records de production. Il était payé au mètre cube de charbon arraché à la taille. A la longue, il l’a payé car la silicose l’a emporté. Si Jonathan est timide, ce que son grand-père n’était pas, il a hérité, il me semble, de sa force de travail « .

La maman de Jonathan, Miranda, est la fille d’un mineur italien et d’une flamande. Là aussi, le travail a attiré ces gens vers le Borinage. Tous ont laissé pas mal de descendants. Jonathan a des oncles et des cousins un peu partout autour de Tertre. Pour eux le sport était important. Alain Walasiak joua au football dans sa cité, disputa des Pologne-Belgique ou des Pologne-Italie dignes d’une véritable Coupe du Monde avant de signer une carte d’affiliation au FC Hainaut Sport Tertre où il fut un médian polyvalent. Après avoir été militaire de carrière durant deux ans, Alain Walasiak, que tout le monde appelait évidemment… Wali, joua en Promotion et en Provinciales au Standard Pâturages (le père de Laurent Wuillot était son équipier), à Nimy et au FCH de Tertre-Hautrage où il taquine encore régulièrement le ballon avec les vétérans.

Le foot était donc le credo de cette famille. Né le 23 octobre 1982, Jonathan avait cinq ans quand le médecin de la famille lança une section de Diablotins à Tertre. Jonathan y signe sa première carte d’affiliation. Un an et demi plus tard, Mons frappait à sa porte. Ce fut un pas important et le gamin y progressa beaucoup sous les ordres de Jacques Urbain, Jo Van Pyperzeele, actuel directeur des jeunes de Mons, et de Dominique Cuvelier.

Un mini JPP

 » J’ai réalisé son transfert à Mons « , se souvient Jo Van Pyperzeele.  » Je l’ai découvert lors d’un tournoi avant de le revoir trois fois à l’£uvre. Le petit Jonathan Walasiak était un Jean-Pierre Papin en miniature. A l’époque, il était crollé et tout blond. Il marquait comme il respirait. La qualité de frappe était déjà très impressionnante. J’avais rarement vu cela. Mais Jonathan était surtout un gamin bien éduqué. J’associe totalement ses parents à sa réussite. Quand le Standard s’est intéressé à lui, son papa m’en a tout de suite parlé. Mons jouait alors en D3 et Jonathan était destiné à jouer un jour parmi l’élite. Roger Henrotay, Christian Labarbe et AlainBlondiau le voulaient absolument. Le papa de Jonathan a un peu hésité. Il était si jeune et il fallait parcourir plusieurs fois par semaine cette distance entre Sclessin et Tertre. Mons et le Borinage, c’est la même chose. Mais Liège, c’était le bout du monde même s’il y a toujours eu beaucoup de supporters du Standard chez nous. Finalement, ils ont franchi le Rubicon et cela a donné des fruits : ils l’ont bien mérité. Je suis fier d’avoir découvert ce joueur et ce gamin qui est devenu un homme attachant et positif. A mon avis, sa progression ne fait que commencer. Jonathan est un exemple à suivre pour les jeunes de sa région « .

Toujours à Mons, durant ses années de Pré-Minimes, le petit Borain fut entraîné par Jacques Urbain et Dominique Cuvelier, l’ancien entraîneur adjoint des Dragons.

 » J’ai tout de suite été impressionné par son attitude générale « , confie Dominique Cuvelier.  » Ses affaires étaient toujours bien rangées. J’ai demandé à son père qui faisait son sac. C’était Jonathan lui-même. Il se distinguait par rapport aux autres. Jonathan avait un but : devenir footballeur professionnel. Il avait l’esprit grand club et il ne fallait pas lui dire deux fois la même chose. Je me suis rendu à Neerpede avec lui et son papa. Anderlecht lui a fait passer des tests et Hippolyte van den Bosch dénicha un petit défaut : -Il a tout sauf un pied gauche. Anderlecht hésitait, voulait le revoir et ne lui proposa qu’un contrat d’un an. Son papa estimait que c’était trop peu pour passer de Mons à Anderlecht.

 » Quelques années plus tard, le Standard s’imposa face aux Mauves en finale du championnat des Scolaires nationaux : 3-2, trois buts de Jonathan pour les Rouches « , continue Dominique Cuvelier.  » Hippolyte van den Bosch vint me trouver : -Malgré toute mon expérience, je me suis trompé.  » Il n’est évidemment pas facile de cerner tout le potentiel d’un gamin. Aujourd’hui, Jonathan a tout, même un pied gauche « .

 » Son papa a bien géré son début de carrière « , note de son côté Jacques Urbain.  » Ses décisions étaient logiques et saines. Sa réussite, car on peut parler de réussite, même si elle doit être confirmée toutes les semaines, me fait penser à celle d’ Enzo Scifo et de Salvatore Adamo. Les pères de ces stars ont su être présentes à côté de leur enfant au bon moment. Salvatore Adamo a grandi à Jemappes, pas loin de Tertre, dans le même genre de quartier que celui de Jonathan Walasiak. Le père de Salvatore a étayé les débuts de son fils. Alain Walasiak en a fait de même « .

A 13 ans, Jonathan Walasiak se retrouve donc au Standard. C’est un autre monde par rapport à la région de Mons-Borinage. Son père use quelques voitures avant que Jonathan ne s’installe à l’internat de l’Air Pur, sur les hauteurs de Seraing. Pour sa maman, Miranda, une autre vie commence aussi. Pas rigolo de lâcher le gamin dans la nature.

Le déclic au Heysel

 » On s’y fait mais c’est difficile « , se rappelle-t-elle.  » C’était son rêve. Je le retrouvais le week-end avec son linge, les petits plats que je lui préparais pour la semaine. Il a aussi habité près du Pairay, toujours à Seraing, avec un autre jeune du Standard : AntonyPasqualino. Les commerçants du coin et les voisins l’aimaient bien mais c’était quand même un quartier à risques. Le milieu n’était pas loin. A Angleur, maintenant, c’est parfait « .

Tout le monde sait que la maman de Jonathan et toute la famille a pleuré quand Jonathan marqua son premier but en D1. C’est Tomislav Ivic qui le reprit dans le groupe et le lança en D1 face à l’Antwerp. Michel Preud’homme l’y confirma, Robert Waseige insista pour qu’on ne le transfère pas à La Louvière malgré un accord verbal pour une location chez les Loups, Dominique D’Onofrio compte beaucoup sur lui.

 » Ce sont des impulsions très importantes « , reconnaît Alain Walasiak.  » Tous ont apporté ou apportent encore beaucoup à Jonathan. Mais le grand déclic fut sa première convocation pour les équipes nationales de jeunes au Heysel. Jonathan avait 16 ans. Patrick Wachel, l’actuel adjoint d’ Ariel Jacobs à La Louvière, l’avait remarqué. Grâce à cela, il a acquis un autre statut au Standard qui a mesuré son potentiel. Avant, il n’était qu’un joueur parmi les autres « .

Sa maman écoute attentivement. Elle sait évidemment que Jonathan ne se confie pas facilement à autrui. Mais, timide ou pas, il est d’abord têtu. Sa vie et son avenir, c’était le football, rien que le football. Les études passèrent vite au second plan. Les parents s’en inquiétèrent. Avec le temps, Jonathan développa de plus en plus sa personnalité. Un jour, il rentra à la maison et expliqua à sa mère qu’il voulait se faire tatouer un scorpion, son signe zodiacal. Elle préférait qu’il oublie cette éventualité mais Jonathan passa outre. Il arbore aussi un magnifique brillant à l’oreille qui lui va fort bien et doit sûrement plaire à Monique, son amie liégeoise d’origine polonaise. Son père avait promis de lui arracher l’oreille. Il n’en fut rien, évidemment car Jonathan n’est plus un enfant.

Sa s£ur, Roxane, 17 ans, joue au volley et aimerait voir plus souvent son frère. Les jeunes de Tertre lui demandent souvent des nouvelles de son célèbre frangin.

Son grand-père était payé au mètre cube de charbon arraché à la taille. Jonathan a hérité de sa force de travail.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire