« Le foot ne remplit pas ma vie »

Après avoir fait remonter son club en D1, il cultive déjà la différence. Il sera le seul entraîneur non professionel de l’élite.

Patrick Thairet entraîne le RWDM depuis le mardi 17 avril 2001. Près de trois mois après le limogeage d’ Ariel Jacobs, le second club de la capitale a rejoint la D1 via un succès mérité dans le tour final de l’antichambre de l’élite.

L’enthousiasme et l’énorme pression qui ont enflammé le Stade Machtens jusqu’au soir du jeudi 31 mai sont retombés. Désormais, c’est en coulisses que l’avenir du club se joue. A la fois sur le plan sportif où le manager molenbeekois Freddy Smets s’échine à construire un noyau capable d’assurer le maintien dans la cour des grands. Mais aussi financièrement. La direction attend avec impatience l’arrivée d’argent frais qui permettrait d’assurer la pérennité d’un matricule régulièrement menacé de disparition. Déjà, Patrick Thairet marque une différence de taille avec ses désormais confrères entraîneurs de D1. Quand il vous accueille pour une interview, ce n’est pas dans un bureau cosy du stade mais dans ses locaux sis à la piscine de Molenbeek.

Même s’il devait parapher en début de semaine un contrat de deux ans comme entraîneur au RWDM, il ne compte pas lâcher ses autres activités professionnelles pour se focaliser sur son job de coach principal. Conseiller communal élu sur la liste du bourgmestre à Molenbeek, il occupe le poste de directeur de l’ASBL Molenbeek Sports qui gère toutes les infrastructures sportives de la commune.

« Etre le seul entraîneur pas entièrement pro de la D1 ne me gêne pas », dit Patrick Thairet. « Dans un premier temps, je ne désire pas gommer tout le travail que j’ai accompli ces dix dernières années pour un boulot qui, j’en suis le premier conscient, reste très aléatoire. Je l’ai déclaré avec une pointe d’ironie dès mon entrée en fonction: je suis déjà en sursis. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas été gourmand dans mes prétentions financières. J’ai d’abord besoin de me situer en tant qu’entraîneur d’une équipe Première. Qui plus est de D1. A l’heure actuelle, je ne prétends pas que j’en suis capable. Je sens que cela devrait bien se passer mais il faut, dans ce métier très fluctuant, être d’abord humble et faire ses gammes. Je possède une place enviable qui me permet quelques facilités. C’est un acquis que je refuse de dilapider. Le football n’a jamais suffi à remplir ma vie. Ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer. »

Parce que Patrick Thairet, qui possède quinze années d’expérience de professionalisme en tant que joueur dont douze saisons en D1, n’est pas dupe. Aujourd’hui, il est submergé de félicitations et son ordinateur déborde d’e-mails flatteurs, mais c’est demain que sa carrière commence réellement. S’il aborde la D1 avec confiance et appétit, il ne peut s’empêcher de raisonner de manière cartésienne. S’il est peut-être au début d’une belle carrière, il envisage aussi l’autre versant du métier: l’échec.

« Je ne manque pas d’ambitions mais je préfère rester réaliste que de m’enflammer », dit-il. « J’ai mes doutes. Comme mon ancien équipier Franky Van der Elst qui, lors de son entrée dans ce cercle privé au GBA, avait lui aussi des états d’âme. Il a dépassé ce stade, moi j’y arrive. Si la saison sera importante pour le club, elle le sera tout autant pour moi. Comment vais-je réagir après trois défaites consécutives? Comment vais-je gérer l’inévitable pression tant extérieure qu’intérieure? Ce sont des questions que je me pose et auxquelles je ne pourrai répondre que sur le terrain. Je ne parviens toujours pas à accepter la défaite -NDLA: en dix rencontres, il n’en a connu qu’une, lors de son premier match à Mons. Elle est toujours synonyme d’échec. Or, je dois partir du principe que le RWDM ne gagnera pas tous ses matches la saison prochaine. A mes yeux, un limogeage serait à la fois un échec et une rupture. En ce qui me concerne, ce serait la première car je n’ai connu que le RWDM. Aujourd’hui, je dois gagner le respect des autres entraîneurs qui me voient comme le petit nouveau. C’est un sérieux défi. En cas de réussite, je devrais probablement faire un choix entre le métier d’entraîneur et mes autres activités. Actuellement, je ne suis pas prêt. En cas d’échec, je pense pouvoir en tirer les enseignements. Il n’y a pas de honte à reconnaître ses limites et à chercher son plafond personnel. A l’heure actuelle, je pense être capable d’être un entraîneur en D1 ou en D2 mais je dois encore le prouver sur la longueur. »

Jusqu’à présent, Patrick Thairet a remporté un sprint en débouchant en tête du tour final devant Turnhout, Geel et Mons. Mais le championnat de D1, c’est une épreuve d’endurance. Un triathlon éprouvant pour lequel le RWDM tente de se prémunir.

« Il ne faut pas être trop gourmand », dit Patrick Thairet. « Notre ambition première sera d’assurer le maintien. Je ne pense pas, à première vue, que nous soyons plus faibles que des équipes comme Alost, Lommel ou Beveren, mais il faut le confirmer sur le terrain. Il faut du talent mais aussi un brin de réussite. Franchement, un parcours comme celui de La Louvière avec une conclusion favorable identique me comblerait. Même si cela nous stresserait toute la saison. Un retour en D2, qui doit rester une hypothèse de travail, serait une catastrophe pour le club voire même pour l’avenir. Mentalement, le club est à nouveau mû par la dynamique du succès. Un coup de bambou pourrait être fatal. »

Après avoir basculé en D2 à l’issue de la saison 1997-1998, le RWDM a pataugé dans l’antichambre. Probablement à cause d’une impatience mal contenue. Directeur technique du réputé centre de formation du club, Patrick Thairet a suivi l’évolution de près. Il a une explication aux tergiversations du RWDM.

« Même si je n’étais pas d’accord avec les options de la direction en matière de joueurs, je pense qu’elle a commis une énorme erreur en limogeant Guy Vandersmissen« , dit celui qui l’a connu comme équipier au Stade Machtens. « Certes, c’était une erreur d’entretenir des garçons comme Miletic, Everson, Bovri ou Vangronsveld, mais le club avait misé sur un objectif: le retour en D1. Immédiat. Guy était occupé, avec sa méthode et les moyens dont il disposait, à remplir sa mission lorsqu’on l’a débarqué. L’arrivée d’Ariel Jacobs a coïncidé avec un changement de cap à 180 degrés. Nous ne le saurons jamais mais je pense qu’avec Vandersmissen à la barre, le club aurait pu retrouver plus tôt la D1. La saison dernière, l’équipe n’était pas prête à effectuer le pas. Il y avait certes Alan Haydock et Yves Buelinckx mais il manquait des pièces au puzzle. Cette année, j’ai clairement ressenti la faim collective pour monter en D1. Lors du tour final, tous les joueurs étaient abattus après avoir concédé le match nul à domicile contre Mons. C’était un signe. »

Même si Ariel Jacobs possédait la cote au sein de son groupe, il faut bien reconnaître que son départ a été assez rapidement digéré. Est-ce l’effet Thairet?

« Je disposais d’un bon groupe assez malléable. Lorsque le club m’a demandé de succéder à Jacobs, j’ai réfléchi. Mentalement, je me sentais capable de relever le défi mais je n’étais pas totalement prêt. Je me suis dit: -Il serait peut-être préférable que je fasse mes preuves ailleurs qu’au RWDM. J’avais des idées sur le plan tactique afin d’évoluer de manière plus offensive mais le groupe serait-il réceptif? Etait-il capable d’assimiler ce changement assez rapidement car la qualification pour le tour final n’était pas dans la poche? J’y ai été parce que j’y croyais, mais aussi parce que le club a probablement pensé que j’étais l’homme le mieux indiqué. J’entraînais l’équipe Réserve et l’adaptation ne pouvait qu’être facilitée. Que se serait-il passé avec un entraîneur extérieur? Je pense que l’osmose s’est rapidement produite car j’ai d’emblée fait comprendre que l’entraîneur, c’était moi. La presse avait laissé entrevoir que Freddy Smets allait tirer les ficelles en coulisses. Il n’en a rien été et il n’en sera rien. Celui qui décide, c’est moi. Les joueurs ont pu s’en rendre compte à plusieurs reprises. Vu mon déficit d’expérience en tant qu’entraîneur à ce niveau, je ne m’interdis pas de demander conseil auprès de Freddy, qui a coaché plusieurs saisons en D1. La démarche vient de moi et non de lui. Il ne m’a jamais soufflé une sélection à l’oreille. »

Patrick Thairet a eu l’intelligence de ne pas chambouler une équipe qui, quoi qu’on en dise, ne tournait pas si mal. Il n’a pas non plus heurté un groupe très jeune et donc influençable et sensible: « Ariel Jacobs avait déjà initié des modification tactiques. Je les ai simplement poursuivies en expliquant bien à quoi je voulais en venir. Un passage d’un 4-5-1 à un 4-4-2. Je n’ai pas mis quatre ou cinq joueurs soi-disant pro-Jacobs sur le côté. J’ai d’emblée dit que j’aurais besoin de tout le monde et j’ai eu besoin de tous les joueurs. Lors du match contre Geel à Molenbeek, trois éléments de base étaient suspendus. Cela ne s’est pas remarqué sur le terrain. La richesse du noyau aura probablement été l’arme fatale du RWDM. Notre succès me paraît entièrement mérité même si, intrinsèquement, Turnhout possédait peut-être davantage d’atouts que nous. L’équipe de Stéphane Demol possédait un peu plus de talent individuel et certainement plus d’expérience et de force offensive, mais c’est le RWDM qui a émergé. Après notre succès contre Geel, j’ai commencé à y croire réellement. Nous venions de gagner les quarts de finale mais il restait la demi-finale contre Turnhout et la finale. Si nous n’avions pas franchi le pas cette saison, cela aurait été très difficile l’an prochain. Le RWDM n’est pas un club de D2. A terme, il aurait lentement glissé vers la D3 comme l’a fait jadis l’Union Saint-Gilloise. C’était une mort lente assurée. »

Que peut espérer le RWDM en D1? S’y stabiliser dans un premier temps avant de tenter d’y retrouver le standing qui fut le sien jadis.

« Autour de moi, je sens que les gens sont réellement contents que le RWDM soit revenu en D1 », dit Patrick Thairet. « Lors du tour final, les supporters sont apparus incroyablement enthousiastes. J’ai croisé des têtes qui avaient disparu ces dernières années. Vous n’imaginez pas la fête qui a succédé à notre simple qualification pour le tour final. L’explosion de joie, alors que nous n’étions encore nulle part, était exceptionnelle et l’attente très forte. Comment auraient-ils encaissé un échec? Pour le club mais aussi pour eux, des matches contre Deinze, Maasland ou Hekelgem en D2, cela ne représente rien. La montée est un véritable soulagement. »

La campagne des transferts bat maintenant son plein. Si le RWDM ne cassera pas sa tirelire, il applique une politique d’accueil limpide: il faut engager des joueurs d’expérience.

« Le noyau devrait tourner autour des vingt à vingt-deux éléments dont trois gardiens et trois jeunes du cru ( Timmermans, Nieus et Magro). L’équipe sera fortement reliftée. C’est inévitable pour tenir la route à l’étage supérieur. Des titulaires d’hier ne seront peut-être que les réservistes de demain. Nous avions trop de points d’interrogation pour tenter le coup sans renforts. Trop de joueurs n’ont encore rien prouvé parmi l’élite. Certains nous épateront mais d’autres nous décevront. Je n’aime pas les individualités. Je préfère des garçons comme jadis Daniel Nassen ou Harm van Veldhoven. C’étaient des travailleurs qui aimaient bien l’ambiance dans un groupe. Des éléments comme Edwin van Ankeren, avec lequel j’ai encore évolué, et Lambert Smid font partie de cette politique de transferts. A contrario, j’ai dû annoncer à des joueurs comme Fio Serchia et Sébastien Piron que nous ne pouvions pas les emmener en D1. Humainement, ce fut très dur. Je dois encore apprendre à faire abstraction de mes sentiments. Ces joueurs méritaient autant que d’autres d’aller en D1 mais nous ne pouvions pas prendre tout le monde. Il a fallu faire des choix. »

Jean-Marc Ghéraille

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