Le football belge n’est pas mort !

En passant par Shenyang, Shanghai et Pékin, les Diables ont réussi une campagne historique.

Il y a des images qui resteront gravées à jamais dans nos mémoires, comme ce tour d’honneur de toute une équipe de jeunots sur la piste d’athlétisme. Il y a des lieux qu’on n’oublie pas, comme ce Worker’s stadium (le stade des ouvriers) dont le nom symbolise à merveille les travaux d’Hercule entamés par la bande à Jean-François de Sart. Au panthéon du football belge, le Worker’s Stadium, situé dans le quartier à la mode de Pékin, à l’écart de la zone olympique, a rejoint Rome et sa finale de l’Euro 80, Leon, témoin du fabuleux 4-3 lors du huitième de finale de la Coupe du Monde 1986 et Puebla, lieu de mémoire par excellence puisque cette ville scellait la qualification historique de la petite Belgique pour les demi-finales de cette même Coupe du Monde 1986 (1-1 contre l’Espagne). Et il y a des atmosphères qui ne s’évaporeront jamais. Le parcours belge restera toujours attaché à la touffeur de Shanghai, la ville qui symbolise le mieux la modernité chinoise, à la ferveur de Shenyang, tout acquis à son équipe chinoise mais qui, dès le match suivant, contre la Nouvelle-Zélande, scandait à tue-tête Bilishi, Bilishi (Belgique en chinois).

Cette équipe Espoirs a atteint son Olympe. Il est désormais bien loin le temps où, à Anvers, devant 400 spectateurs, cette formation battait la Tchécoslovaquie. Oublié le formidable Euro qui, à juste titre, avait soulevé bien des espérances.  » On a grandi ensemble. Cette équipe est magnifique. Cela fait longtemps qu’on le dit mais là, on s’en rend vraiment compte. Par rapport à l’Euro d’il y a un an, on a encore mûri et cela se voit « , explique Sébastien Pocognoli.  » Si on est là aujourd’hui, ce n’est évidemment pas un hasard. Il y a eu depuis neuf ans un gros travail physique, psychologique et tactique « , confirme Jean-François de Sart.

Ce résultat constitue la bonne surprise de ces Jeux et pourtant, jamais, il n’a semblé aussi peu surprenant. Depuis leur arrivée en Chine, les joueurs n’ont cessé d’y croire. Faire mieux qu’à l’Euro, ne pas regretter, tout donner et surtout avoir confiance en ses moyens. Tels furent les leitmotive de cette bande de copains. Jamais, ce noyau n’a été atteint par les affaires (comme les départs de Marouane Fellaini ou de Vincent Kompany).  » Je les ai toujours maintenus à l’écart de tous les soubresauts. Ils n’étaient tenus au courant que des décisions finales. Mais quelque part, je n’avais même pas besoin de leur dire tellement ce groupe nageait en pleine sérénité et sait ce qu’il doit faire pour être performant « , ajoute de Sart.

Et quand il y avait des gestes de mauvaise humeur (comme le refus de Laurent Ciman de monter au jeu contre la Chine, à deux minutes de la fin), ils étaient rapidement évacués, tant par le groupe que par l’intéressé lui-même.  » J’ai commis une erreur. J’étais un peu frustré mais de Sart, lui, sait comprendre ma frustration. Il est à l’écoute de son groupe « , commente Ciman.

La revanche du nobody

Car ce succès est aussi celui d’un homme : Jean-François de Sart. Malgré le bon comportement de ses ouailles depuis neuf ans, son travail suscitait encore un peu de suspicion. Avant de partir en Chine, certains journaux n’avaient d’ailleurs pas manqué de le titiller en le qualifiant de nobody ou en jugeant ses entraînements légers (critique non fondée puisqu’en Chine, aucun entraînement n’a duré moins de deux heures). En canalisant la technique brésilienne, en ridiculisant l’Italie et en se montrant professionnel contre les petites équipes (Chine et Nouvelle-Zélande), de Sart a déposé son CV dans le microcosme du football. Et tout cela en gérant des événements extra-sportifs. Tout cela en se substituant à une Fédération qui a étalé son incapacité au fil du tournoi. On dit toujours que de belles performances ne se réussissent que dans des conditions idéales. Ce ne fut pas le cas pour la Belgique. Et le mérite de de Sart est d’autant plus grand qu’il a réussi, lorsque la tempête grondait, à mettre ses troupes à l’abri du vent.  » Pour s’exprimer, un bon groupe a besoin d’un bon entraîneur, et un bon entraîneur d’un bon groupe « , dit Maarten Martens.

 » Il nous fallait un grand chef, un guide. De Sart a tenu ce rôle à la perfection « , explique son adjoint, Jean-François Remy.  » Il a cette assurance, cette quiétude, qui rassure. Il continue son travail dans la même direction depuis des années. Il a construit une base et continue sur celle-ci. Malgré tous les événements qui lui sont tombé dessus, il a pris sur lui et a très bien géré la pression. On n’a pas toujours été dans les meilleures conditions mais ce groupe a pu renverser cela pour en faire un atout supplémentaire. Quant à de Sart, on ne le sent pas revanchard mais fier. C’est l’aboutissement de longues heures de travail dans l’ombre « . Propos corroborés par le reste du staff.  » Nous, on n’a rien vu des villes traversées « , ajoute le kiné Bernard Vandevelde,  » Rien de Shenyang, rien de Shanghai car le soir, après les entraînements, on continue à travailler. Chacun sait ce qu’il doit faire.  »

Car, le mérite de de Sart réside également dans sa conception du métier. Même si lui-même continue à travailler dans une banque, il a professionnalisé l’équipe Espoirs. En s’entourant notamment d’un staff renforcé. Alors que la Fédération privilégiait le travail en équipe réduite, de Sart a insisté pour s’adjoindre les services d’un préparateur physique, Mario Innaurato.  » C’est lui qui est venu me chercher. Lui seul. Il connaissait mon travail « , commente le préparateur. Aujourd’hui, Innaurato est un chaînon essentiel dans le succès de cette équipe olympique. Toutes les données concernant l’état physique des joueurs sont minutieusement analysées et alors qu’on craignait que les petits Belges ne suffoquent dans la fournaise chinoise, les voilà qu’ils se montrent fringants et frais. Même Jan Vertonghen qui avait souffert lors des tests à Louvain, a connu une adaptation facile.  » A Louvain, c’est surtout le masque qui me gênait mais c’est vrai que j’avais certaines appréhensions avant de partir.  » Lors de ce tournoi, Vertonghen a montré de la volonté et fut, sans doute avec Faris Haroun, le Diable qui a couvert le plus de kilomètres.

 » Ici, on rigole tout le temps « 

Quand on suit ce groupe pas à pas, la maturité de ces jeunes saute aux yeux. Maturité et rigolade peuvent aller de pair. La preuve.  » Pourquoi arrive-t-on à faire des résultats avec cette équipe et pas en A ? C’est toujours plus facile avec un groupe du même âge « , explique le capitaine Martens.  » En A, le niveau est plus élevé et ici, même si on a rencontré des oppositions coriaces, ce n’est pas encore le top. Vous savez, quand on rencontre le Portugal en A, on est confronté à ce qui se fait de mieux au monde. Pour le moment, il y a trop de jeunes en A. On ne peut pas tout nous demander. On doit encore grandir. Ici, on prend nos responsabilités parce qu’on en est capable. « 

Mais une des différences réside évidemment dans l’état d’esprit.  » Parfois, en A, on est timide, timoré « , tente Kevin Mirallas sans convaincre.  » Ici, on nous a laissé le temps « , continue Logan Bailly.  » Moi, en Belgique, on n’arrêtait pas de me harceler avec mon état de forme et mes excès de vitesse. Ici, cela fait du bien d’être un peu à l’écart. On a raconté que j’avais roulé à 185 à l’heure alors qu’il s’agissait de 140. Certains ont même clamé haut et fort que je ne devais pas participer à ces Jeux Olympiques. Moi, je suis blindé mais mes parents ont souffert de ces critiques. Alors, ce tournoi, je le fais pour eux. Et je prends du plaisir. Il n’y a pas la même mentalité qu’en A. Ici, on rigole tout le temps. C’est plus enfantin. C’est normal. Il y a des choses que l’on fait entre nous et qui, logiquement, n’intéresseraient pas Bart Goor et Daniel Van Buyten.  »

Et puis, il y a une autre grosse différence entre les A et les Olympiques : l’entraîneur.  » Il ne faut pas se voiler la face. Ce qui cloche chez les A, c’est le coach « , lâche un joueur.  » Si on veut que notre génération réussisse en A, la Fédé n’a qu’à faire confiance à de Sart. Lui, il nous connaît. « 

Le symbole Mexico 1986

On l’a dit et redit mais cette génération n’a vraiment peur de rien. Là où d’autres auraient pavoisé après la qualification pour les quarts de finale en se disant que l’objectif initial était atteint, les joueurs ont évoqué, avant même l’exploit face à l’Italie, la médaille. Signe d’une ambition jamais assouvie.  » Personne ne nous connaissait lorsqu’on est arrivé ici et on a d’abord voulu montrer ce qu’on valait « , explique Bailly.  » On n’est pas là par hasard mais on devait sans cesse se justifier. Là, je crois que les autres nations ont compris. On ne fait pas attention contre qui on évolue. On garde notre jeu et notre foi inébranlable. Que ce soit contre la Chine ou le Brésil. On a déjà écrit une page du football belge mais on veut placer la barre très haut « .

Jacky Munaron, l’entraîneur des gardiens, a connu Mexico, le sommet du football belge, et établit déjà un parallèle.  » Cette semaine, on a sans cesse parlé de l’aventure mexicaine aux joueurs. On leur disait – C’est la plus belle page du football belge. Vous savez que vous pouvez faire aussi bien. Vous avez toutes les clés en main. A vous d’y parvenir !  » Et c’est ce que le capitaine a tenté d’inculquer à ses partenaires.  » Avant chaque match, on se réunit en cercle. Avant l’Italie, je leur ai dit – Ce n’est pas parce qu’on est en quarts de finale que l’on doit fonctionner autrement. Chacun connaît son rôle et doit le faire parfaitement. De cette façon, on obtient un noyau qui a toujours faim. On voit bien que ce groupe compte deux ou trois gros leaders mais on a réussi à motiver les autres. Aujourd’hui, chaque joueur détient une grosse volonté.  »

Car, derrière les talents purs, cette équipe est composée également de joueurs moins géniaux mais une part de mérite revient aussi à ces éléments-là qui ont réussi à élever leur niveau de jeu.  » Il y a une grosse émulation dans ce groupe « , résume Munaron.  » Ceux qui n’ont jamais connu cela sont pris dans l’engrenage. L’exemple le plus marquant : Jeroen Simaeys. Il est arrivé dans le groupe, a dû suppléer Kompany dans le premier match. Il l’a fait. Il s’est vu privé de Thomas Vermaelen, son guide, dès la 18e minute contre l’Italie et il s’est transformé en guerrier.  »

Même de Sart se félicite de cette mutation :  » Dès notre premier match à Genk (contre les Pays-Bas), on a senti que l’on était prêt. Certes, pour réussir, on a besoin de garçons qui font la différence mais si on est là aujourd’hui, c’est parce que certains sont parvenus à hisser leur niveau de jeu de 10 à 15 %. « 

par stéphane vande velde – photos: reporters

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