« Le foot peut devenir pathologique « 

Le président du Conseil européen a reçu Sport/Foot Magazine pour évoquer son attrait pour le foot et principalement son club, Anderlecht. Mais également pour porter un regard, plus politique, sur les dérives du foot actuel. Sans oublier le Haiku d’usage…

Entre le sauvetage de la Grèce, un plan d’austérité européen et l’amorce d’une crise gouvernementale en Belgique, Herman Van Rompuy nous a reçus dans ses bureaux du Conseil européen à Bruxelles.  » Il y a quelques jours, étaient assis à votre place Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, quelques jours avant, le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden… « , nous lance son porte-parole.

Que d’honneurs fait à un scribouillard alors que notre interlocuteur est accaparé par une actualité brûlante et préfère limiter ses sorties médiatiques à des conférences de presse minutieusement préparées et minutées. Mais ici, notre ex-Premier peut se laisser aller à des footilités, une passion qui remonte à l’enfance.  » Le samedi quand je peux enfin me détendre, je me jette sur Sport/Voetbal Magazine (NDLR, le pendant néerlandophone de S/F Mag) auquel je suis abonné…  »

On vous sait supporter d’Anderlecht. Qu’est-ce que ce club évoque pour vous ?

Herman Van Rompuy : Tout d’abord, Anderlecht n’est pas une commune pour moi. Anderlecht, c’est le Royal Sporting Club Anderlecht, et non un endroit géographique. Quand j’en parle, je remonte à ma jeunesse et même plus loin car c’était le club de mon grand-père. Je pense aux années 50, aux années 60, une période où l’on a vu, selon moi, le plus grand Anderlecht de tous les temps. Une équipe qui composa à un moment donné, le onze de l’équipe nationale. Ce club est également devenu celui de mes quatre enfants.

Vous les avez forcés… ?

Non pas du tout. Au contraire, quand je me suis marié en 1977, ma femme n’étant pas du tout intéressée par le foot, j’ai suivi le foot de plus loin, allant peu ou pas du tout au stade. Et ce sont mes enfants qui m’y ont ramené. Cette année, malheureusement, j’ai été très peu fidèle puisque je m’y suis rendu seulement quatre ou cinq fois.

Quel est votre match référence ?

Pour les gens de ma génération, il y a une rencontre que beaucoup n’oublieront pas : c’est Anderlecht-Real Madrid, en 1962, le 1-0 de Jef Jurion. On était dans une période où les matches internationaux étaient plus rares qu’aujourd’hui et faisaient figure d’événement. Le Real était quelque peu sur son déclin mais toujours considéré comme la plus grande équipe d’Europe avec ses cinq Coupes des Champions entre 1956 et 1960.

Parmi l’actuelle génération ou récente, y a-t-il un joueur que vous appréciez en particulier ?

J’ai beaucoup aimé Pär Zetterberg. Je ne le connais pas personnellement mais il a toujours donné l’impression d’être un type équilibré, plein de talent qui dans ses meilleurs jours ne ratait aucune passe, trouvait le bon tempo, et semblait posséder une vraie personnalité. Cette année, j’aurais tendance à pointer, sans être original, Mbark Boussoufa. Après, j’ai une certaine admiration pour Romelu Lukaku. Comment a-t-il fait pour £uvrer toute la saison à un tel niveau, si jeune, sans se prendre la tête ? Vincent Kompany lui ressemblait avec cet équilibre intérieur impressionnant. Au même âge, moi, j’étais un gosse. Mais on peut aussi se tromper. Je pensais la même chose de Tom Boonen et on s’est aperçu par après qu’il vivait difficilement le rapport à la gloire. Ces sportifs jouent devant des milliers de personnes, passent à la télé, deviennent des Bekende Vlamingen, des célébrités et dès qu’ils ont une copine ça ce sait. Il faut être capable de gérer tous ces paramètres. Dans un autre registre, on ne doit pas oublier Olivier Deschacht, dont le père est derrière moi en tribune. Ce n’est pas un super talent mais il est là depuis 10 ans et personne n’arrive à le remplacer. C’est quelqu’un qui affiche du caractère, comme le prouve son brassard de capitaine.

L’hinterland du RSCA

On évoque souvent de la dimension nationale d’Anderlecht. Ce club représente-t-il réellement la Belgique ?

C’est un club bruxellois, d’ailleurs on ne retrouve pas ce mélange des langues ailleurs. Au Standard, certes il y a un nombre important de Limbourgeois, fidèles à la tradition des années 80. Mais pour le reste, les supporters qui se rendent au stade viennent majoritairement de leur région.

Quand on voit le peu de Bruxellois dans les tribunes du stade Constant Vanden Stock, peut-on encore utiliser le terme  » club bruxellois  » ?

C’est un club bruxellois car si le club était basé à Louvain, vous n’auriez aucun francophone. Le RSCA a un hinterland effectivement beaucoup plus large que Bruxelles mais ce partage francophones-néerlandophones ne peut se faire qu’à Bruxelles, nulle part ailleurs. Par contre, et même si je n’ai jamais vu les statistiques, il y a très peu d’allochtones, alors que dans la ville il y en a énormément.

Vous l’expliquez par une frange raciste du public ?

Je ne l’ai en tout cas jamais perçu comme tel. En général, dans un club, quand un joueur d’origine étrangère joue mal il est accusé de toute une série de choses. Quand c’est Boussoufa, qui joue généralement très bien, on l’applaudit…

Dans une précédente interview, à propos de votre relation au foot, vous faisiez la différence entre la passion et le hobby.

Le foot est pour moi un hobby, j’aime me rendre au stade mais ne me demandez pas une semaine après qui sont les buteurs de la rencontre. J’aime le jeu, j’aime le club mais je ne suis pas un acharné, loin de là.

L’aspect passionnel, la violence que peut produire le foot, comment vous l’expliquez ?

Ce n’est malheureusement pas propre au football. Pour ma part, j’essaie de garder une distance par rapport aux événements, dans le foot, dans mon métier, dans quelque domaine que ce soit. Je ne suis donc jamais  » collé  » aux choses. Ça ne m’empêche pas d’être enthousiaste mais je garde une certaine retenue, c’est naturel chez moi. Le fanatisme, que l’on retrouve dans différents milieux, ça je ne le comprendrai jamais. J’ai lu une fois dans une gazette ou un magazine : – Le Sporting, c’est ma raison de vivre. Là, je ne pige plus rien. Certains se créent une identité au travers du club ou du foot. Quand ils disent I belong to (j’appartiens à), ce sentiment d’identité, de camaraderie, je le comprends, c’est naturel et même sain. Mais quand cela dépasse ce cadre-là, je décroche. Ça en devient pathologique : ces gens se jettent sur le football et tentent par ce biais de compenser des manquements qui peuvent être d’ordre familial, professionnel, etc. Même dans le milieu politique, je trouve certaines réactions de collègues par rapport au foot souvent excessives. Je mets de côté ceux pour qui le foot est artificiel, qui font de la récupération politique, qui veulent se donner une image d’homme du peuple.

Par rapport à cette période, le foot n’est-il pas devenu un sport de moins en moins populaire, avec des infrastructures de plus en plus modernes mais qui exigent en retour une hausse des prix ?

Je ne me suis jamais posé la question. Par contre, quand je suis retourné au stade après une interruption de plusieurs années, je me suis rendu compte que les précautions de sécurité étaient invraisemblables. Aujourd’hui, ce déploiement de forces de l’ordre a diminué j’ai l’impression. Ce n’était pas le foot que j’avais connu où les parents allaient au stade avec leurs enfants, où il n’y avait aucun problème. J’ai encore des photos où mon frère et ma s£ur étaient assis sur le terrain, ce qui était  » autorisé  » quand il n’y avait pas suffisamment de place.

 » Un club doit garder son caractère européen « 

Quel regard portez-vous sur la place grandissante de l’argent dans le foot actuel ? Sur des clubs comme le Real Madrid qui dépense sans compter ?

Cela existe depuis 50 ans. Alfredo Di Stefano était un Argentin, Ferenc Puskas, Hongrois et évoluaient de concert au Real dans les années 50. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui l’aspect financier a pris une place encore plus grande. Et pas seulement dans le foot. Quand vous voyez ce qu’un cycliste gagne actuellement ! Si Eddy Merckx courait aujourd’hui, il serait richissime. Par rapport à ce que gagne Lance Armstrong, Merckx a gagné des cacahouètes… Cette commercialisation du sport, on finit par s’y habituer. Le véritable changement date de l’arrêt Bosman. A partir de ce moment, tout s’est accéléré et les clubs belges ont souffert. Si on en revient aux années 60, 70, 80, et même début 90, les meilleurs Hollandais jouaient chez nous. Les Robbie Rensenbrink, Jan Mulder, Arie Haan, Johny Bosman évoluaient dans notre championnat. Désormais se sont nos meilleurs joueurs qui se retrouvent aux Pays-Bas.

Le foot business qui conduit à un sport de moins en moins égalitaire vous choque-t-il ?

Oui ça me choque. Mais ça ne sert à rien. Je constate ce phénomène dans le monde des arts. Quand on voit les sommes déboursées pour des £uvres d’art contemporain, dont certaines que j’apprécie par ailleurs, c’est totalement hors-proportion. Que ce soit dans le sport ou dans d’autres activités, il y a une commercialisation inouïe. Mais je sais aussi qu’il n’y a pas de mouvement de retour. Impossible de faire marche arrière. Dans les années 50, Jef Mermans, qui a permis à façonner la grandeur d’Anderlecht, venait de Tubantia Borgerhout et c’était un grand transfert ( il rit). Dans l’équipe que j’ai tant aimée, celle des années 60, il y avait Wilfried Puis et Laurent Verbiest qui venaient d’Ostende. Et à côté, on retrouvait les Bruxellois, Georges Heylens, Paul Van Himst, Jef Jurion, il y avait encore une partie du club qui était recrutée dans la région.

Le fait que beaucoup de joueurs arrivent des quatre coins du monde rend-il plus difficile le phénomène d’identification ?

Je constate que, quoi qu’il arrive, le supporter reste fidèle malgré ces changements. Les joueurs passent mais le club reste, celui-ci est plus important que les joueurs. C’est vrai aussi que vous avez des joueurs qui sont des job hoppers (qui viennent faire le métier et c’est tout), mais vous en avez d’autres qui finissent par aimer leur club et qui le quittent difficilement. Le comportement des joueurs, le fait qu’ils restent plusieurs années, qu’ils soient fidèles au club, permet au public de s’y attacher, qu’il soit argentin ou d’ailleurs… Et même si cette fidélité est rétribuée…

Le président de l’UEFA, Michel Platini veut imposer un  » Fair-play financier  » entre clubs européens et sanctionner ceux qui continuent à s’endetter. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je ne connais pas sa proposition dans les détails. Mais je trouve deux de ses idées intéressantes. Tout d’abord imposer une certaine rigueur car plusieurs clubs s’endettent d’une façon pharamineuse. Et par après, un milliardaire quelconque achète ce club et l’entraîne davantage dans une mondialisation effrénée. Je pense qu’un club doit garder son caractère européen. Aujourd’hui, peu de ces nouveaux propriétaires le sont, en Angleterre ou même chez nous ; je ne vais pas citer de noms mais vous voyez de qui je veux parler. Il y a parfois des choses curieuses qui s’y passent. La deuxième réforme intéressante, c’est imposer qu’une partie de l’effectif soit composée de joueurs issus de son centre de formation. Ce n’est pas pour favoriser les autochtones, au sens large du terme, mais pour rentabiliser les efforts produits par les clubs formateurs. La formation des jeunes permettrait d’ancrer les clubs dans leur territoire, dans leur région. Cela peut aussi aider à redonner une identité au club. Même si je le répète, le supporter, reste fidèle à son club.

Ces réglementations permettraient-elles de diminuer les inégalités entre les clubs des grandes puissances et ceux issus des nations plus petites ?

Mais bien sûr. Plus on s’endette, plus on devient prisonnier de quelques grands sponsors. Beaucoup de clubs anglais, espagnols, sont comme on dit en néerlandais ziek in hetzelfde bed (malades dans le même lit).

Dernière question. A quand un haiku dédié à Anderlecht ?

( il rit) Mais l’haiku, ça commence par une expérience liée à la nature. Je peux en faire un sur Anderlecht mais ce ne sera pas un authentique haiku. Mais je vous le donnerai en priorité… ( NDLA : à l’heure du bouclage, toujours pas de trace d’un Haiku sur Anderlecht arrivé jusqu’à nos bureaux… ). l

par thomas bricmont – photos: reporters

Dans le sport, il y a une commercialisation inouïe. Mais il est impossible de faire marche arrière.

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