» Le football m’a sauvé la vie « 

L’ancien Diable Rouge évoque son combat contre le cancer, ses hauts et ses bas en Mauve, l’Italie, le foot belge, et son retour en D1.

A part les trous sur le parking, on se croirait revenu deux ans en arrière, lorsque Tubize évoluait en D1. Entre-temps, le club est retombé dans l’anonymat du football belge, se battant même, cette saison, pour sa survie en D2. C’est ici, à quelques kilomètres de son domicile de Clabecq, que Walter Baseggio, 32 ans, se remet de son cancer et a repris goût à la compétition. Dans l’ouate régionale, dans la quiétude d’un club de division inférieure. Egal à lui-même : toujours souriant et accueillant. Comme s’il se remettait d’une chute en vélo. Baseggio est revenu sur sa drôle d’année 2010, entre une faillite sportive et une maladie vicieuse qu’il a vaincue avec courage. Mais toujours avec le sourire. Aujourd’hui, il se reprend à rêver d’une fin de carrière au plus haut niveau. Une façon à lui de saluer la D1 une dernière fois.

Peut-on dire que vous avez retrouvé toutes vos sensations ?

Walter Baseggio : Oui. Pourtant, quand j’ai recommencé, j’ai eu un peu peur. Dans ma tête, je ne savais pas si j’allais retrouver le niveau. J’ai repris les entraînements en juillet et la compétition en septembre. J’avais pris du poids et les sensations dans mes jambes étaient différentes de ce que j’avais connu. Cependant, je n’ai pas baissé les bras. Je me suis toujours entraîné. D’ailleurs, depuis ma reprise, je n’ai pas subi de blessure : la preuve que j’ai toujours été en mouvement. Depuis le mois d’octobre, la machine roule. En novembre, je me suis vraiment senti aussi bien qu’avant. Mon jeu est resté le même. (Il rit).

Et vous vous faites à la D2 ?

C’est clair que c’est tout à fait différent. La D2 est plus difficile. Tu es un ancien de D1. Tu es la cible, le joueur que l’on surveille. On ne te laisse pas beaucoup d’espace. Les réflexes sont également différents. En D1, les attaquants sentent où et quand tu vas mettre la passe. En D2, il y a parfois un temps de réflexion. Le jeu est également moins spectaculaire, plus engagé.

La D1 a l’air de vous manquer…

Les ambiances surtout. Mais je ne me plains pas car j’ai toujours été bien accueilli en D2. Il faut toujours avoir la même estime pour l’adversaire.

Finalement, on a l’impression que l’envie de jouer prend le pas sur tout…

Il y a eu beaucoup de choses en un an. Je restais sur une bonne saison avec Mouscron et puis la faillite est arrivée quasiment en même temps que ma maladie. Mais j’ai toujours possédé un bon mental et affirmé que je reviendrais sur les terrains. Aujourd’hui, je ne me sens pas fini. Au contraire, je suis en forme et je ressens les mêmes sensations qu’auparavant.

Au moment où vous avez appris votre cancer, vous vous êtes dit que c’était la fin de votre carrière ?

Jamais. Je savais que je rejouerais. Point à la ligne. Je me demandais juste combien de temps j’allais rester sur le flanc. J’ai eu de la chance que cela se résolve vite. Même si avec un cancer, il faut toujours rester prudent.

 » Pendant cinq jours, je n’ai rien mangé. Et pourtant, j’ai pris quatre kilos « 

Vous vous sentez en rémission ?

Non. Je me sens bien. Je ne vis pas avec cette idée dans un coin de ma tête. Avec la médecine actuelle, on ne peut que penser positivement.

Vous vous rappelez le jour où on vous a annoncé le diagnostic ?

Oui. J’étais en train de faire mes tests physiques quand le médecin de Mouscron, le docteur Deceuninck, le père du journaliste de Studio 1, m’a dit que j’avais une boule dans la gorge. On a fait un prélèvement de liquide. En enlevant la thyroïde, on a vu qu’il s’agissait d’un cancer. Si on n’avait pas fait attention, en trois ans, cela se serait propagé dans tout le corps. Sans le suivi médical dans le football, on n’aurait peut-être jamais détecté à temps la maladie. Le football m’a en quelque sorte sauvé la vie.

Il a fallu passer par des moments douloureux…

Pendant un an, j’ai dû me passer de médicaments. Je gonflais. Mes mains étaient sèches. Je perdais de la peau. En 30 secondes, je m’endormais. Mais j’ai toujours gardé un esprit positif. Je me souviens que j’allais courir, même à ces moments-là. Dans un cancer normal, on subit des séances de chimio. Pour lutter contre celui de la thyroïde, le traitement était à base d’iode. Je devais rester pendant cinq jours, à l’hôpital, dans une pièce isolée. Je ne voyais que les médecins. Personne n’était autorisé à rentrer dans cette pièce. Je pouvais juste avoir mon ordinateur. Mais comme la pièce était capitonnée, le réseau internet ne passait pas beaucoup ( il sourit). Pendant cinq jours, je n’ai rien mangé et pourtant, j’ai pris quatre kilos, à cause de l’iode. Durant cette période, la famille a été d’un grand soutien. Cela m’a donné une force supplémentaire. Pourtant, ils étaient inquiets. Surtout ma femme : avec une petite fille de trois ans, ce n’était pas évident pour elle.

Votre monde s’est écroulé quand on vous a annoncé que vous aviez un cancer ?

Pas vraiment. Je m’étais préparé à l’avance. Une fois la boule dans la gorge découverte, j’ai cherché à m’informer. Et il y avait 90 % de chance que cette boule soit cancéreuse.

Votre objectif de rejouer vous a permis de positiver ?

Oui. Comme vous le dites : j’avais un objectif. Mon mental m’a aidé. Le fait d’avoir joué à Anderlecht, d’y avoir connu des hauts et des bas, d’avoir vécu la pression de l’intérieur, tout cela m’avait forgé un caractère et m’a permis de positiver et de supporter la maladie.

Votre traitement a finalement porté ses fruits…

Le jour où j’ai reçu les résultats de ma scintigraphie, je l’ai vécu comme un soulagement. Ma femme et moi, on s’est même mis à pleurer.

Le traitement vous a fait prendre du poids ?

En avril, je pesais 98 kg. Depuis lors, grâce aux médicaments et à l’effort physique, j’ai perdu 11 kg. Mais cela ne m’a pas effrayé. Durant toute ma carrière, j’ai combattu mon poids. Il suffisait de continuer le combat. Depuis que l’on m’a enlevé la thyroïde, je prends moins de poids.

Cette guérison et votre retour, c’est un peu un pied-de-nez à ceux qui vous traitaient de paresseux ?

Ceux qui me connaissent savent que je ne l’étais pas. Moi, je n’ai pas pris cela comme une revanche.

 » Il y a plus d’Italiens qui m’ont soutenu que de Belges « 

Avez-vous été soutenu par le monde du football ?

Certaines personnes se sont manifestées comme Enzo Scifo, Bertrand Crasson, Pär Zetterberg, Olivier Doll ou Stéphane Stassin. Mais vous savez comment cela se passe dans le monde du football. C’est un monde un peu hypocrite et individualiste qui t’oublie vite. J’ai reçu, par contre, beaucoup de soutiens des supporters. Et aussi d’Italiens. Je ne suis resté qu’un an à Trévise mais il y a plus de gens de là-bas qui m’ont téléphoné que de Belges.

Vous n’auriez pu rebondir qu’à Tubize, le club de votre région ?

Quelque part oui. C’est le choix du c£ur. Je me demandais aussi si ça allait bien se passer. J’avais l’opportunité d’aller en D1 ou à l’étranger, notamment en Suisse. Au mois de janvier, lorsque la maladie s’est déclarée et que je ne m’entraînais plus, j’ai reçu plus de propositions que d’habitude. Comme quoi…

Mais vous aviez peur de partir loin ?

Un peu. Je préférais rester dans la région. Et puis, je ne voulais pas qu’il y ait un malentendu. Dans chaque négociation, j’ai bien pris la peine de raconter ce qui m’était arrivé. Par respect. Au moins, à Tubize, ils étaient au courant et ils m’ont bien accueilli.

Est-ce que c’était naturel pour vous de boucler la boucle à Tubize ?

Boucler ? Peut-être. Je ne suis pas fini ! J’ai encore les capacités pour jouer en D1. Et croyez-moi, c’est plus difficile d’évoluer en D2 qu’en D1. Mon prochain objectif, c’est la D1. Je suis capable d’y arriver. De plus, le niveau de la D1 a diminué.

Si un club de D1 vous approche au mercato ?

Moi, ça me tente. J’ai discuté avec Tubize qui ne se montre pas contraire. Je me sens bien ici mais s’il y a une opportunité, Tubize ne fermera pas la porte. Et physiquement, il n’y a plus de problèmes. Je m’entraîne tous les jours comme un pro. La seule trace de ma maladie, c’est la prise de médicaments quotidiennement. Sans que cela me gêne. On m’avait dit qu’il allait falloir deux ans pour trouver la bonne dose, que je pourrais ressentir quelques effets secondaires, mais moi, je n’ai rien connu de cela.

Quand vous analysez votre carrière, vous ne vous dites pas que votre caractère entier et gentil vous a desservi ?

Peut-être. Mais je n’ai pas à me plaindre de ma carrière. Il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent dire qu’ils ont joué 12 ans à Anderlecht.

Pas de regrets d’être resté trop longtemps en Belgique ?

Non car c’est moi qui ai voulu cela aussi. En 1999, 2000, 2001, j’ai reçu beaucoup d’offres mais j’avais beaucoup de respect pour le président qui voulait que je reste. Anderlecht disputait chaque saison la Ligue des Champions. Cela ne servait à rien d’émigrer en France ou en Allemagne, dans un club du ventre mou. Sincèrement, en 2001, je pouvais partir dans de très bons clubs…

Et il n’y a pas un goût amer ?

Non, pas du tout. C’était mon choix. J’avais de bonnes conditions. J’avais confiance en moi. Or, c’est important d’être dans un bon environnement pour son épanouissement. A Anderlecht, j’étais une étoile montante, les supporters m’adoraient, on m’a confié le brassard de capitaine. Ça fait beaucoup, non ? Je me souviens que la Lazio et la Fiorentina me voulaient et on était proche d’un accord. Avec le recul, je ne regrette rien quand on sait que ces clubs ont connu des problèmes financiers par la suite.

Dans votre tête, vous préfériez un statut de leader en Belgique que d’anonyme à l’étranger ?

Voilà. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Il y avait aussi l’équipe nationale. A Anderlecht, j’avais le respect de 25.000 personnes dans le stade. Anderlecht, c’était un peu ma deuxième famille.

 » Le niveau du championnat a baissé de 20 % au moins « 

Mais vous n’êtes pas resté trop longtemps à Anderlecht ?

Ça se peut. Je pensais que je pouvais m’y imposer quand je suis revenu de Trévise, en janvier 2007. Je restais sur une bonne saison en Serie A. J’avais côtoyé des joueurs comme Kaka ou Patrick Vieira. Quand je suis revenu à Anderlecht, j’étais vraiment en pleine forme. Et là, je trouve qu’on ne m’a pas assez utilisé.

Vous en voulez à Frankie Vercauteren ?

Non car je ne suis pas rancunier. Chaque entraîneur pose ses choix. J’accepte mes défauts et ma part de responsabilité. Peut-être qu’à un moment, je tombais dans la facilité. Mais ce n’est pas une raison pour ne jamais m’essayer. Surtout qu’à mon retour d’Italie, j’étais vraiment bien.

Jusqu’à quand peut-on dire qu’on a vu le grand Baseggio ?

2005. Cette année-là, on élimine encore Bordeaux en Coupe UEFA et on est sacré champion. On ne parle que de 2001 mais 2003 a également constitué un bon cru avec une bonne campagne en Ligue des Champions dans un groupe qui comportait le Bayern, Lyon et le Celtic. On ne peut pas dire qu’on n’était pas bons. En 2005, j’ai connu une deuxième partie de saison compliquée suite au changement d’entraîneur.

Qui a été votre meilleur entraîneur ?

On a connu de bonnes saisons avec Aimé Anthuenis et Hugo Broos mais les deux qui m’ont le plus marqué sont Johan Boskamp et Jean Dockx. Par contre, Arie Haan fut le plus bizarre. Il avait de drôles d’attitudes. Ses idées tactiques étaient… différentes.

Et Vercauteren ?

Pfffttt. Ce fut l’année la plus difficile. Il était adjoint et quand il a succédé à Broos, c’est devenu une personne différente. Cependant, je le répète, je n’ai aucune rancune. Si je le vois demain, je lui dirai bonjour sans problème.

Mouscron, c’est avant tout la rencontre avec Scifo…

A l’époque, Boskamp me voulait à Stoke. Des clubs grecs et de D2 italienne me courtisaient et puis, il y avait Enzo ! Il m’a décidé. Avec tout le respect que j’ai pour Mouscron, j’allais là-bas à 80 % pour Enzo.

Avec au bout du compte une faillite…

On sentait que cela allait finir de la sorte. Lors des dix derniers matches, on ne savait jamais si on allait jouer ou pas. Pour les jeunes, la situation n’était pas facile à gérer. Sans cela, on aurait pu terminer facilement dans les six premiers.

Avec la combinaison faillite et maladie, avez-vous eu envie de ne plus regarder de foot ?

Non, jamais. Le football, c’est toute ma vie. Je n’ai jamais vraiment coupé. Je regardais le foot à la télévision même si, par moments, avec ma maladie, je m’endormais très tôt.

Que pensez-vous du championnat ?

Pour moi, le niveau a baissé. De 20 %, au moins.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Le fonds de jeu. Prends le match d’Anderlecht à Zulte ! Il y a quatre ans, ce match-là, quand tu vois les occasions de Zulte, Anderlecht le perdait. Aujourd’hui, même en jouant mal, il le gagne. Même remarque quand tu vois Standard-Lierse. Le jeu du Lierse était vraiment faible. Charleroi, même chose. Avant, même dans une mauvaise passe, Charleroi n’était pas aussi mauvais.

Vous avez été frappé par quelques individualités ?

Oui, évidemment. Des joueurs comme Romelu Lukaku ou Jonathan Legear me font impression. Même si, pour Legear, j’aimerais bien qu’il réalise une fois un championnat entier. J’apprécie aussi les jeunes du Standard. Cependant, tous ces joueurs doivent encore évoluer. Lukaku est très costaud mais à son âge, je réfléchirais à deux fois avant de partir à l’étranger.

Qui sera champion ?

Anderlecht. C’est un peu le paradoxe du championnat. C’est Genk qui a montré le plus beau football en début de saison. Aujourd’hui, c’est Gand qui développe le plus beau jeu. Mais c’est Anderlecht qui occupe la place de leader. J’attends davantage des Mauves. J’ai vu des matches de Coupe d’Europe très mauvais. Contre Hadjuk Split, tu ne peux pas jouer comme cela.

Que pensez-vous du travail d’Ariel Jacobs ?

C’est quelqu’un que j’aime bien. Il est honnête, et quand il a quelque chose à te dire, il te le dit en face. Mais il lui manque quelques joueurs.

Vous regardez les championnats étrangers ?

Le championnat italien surtout. Supporter de Naples ! Ils viennent de gagner 1-0 à la 96e minute. Aaah ! Au niveau belge, j’aime beaucoup Eden Hazard et Thomas Vermaelen. A Cagliari, il y a un bon Belge : Radja Nainggolan.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » A Anderlecht, j’avais le respect de 25.000 personnes. « 

 » Depuis que l’on m’a enlevé la thyroïde, je prends moins de poids. « 

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