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« LE FOOTBALL EST PLUS QUE JAMAIS UN SPORT CÉRÉBRAL »

Ce soir, Francky Dury et Zulte Waregem peuvent se qualifier pour la finale de la Coupe de Belgique. Une nouvelle plume au chapeau du coach flandrien. Il nous parle de son métier.

Si c’est pour parler de sa vision des choses et de l’évolution du football, Francky Dury préfère qu’on se rencontre dans un restaurant plutôt que dans son vestiaire défraîchi. Menu trois services, salade de poulet, sole au beurre et expresso. L’apéro est offert. À chaque pas dans l’établissement, il doit se retourner :  » Hey, coach !  »

Francky Dury est citoyen d’honneur de Waregem. Grâce à lui, le club fusionné peut désormais envisager de s’installer dans le top 5 de Belgique. Ce qui se passe à Zulte Waregem ressemble à un petit miracle. Francky Dury est à la fois l’auteur et le personnage principal de ce conte qui a débuté en troisième provinciale, à Beveren-Leie.  » Hier encore, un intermédiaire m’a appelé pour me faire part de l’intérêt d’un grand club. J’en suis flatté mais j’ai pris des engagements, j’ai un projet à Waregem et il n’est pas encore terminé.  »

Petit à petit, toutefois, il touche au but.  » Il y a quelques années, on a affronté l’Ajax en Europa League. Un journaliste du Volkskrant est venu me voir et m’a dit que notre complexe d’entraînement était superbe. J’ai dû lui dire que c’était notre stade. Regardez où on en est aujourd’hui : on est en train de fermer les angles et notre complexe d’entraînement a tout ce dont nous avons besoin.

Vous êtes parti de rien à Zulte Waregem et vous en avez fait un club dont tout le monde se méfie.

DURY : Hormis le travail, il n’y a pas de secret. Pour moi, être coach tient en trois points :

1. Être heureux. C’est à dire former un staff avec lequel on puisse travailler.

2. Avoir une bonne relation avec son équipe. J’y consacre beaucoup d’énergie. La relation, c’est ce qui fait l’état d’esprit du footballeur.

3. Obtenir des résultats. J’ai beau être ami avec mes joueurs, si on ne gagne pas ensemble, on n’arrivera à rien.

Vous parlez de coach, vous n’êtes plus entraîneur ?

DURY : Je l’ai été. Aujourd’hui, je suis davantage un coach. Un entraîneur, c’est un technicien. Il s’occupe de technique, de tactique et de physique. C’est le triangle du football, celui qui sert à former un joueur. Mais au fil du temps, j’ai appris qu’il existait un autre triangle qui permet de former des athlètes. Là, les aspects émotionnel et mental comptent beaucoup. Mon rôle est de créer des habitudes chez les joueurs : un mode de vie, une attitude par rapport à l’alimentation, et à son corps. Bref, son état d’esprit.

Mais n’est-ce pas avant tout le joueur lui-même qui détermine son état d’esprit ?

DURY : Si, bien entendu. Mais il faut l’aider. Je leur raconte sans cesse l’histoire de James Rodriguez. Transféré de Monaco au Real Madrid pour 85 millions d’euros, il a voulu impressionner son entraîneur, Carlo Ancelotti, en se présentant au club dès le premier jour. Disons que l’entraînement avait lieu à midi et demi et que James est arrivé dès huit heures du matin. Il est allé à la salle de fitness en pensant être le seul mais lorsqu’il a ouvert la porte, il a vu qu’un équipier était déjà au travail : Cristiano Ronaldo. Un des meilleurs joueurs du monde est chaque jour le premier à l’entraînement parce qu’il sait que son corps d’athlète parfait ne s’est pas formé tout seul. Pour lui, travailler dur est devenu une habitude et c’est comme ça pour tous les grands joueurs. Je peux raconter ça à mes joueurs mais je dois aussi les encadrer. C’est pourquoi j’ai demandé au club de faire construire une salle de fitness de 300 mètres carrés et une piscine pour la récupération. Bref, de mettre les joueurs dans les meilleures conditions.

C’est en Italie que vous avez vu ça.

DURY : Les Italiens sont des inventeurs, des concepteurs et des gagneurs. Notre chiropracteur est le frère de Jean-Pierre Meersman, le responsable du service médical de l’AC Milan. Il m’a permis de visiter le Milan Lab. C’est là que j’ai vu pour la première fois comment on travaillait l’état d’esprit. Là, on teste absolument tout pour savoir comment un joueur a digéré un match. On lui colle des électrodes et on lit tout. Pour le cours de Pro Licence, on a rendu visite à la Juventus de Marcelo Lippi. Il a raconté qu’ils partaient du point de vue que leurs joueurs ne devaient pas faire preuve de leurs qualités mais que leur seule obligation était de gagner. On a assisté à l’entraînement. Un des élèves, Jan Ceulemans je crois, m’a dit : –Francky, en fait ils ne font pas autre chose que nous. C’était vrai mais pour ma part, j’observais surtout l’encadrement. Il y avait tellement d’entraîneur, une telle attention, un tel coaching… C’est grâce à ça qu’on peut insuffler un état d’esprit qui fait la différence. Parfois, à l’entraînement, j’organise des onze contre neuf. Je dis aux onze que tout leur est permis, qu’ils doivent juste marquer au maximum. Le groupe des neuf a deux consignes : une zone à défendre et deux touches de balle. Devinez qui gagne ? Les neuf car ils sont concentrés à 100 %, ils jouent plus vite et ils affichent une meilleure mentalité.

CRÉATIVITÉ

Avant de devenir coach à temps plein, Francky Dury était policier. Il analysait des scènes de crime. Il a conservé le coup d’oeil.  » J’analyse et j’innove sans cesse. C’est nécessaire car le football ne cesse d’évoluer et les clubs qui nous entourent aussi. Zulte n’a pas le budget le plus élevé de Belgique, il faut donc être créatif. Rien ne sert d’aller scouter un joueur à Rome. Je préfère transférer Souhalio Meité. Un jour, Lille m’a approché pour devenir entraîneur. Le club venait de transférer ce joueur d’Auxerre pour 2,7 millions. Il avait 18 ans ! Il n’a pas répondu à l’attente mais je ne l’ai pas oublié. J’ai parlé avec lui, il avait sept kilos de trop. Je lui ai dit : –Je crois en toi mais toi, que veux-tu ? Je lui ai donné une feuille de papier et j’ai dit : –Écris : je veux aller à Manchester United. Puis j’ai ajouté : –OK, je te donne un an et demi. Vous pouvez rigoler mais ce garçon n’avait plus de projet. Depuis, on a parfois eu des problèmes mais il m’a suffi de ressortir le papier. Il a 22 ans et c’est notre meilleur joueur. De très bons clubs européens le veulent.

Jusqu’à présent, vous parlez davantage d’état d’esprit que de tactique.

DURY : Le football est pratiquement devenu une science. C’est en tout cas comme ça que nous l’abordons, ce que même les grands clubs belges ne font pas. On a deux médecins, trois kinés, un diététicien, un coach mental et des collaborateurs externes proches de l’équipe comme un chiropracteur et un podologue. On passe chez nos joueurs célibataires pour voir si leur appartement est en ordre, s’ils ont besoin de quelque chose, s’ils mangent bien et sainement. Certains sont tentés d’aller acheter une pizza. Si ça arrive trop souvent, le diététicien intervient. Tout est tellement bien réglé que je suis en droit d’en demander un peu plus aux joueurs.

Vous leur demandez quoi ?

DURY : Qu’ils se consacrent au maximum au club. Nos joueurs doivent arriver le matin entre huit heures et neuf heures moins le quart. De neuf heures à dix heures moins le quart, ils travaillent individuellement en salle de fitness. Ils sont ainsi prêts pour l’entraînement, qui débute à dix heures. Si on s’entraîne deux fois sur la journée, je veille à ce que le temps de repos entre les deux séances soit suffisamment long. Ils ont une chambre. Car la récupération fait aussi partie de l’entraînement.

Vous avez joué à un échelon plus modeste. C’est grâce à ça que vous êtes davantage enclin à innover ?

DURY : Je n’ai jamais ressenti cette carrière modeste comme un frein. Elle m’a juste obligé à travailler un peu plus dur et c’est probablement ce qui m’a rendu plus créatif. Quand on a joué au plus haut niveau, les occasions de devenir entraîneur se présentent plus rapidement. Je suis content d’avoir pu prendre le temps d’évoluer. À tous les niveaux. Ça me donne beaucoup plus d’expérience. Co Adriaanse, un homme très intéressant et un entraîneur formidable, disait que le cheval ne faisait pas le cavalier. Il avait tout à fait raison.

Que veut le coach Dury ?

DURY : Pour moi, la possession de balle a toujours été la clef du succès. Elle permet de créer. Et puis, plus on a le ballon, mieux on est placé quand on le perd. On travaille beaucoup la qualité de passe et de frappe. C’est la base de notre football : un bon placement et des occasions. Pour ça, il faut s’entraîner ! Je n’aime pas les futilités. S’ils veulent faire des toros, qu’ils les fassent pendant leurs loisirs. Moi, j’ai autre chose à faire à l’entraînement. On travaille beaucoup selon des modèles, histoire de pouvoir répéter. C’est ça qui donne des certitudes. On joue en 4-3-3 qui peut devenir un 3-4-3. Les joueurs sont libres, à condition que tous les postes soient occupés. Ça, c’est sacré ! Je n’ai que quelques règles : l’axe doit être fermé, on doit avoir des possibilités sur les flancs et contrôler le ballon, même lorsqu’on n’est pas en sa possession. Dans ce cas, ça veut dire qu’il faut presser. Car c’est ça aussi, le contrôle. Il faut aussi pouvoir accélérer. Les joueurs sont libres d’entreprendre, ils ont droit à l’erreur. Car chaque but inscrit est le résultat d’une initiative. Mais il y a aussi la reconversion, à ne pas confondre avec la contre-attaque. En perte de balle, il faut retrouver rapidement son organisation pour pouvoir reprendre le contrôle du ballon. Je cherche toujours à traduire tout ça par des exercices à l’entraînement. Les exercices sont des problèmes que les joueurs doivent résoudre afin qu’ils sachent comment faire s’ils y sont confrontés en match.

Le football est un sport complexe ?

DURY : C’est un sport cérébral. Il faut plus que jamais pouvoir réagir vite, trouver une solution plus rapidement que l’adversaire. Qu’est-ce que les automatismes ? C’est le fait qu’un maximum de joueurs pensent la même chose au même moment. Je dois donc trouver des liens entre les défenseurs centraux et les médians, entre les arrières latéraux et les ailiers. Mon attaquant doit aussi bouger de façon complémentaire aux ailiers. C’est un processus auquel on travaille sans cesse. Passer, frapper, préparer des actions : tout se fait en mouvement, on ne peut jamais s’arrêter. Pareil pour le placement. Une touche, deux touches, deux touches obligatoires, pas de passe à celui qui vient de donner le ballon, reconversion permanente… C’est ainsi qu’on construit. Un coach, c’est un compositeur qui crée une symphonie mais il faut que l’orchestre puisse l’interpréter.

Votre orchestre est discipliné.

DURY : No discipline, no success. Avec moi, les joueurs n’arrivent pas en retard. Un jour, un d’entre eux a appelé le team manager. On partait à quatre heures pour un match et il était coincé dans un embouteillage près de la gare. Écoute, on peut être coincé dans un embouteillage à Londres, à Paris ou à Bruxelles mais pas un samedi après-midi à Waregem. J’ai dit : On démarre ! Ce garçon nous a suivis en voiture, s’est excusé et a dit : –Si vous avez besoin de moi, je suis là. On était menés 1-0 au repos, il est entré et a marqué deux buts. On a gagné. Pourquoi ? Parce que je m’entends bien avec lui. Je préfère le mot relation à discipline. La correction, la clarté, c’est ça qui fait les bonnes relations. Et avec mes joueurs, c’est comme ça que ça se passe.

C’est le coach qui doit faire en sorte que les relations soient bonnes.

DURY : Tout à fait d’accord ! Le coach doit d’abord réfléchir sur lui-même. Je suis responsable. Si je ne porte pas un oeil critique sur mon fonctionnement, je ne peux pas progresser. Trop de coaches pensent que l’équipe gagne grâce à eux mais quand elle perd, ce sont les joueurs qui n’ont pas compris la tactique. Moi, je ne connais aucun coach qui gagne quand son équipe perd. Quand mes joueurs perdent, je perds aussi. Et même encore un peu plus qu’eux.

Vous avez vécu de près la renaissance du football belge. Qu’est-ce qui a changé ?

DURY : Les Pays-Bas ont longtemps servi d’exemple à la Belgique. Ce n’est plus le cas. C’est peut-être dû au fait que les Pays-Bas ont investi plus vite dans de nouveaux stades tandis qu’en Belgique, ce n’est le cas que depuis une dizaine d’années. Avant ça, à des joueurs de talent comme Van Basten, Rijkaard, Gullit ou Koeman, on opposait notre mentalité. Sans le vouloir, nos mauvaises installations ont forgé le caractère de nos jeunes. Aux Pays-Bas, ils étaient mis dans de l’ouate alors que nos joueurs s’entraînaient sur des terrains que les Hollandais n’auraient pas voulu fréquenter.

L’époque du football dominateur est-elle révolue ?

DURY : Vous avez vu l’EURO ? Les pays qui voulaient prendre l’initiative ont été les premiers éliminés. Le Portugal n’a pratiquement pas touché un ballon mais il a été champion d’Europe. Un jour, à Milan, j’ai demandé à Clarence Seedorf quelle était la différence entre le football italien et le football hollandais. Il m’a répondu que les Italiens n’avaient pas besoin d’avoir le ballon pour gagner. C’est la réponse à votre question. Il faut voir l’évolution du football. À l’EURO, les équipes qui ont gagné avaient moins de possession de balle mais elles avaient un plan. Je pense qu’aujourd’hui, la flexibilité passe avant tout. On ne peut plus faire passer le beau jeu avant le résultat.

PAR MARTIJN KRABBENDAM – PHOTOS BELGAIMAGE

 » No discipline, no success. Avec moi, aucun joueur n’arrive en retard.  » – FRANCKY DURY

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