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 » LE FOOTBALL ROMANTIQUE, IL FAUT OUBLIER ÇA TOUT DE SUITE « 

Il n’aime ni le foot dogmatique et ses systèmes prédéfinis ni les statistiques. Il préfère observer, analyser avant de passer à l’action. Quitte à se faire quelques inimitiés. Rencontre avec le franc-parler de René Weiler.

Certains confrères avaient tenu à nous mettre en garde :  » René Weiler, c’est pas un comique. Faites attention qu’il ne se barre pas dès la première question qui ne lui plaît pas « . Alors, quand on a appris que l’interview ne devait pas dépasser 30 minutes, on n’était pas des plus optimistes. Et pourtant, plus d’une heure plus tard, on a mis fin à l’enregistrement. L’entraîneur suisse avait apparemment envie de s’exprimer…

Depuis votre prise de fonction, on vous a vu effectuer différents essais. Est-ce qu’à l’image de l’équipe, vous vous cherchez encore ?

RENÉ WEILER : On a changé de style de jeu parce que beaucoup de joueurs sont arrivés, d’autres sont partis, des joueurs décisifs pour le groupe. J’insiste sur une chose : ce n’est pas moi qui décide du système que l’on va jouer, ce sont les joueurs qui me disent quel système il faut jouer.

Après la victoire au Standard, vous êtes apparu satisfait du contenu. Vous avez noté une évolution ?

WEILER : Je ne vous dirai jamais qu’on est là où l’on aimerait être parce qu’on n’a pas encore eu suffisamment de temps. Mais effectivement, j’étais heureux après le Standard car on n’avait concédé quasiment aucune occasion. Mais on a encore besoin de temps pour les automatismes, pour intégrer de nouveaux joueurs et pour créer un style que tout le monde reconnaît.

Anderlecht a traversé les époques avec un style basé sur un jeu technique dont pas mal de supporters sont nostalgiques. Est-ce que cette vision un peu romantique correspond encore aux standards du foot actuel ?

WEILER : Il faut oublier ça tout de suite. Ce n’est pas la première fois que j’entends ça mais moi j’en rigole. Le foot, c’est un jeu, et on essaie de le gagner. Et le foot professionnel demande beaucoup de travail pour gagner ces matches. Mais quand le romantique vous dit comment il faut jouer, il faut tout de suite le réveiller : c’est fini ça. On peut attaquer avec une bonne circulation de balle, avec nos ailiers, avec des centres, mais me dire que la vision romantique est demandée par le public, j’en rigole.

 » IL FAUT ARRÊTER DE REGARDER LES STATISTIQUES  »

La possession de balle, c’est une fin en soi pour vous ?

WEILER : Il faut gagner des matches et arrêter de regarder les statistiques. Prenons la possession du ballon par exemple : si je demande à mes deux défenseurs centraux de se passer le ballon, à la fin du match le défenseur central aura touché  » 250  » ballons. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Bien sûr que si tu as le ballon, tu ne vas normalement pas encaisser de but, mais attention : tu vas aussi marquer sur des erreurs de l’adversaire. Et donc de temps en temps, on peut aussi laisser délibérément le ballon à l’adversaire. La base, pour moi, c’est d’essayer de créer des occasions, d’avoir du poids dans la zone offensive, faire paniquer l’adversaire mais être aussi parfaitement en place en cas de perte de balle.

Comme vous l’avez dit en début d’interview, votre système dépend des joueurs dont vous disposez.

WEILER : En été, j’aime aller nager tous les deux jours. Et donc ma femme qui ne sait pas nager doit nager avec moi. Pourquoi ? Parce que c’est le système René Weiler qui est comme ça… Mais c’est tellement bête de penser comme ça. Si le système René Weiler, c’est de jouer en contre alors que je ne dispose d’aucun joueur rapide, d’aucun joueur qui prend la profondeur, c’est ridicule. Il faut arrêter de penser comme ça ! Je me répète : ce sont les personnes qui vont dicter le système que l’on va utiliser. Si demain, on part en week-end à trois et que vous deux vous avez envie d’aller en boîte mais moi je préfère faire du sport. Alors ? Il faut arriver à trouver le bon compromis non ? Et ça, c’est quelque chose d’essentiel pour moi. Dans le foot, on parle aujourd’hui trop de système. Je peux vous montrer quelque chose (ndrl, il prend notre carnet de notes et dessine une composition d’équipe). Là j’ai un attaquant de pointe et seulement 10 joueurs de champ. Si je mets le dernier joueur ici, c’est un 4-4-2, mais si je le mets ici.

C’est un 4-5-1…

WEILER : Un 4-5-1 ? Moi je dis, un 4-2-3-1. Tout ça c’est rigolo. Si je remarque que l’adversaire joue très bien quand on a le ballon, je vais devoir changer de dispositif, même chose en perte de balle. Il n’y a rien de figé. On a toujours un système que l’on préfère mais il faut être très flexible et il faut avoir plusieurs systèmes en tête.

 » LE PRESSING, C’EST UNE QUESTION DE VOLONTÉ  »

Mais vous demandez quand même à la direction de transférer des joueurs qui correspondent à un style de jeu que vous aimeriez appliquer ?

WEILER : Ça, c’est clair. Mais il faut être capable de changer le style si ça ne fonctionne pas comme prévu.

On vous a quand même présenté comme un adepte d’un pressing haut ? C’est intéressant pour vous de récupérer le ballon très haut et d’avoir en face une défense hors-position ?

WEILER : Le pressing, c’est une question de volonté. Et avoir de la volonté c’est aussi une qualité chez un joueur. Pour faire un bon pressing il faut donc disposer des joueurs adéquats. J’aimerais bien gagner le ballon plus haut, être dans le box adverse plus vite mais si tu joues face à une équipe qui joue très bas, il faut aussi savoir s’adapter. Il faut accepter le jeu de l’adversaire.

Vous insistez sur le fait que vos joueurs courent un certain nombre de kilomètres par match.

WEILER : Oui, c’est juste. Mais là aussi, je ne demande pas de courir des kilomètres pour courir des kilomètres. Tu peux avoir un joueur qui court 13 kilomètres sur un match mais se dire : mais qu’est-ce qu’il fait celui-là ?Il court où ? Il cherche quel espace ? Je préfère un employé qui travaille 4 heures par jour mais de façon efficace que celui qui est là de 7 h à 20 h mais qui ne fait rien de productif. Il faut donc être prudent avec les statistiques. Je répète aux joueurs qu’ils font un métier extraordinaire mais qu’il faut donc tout donner. Ça veut dire qu’il faut travailler le foot. Si t’es un joueur avec beaucoup de technique, il faut la montrer mais avant ça il faut bosser, il faut donner des courses gratuites, créer de l’espace pour les autres. Ce sont les onze joueurs qui doivent intégrer ça. Il faut donc beaucoup travailler pour à la fin donner du spectacle, être romantique (il rit).

Quelle différence faites-vous entre la Belgique et l’Allemagne ?

WEILER : En Allemagne que ce soit en première ou deuxième division, c’est très athlétique…Et, nom de dieu, les Allemands quand ça concerne le sport, ça ne rigole pas, ça travaille. Il n’y a que la victoire qui compte, même à l’entraînement. Ici, c’est quand même plus relax. Mais c’est peut-être aussi un avantage. Car si t’es trop tendu, tu peux te fermer comme les Allemands.

 » C’EST AUX JOUEURS DE S’INVESTIR  »

Thorgan Hazard a dû attendre près d’une saison et se développer physiquement pour s’imposer à Mönchengladbach. Est-ce que le foot belge a des lacunes au niveau athlétique ?

WEILER : Je ne peux pas dire s’il y a un problème en Belgique mais je peux vous dire qu’en Allemagne, tout ce qui concerne le travail physique, est très très dur. Ici, à Anderlecht, on a des joueurs qui sont techniquement forts, on a des joueurs qui sont physiquement forts mais il faut arriver à ce qu’ils soient complets. Mon but est de tirer le maximum des personnes avec qui je travaille. Si quelqu’un est techniquement fort mais qu’il ne travaille pas assez, j’ai envie de lui dire : t’as peut être 5,10,15 ans pour gagner ta vie avec le foot, ce qui est magnifique, mais maintenant il faut tout faire pour t’investir dans ton métier. Si j’ai un travailleur qui n’est pas capable de jouer des deux pieds, qui n’est pas capable de jouer long, etc, c’est beaucoup plus difficile. Mais celui qui est fort mais qui ne travaille pas assez va peut-être réaliser une bonne carrière en Belgique ou signer dans un club moyen en Allemagne. Mais s’il intègre le sens du mot travail, il peut aller très haut aussi. Et c’est le message que je veux faire passer. Mais c’est aux joueurs de s’investir, de tout donner.

On vous a présenté comme le nouveau Jürgen Klopp. Qui sont vos références en matière de coaching ?

WEILER : J’ai déjà salué des coaches comme Klopp ou Thomas Tuchel mais je ne les connais pas. Je ne sais pas comment ils travaillent en groupe ou individuellement, je ne peux pas dire que je suis influencé par eux.

Quand vous regardez un match à la télé, vous ne prenez pas de notes quand quelque chose vous plaît ?

WEILER : J’observe comment un entraîneur dirige son équipe pendant le match. C’est l’aspect émotionnel, le cirque qu’il y a autour, qui m’intéresse.

Quand vous étiez plus jeune, vous n’aviez pas de modèles ?

WEILER : Je me suis inspiré de coaches que j’ai connus comme joueur. Mais je me suis surtout toujours inspiré de mon environnement, de mon voisin, de la personne que je croise au restaurant, etc : lui il est sympa, lui est bizarre, il parle trop fort, etc. Je pense qu’il faut profiter de toutes les influences. Apprendre de tout le monde, des bons exemples, des mauvais exemples.

 » LES JOUEURS NE SONT PAS DES AMIS  »

On a souligné votre main de fer en début de saison suite à vos clashs avec Okaka, Kara ou De Maio. Herman van Holsbeeck, qui se plaignait ces deux dernières saisons d’un déficit au niveau de la mentalité, vous a-t-il demandé de faire le ménage dans ce club ?

WEILER : Non, il ne me l’a pas dit comme ça. Mais il m’a dit qu’il y avait beaucoup de choses qu’on devait essayer de changer. Moi, je suis un type qui observe les choses. Mon frère ne voyage jamais mais pourtant il va me dire : les Belges sont comme ça, pensent comme ça. Il lit, il va sur internet. C’est comme le journaliste qui n’est jamais à l’entraînement mais qui me dit qu’il faut jouer avec tel ou tel joueur. Moi je veux observer de mes propres yeux. Les joueurs ne sont pas des amis, ce sont des employés. Dans le cas d’Okaka, je me suis dit que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça. Qu’est-ce que la police fait habituellement quand il y a un problème ? Très souvent, ils vont faire un exemple en embarquant le plus petit, le plus gentil. Mais il faut attraper plutôt celui qui est dangereux, celui qui est fort. Je ne regarde pas les noms. J’observe et j’essaie d’être juste et je ne cherche pas à me faire des amis ou à faire des alliances avec les journalistes.

Comment définiriez-vous le fait d’avoir une bonne mentalité ?

WEILER : Si un joueur demande de sortir à la 75e après avoir marqué deux buts et être ovationné, car il est un peu fatigué, etc, ce n’est pas un bon signal. Le joueur qui a une bonne mentalité va se dire : je reste, je marque un troisième. Avoir une bonne mentalité c’est vouloir gagner tous les matches : à l’entraînement, en coupe, en championnat. Celui qui a une mentalité moyenne, il va se trouver un bobo quand ça va moins bien, il va demander de sortir. Celui qui a une bonne mentalité va se dire : il faut aider les jeunes, il faut travailler sur le terrain, gagner des duels, même si ça ne tourne pas comme prévu.

Peut-on changer la mentalité d’un joueur de 28 ans par exemple ?

WEILER : Oui, j’ai déjà remarqué que la mentalité avait changé. C’est pas moi René Weiler, c’est nous tous. Mais je dois montrer la voie à suivre et certaines personnes vont me suivre et d’autres vont se dire que ça ne les intéresse pas. Je veux accompagner des joueurs mais je ne veux pas changer les joueurs. Mais j’aimerais que le joueur se dise : est-ce qu’il serait possible de jouer un jour en Espagne, en Angleterre. Ça doit être l’objectif de tout le monde. Et si tu n’y arrives pas, c’est uniquement de ta faute. Si demain, je choisis une femme qui n’est pas faite pour moi et qu’à chaque fois que je vois mes amis, je leur dis : au lit elle est catastrophique, je peux pas discuter avec, etc. Mes amis vont me dire : mais quelle femme as-tu choisie ? Mais c’est toi l’unique responsable de ce choix. Dans le foot, on discute tout le temps des entraîneurs mais si tu ne disposes pas de joueurs qui sont justes, tu peux faire ce que tu veux, tu n’as aucune chance.

Selon un journaliste allemand, le foot n’est pas votre priorité numéro un ?

WEILER : C’est vrai. J’ai fait des études de journalisme en Suisse en ce sens. Le foot a quelque chose d’extraordinaire, de très intéressant mais d’un autre côté horrible. Je ne me sens pas bien dans ma peau si j’imagine avoir l’obligation de rester plus de dix ans comme coach. J’aime avoir la liberté de penser que je peux faire d’autres choses. Et si je sens que je ne suis plus heureux, je veux pourvoir dire stop et passer à autre chose. Je veux avoir ce luxe-là.

PAR THOMAS BRICMONT ET ALAIN ELIASY – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Je préfère un employé qui travaille 4 heures par jour mais de façon efficace que celui qui est là de 7 h à 20 h mais qui ne fait rien de productif.  » RENÉ WEILER

 » Je m’inspire de mon environnement, de mon voisin, de la personne que je croise au restaurant.  » RENÉ WEILER

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