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Le footballeur écolo

 » Le changement climatique est l’un des plus grands problèmes de notre ère « . C’est le genre de phrase qu’on n’attend pas spécialement d’un footballeur pro. Rencontre avec Mathieu Flamini, qui a longtemps caché sa double vie à ses équipiers d’Arsenal et de l’AC Milan.

Il fut une époque où, après leur carrière, les footballeurs professionnels achetaient un café dans les environs du stade pour continuer à exploiter leur renommée pendant quelques années encore. Fernand Boone, gardien du Club Bruges de la moitié des années ’50 au début des années ’70, avait acquis un tout petit café juste en face du  » Klokke « . Après chaque match, il se dépêchait de rentrer pour servir des chopes. Au début des années ’80, lorsque Steve Davis et Stephen Hendry conquirent le monde, des sportifs belges investirent dans des salles de snooker. D’autres cherchèrent leur salut dans un magasin de sport.

Dans la génération actuelle des Diables Rouges, il est de bon ton de préparer une reconversion dans les branches les plus diverses. Kevin De Bruyne investit dans l’immobilier et a lancé sa ligne de vêtements, Axel Witsel est co-propriétaire d’une entreprise aéronautique, Vincent Kompany a lancé sa boîte de relations publiques et de communication, il loue aussi des limousines exclusives… Le fil rouge de tout cela : battre le fer tant qu’il est chaud et penser à l’avenir.

Le Français Mathieu Flamini (33), devenu équipier de Christian Benteke à Crystal Palace la saison dernière, est allé plus loin : en 2008, il a lancé une entreprise bio-chimique qui vise à une meilleure protection de l’environnement.  » Au début, c’était une échappatoire, un moyen d’éviter les hauts et les bas d’une carrière footballistique en pensant à autre chose « , déclarait en primeur Flamini à The Sun, en novembre 2015.  » Mais c’était aussi un défi intellectuel. Le changement climatique est l’un des plus gros problèmes de notre ère.  »

Pendant sept ans, Flamini avait réussi à cacher sa double vie. Ses équipiers à Arsenal, où il avait déjà joué de 2004 à 2008 et qu’il avait retrouvé à l’été 2013, s’étonnaient parfois de le voir arriver à l’entraînement en costume.  » Que se passe-t-il, Mathieu ? Le match, c’est seulement le week-end prochain…  »

Flamini rigolait mais ne disait rien. Après l’entraînement, alors que ses équipiers se jetaient sur leur console ou postaient des photos de leur WAG sur Instagram, le Français appelait ses collaborateurs dans les locaux de sa firme en Italie, aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis. À 31 ans, il avait compris qu’il ne serait jamais agent de joueurs et que son nom ne s’ajouterait pas à la longue liste des consultants. Son avenir était à la direction de l’entreprise dont même ses parents ne soupçonnaient pas l’existence avant 2014.  » J’avais investi énormément d’argent et je voulais savoir si ce serait une réussite « , dit-il.  » Bien entendu, au début, ils étaient inquiets mais aujourd’hui ; ils sont surtout fiers.  »

GF Biochemicals

À l’automne 2008, quelques mois après ses débuts à l’AC Milan, Mathieu Flamini rencontre l’économiste Pasquale Granata en Lombardie. Ils discutent et constatent rapidement qu’ils partagent la même passion pour l’environnement, le changement climatique et le réchauffement de la planète. Ils décident de faire quelque chose ensemble. Des amis des universités de Pise et de Milan leur parlent des applications industrielles de l’acide lévulinique, un produit naturel que l’on peut retrouver dans les médicaments, les cosmétiques, les carburants bio et les plastiques renouvelables. Il y a dix ans déjà, le Department of Energy américain a placé l’acide lévulinique sur la liste des briques chimiques écologiques, dont le potentiel est énorme et qui constituent une alternative bonne pour l’environnement dans les applications quotidiennes.

Dans un premier temps, les deux amis laissent tomber le nom original de leur entreprise – Green Futures – et baptisent leur enfant GF Biochemicals, le G voulant dire Granata et le F, Flamini. Le joueur, qui a fait un an de droit à l’université de Marseille avant de quitter l’OM pour Arsenal, a investi des millions dans la recherche et, après sept ans, cela a engendré un processus de production d’acide lévulinique à partir de déchets de l’industrie du bois et de la culture du maïs.

 » Nous sommes la première entreprise au monde à produire ce produit biologique à grande échelle, même si notre patience a été mise à rude épreuve. Une fois l’usine lancée, il a fallu arrêter constamment les machines afin d’analyser les données et améliorer le produit « , dit Flamini qui, avec son partenaire, a fait breveter le processus de production.  » Nous n’en sommes encore qu’au début mais ce nouveau marché vaut potentiellement 30 milliards d’euros « , ajoute Flamini qui emploie 80 personnes dans son usine de Caserta (à une demi-heure de voiture de Naples) et compte environ 400 collaborateurs de par le monde.

The BioJournal

 » Je suis très fier de pouvoir procurer du travail à une région de l’Italie qui a beaucoup souffert de la crise « , dit le Corse qui, l’an dernier, a repris une bio-entreprise américaine (Segitis) et a lancé The BioJournal – un magazine en ligne qui se consacre à un mode de vie durable.

 » J’ai pris des risques financiers mais opter pour une carrière de footballeur était tout aussi incertain. Celui qui ne prend jamais de risque ne réussira jamais. De plus, ma carrière footballistique m’a, en quelque sorte, préparé au monde des affaires. Arsène Wenger a été mon mentor sur ce plan. C’est un homme sage et calme qui ne prend jamais de décision quand ça chauffe « , dit Flamini, qui a adapté son mode de vie à ses activités. Il roule dans une Mercedes hybride, recycle les déchets et est végétarien.

 » Ce n’est pas parce qu’on s’occupe d’environnement qu’on doit revoir sa qualité de vie à la baisse mais une voiture roule tout aussi bien au bio-carburant « , dit le médian français qui, après une saison moyenne à Crystal Palace, doit se chercher un nouveau club.  » Je veux encore jouer quelque années avant de me consacrer totalement à notre entreprise, où je m’occupe surtout de la stratégie « , dit-il.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTO BELGAIMAGE

 » Nous n’en sommes encore qu’au début mais ce nouveau marché vaut potentiellement 30 milliards d’euros  » Mathieu Flamini

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