« LE FOOT EST ÉMOTION « 

Bruno Govers

L’ancien libero de charme du Danemark et d’Anderlecht demeure un apôtre du beau jeu.

Lorsqu’en 2008, à l’occasion du centenaire du RSCA, il s’agira de décliner une équipe du siècle, tout porte à croire que Morten Olsen (56 ans) en fera partie. Le libero danois, transféré du RWDM en 1980, a sans conteste marqué son passage au Sporting, l’espace de sept saisons, d’une empreinte indélébile. Patron d’une défense articulée en outre autour de Wim Hofkens, Hugo Broos, Luka Peruzovic et Michel De Groote, l’élégant Scandinave ne se contentait pas seulement de diriger l’arrière-garde mais montait aussi souvent au créneau, histoire de créer le surnombre au milieu, voire à l’attaque. On n’en veut pour preuve que le but qu’il inscrivit en finale de la Coupe de l’UEFA 1984 face à Tottenham, au Parc Astrid (1-1). Un goal qui ne se révéla pas suffisant. Les Spurs réussirent le même score au retour, à White Hart Lane, avant de s’imposer sur le fil lors de l’épreuve des tirs au but (4-3).

Après une ultime pige comme joueur au FC Cologne, où il avait abouti au lendemain du Mundial 1986, à l’âge de 37 ans, Morten Olsen embrassa la carrière de coach. D’abord dans son pays natal, à Bröndby, club avec lequel il conquit le titre deux saisons d’affilée, avant de mettre le cap sur Cologne à nouveau, puis l’Ajax où, à la fin des années 90, il remporta tour à tour le titre et la coupe nationale des Pays-Bas. Au cours de l’automne 2000, le plus capé des footballeurs danois (102 sélections) prit les commandes de la sélection de son pays qu’il mena tour à tour en phase finale de la Coupe du Monde 2002 ainsi que du Championnat d’Europe des Nations, voici un an, au Portugal. En tant que fédéral, Morten Olsen ne réussira toutefois pas la passe de trois. Malgré une récente victoire au Kazakhstan (1-2), il a dû abandonner la deuxième place de barragiste (derrière l’Ukraine) dans le groupe 2 à la Turquie, qui s’était imposée dans le même temps par le plus petit écart en Albanie. Au décompte final, la Danish Dynamite échouait à un petit point du bonheur : 22 pour 23 à Serhat Akin et les siens.

Morten Olsen : Je ne conteste nullement la qualification de la Turquie qui, compte tenu du jeu déployé, aura amplement mérité de se retrouver en Allemagne, l’année prochaine. En revanche, la présence là-bas de l’Ukraine, pourtant vainqueur de la poule, me reste en travers de la gorge. D’un bout à l’autre des matches éliminatoires, cette formation s’est contentée du strict minimum en ne tablant que sur le seul Andriy Shevchenko pour faire la différence. Elle est parvenue à ses fins mais, pour la qualité de son approche, elle ne devait jamais être récompensée. La logique a été bafouée mais le football est tout sauf une science exacte.

Comment cet échec a-t-il été perçu au pays ?

A force d’engranger de bons résultats, la plupart des suiveurs nous voyaient déjà en Allemagne. Une Coupe du Monde chez le voisin, c’était l’événement que tout le monde attendait. Il n’en sera rien et la déception demeure palpable à Copenhague. Pourtant, personne, jusqu’à présent, ne s’est plu à jeter la pierre aux joueurs ou à leur entraîneur ( il sourit). Au contraire, dans l’opinion publique, j’ai toujours une bonne cote. Quant aux joueurs, ils ont d’ores et déjà fait savoir aux responsables de la fédération qu’ils aimeraient poursuivre leur route en ma compagnie. Ces appréciations me confortent dans l’idée que je n’ai pas grand-chose à me reprocher et que je ne vois pas, non plus, la nécessité de jeter le gant. J’ai un contrat qui arrive à échéance après le Mondial, et je l’assumerai jusqu’au bout. Je peux comprendre toutefois qu’après cinq ans de collaboration et une qualification avortée, certains décident de définir un autre cap. Dans ce cas, je m’effacerai avec l’espoir de rebondir ailleurs.

A la tête des Diables Rouges, par exemple ? Etiez-vous surpris d’entendre votre nom cité en tant que possible successeur d’Aimé Anthuenis ?

Oui et non. Oui, car j’estime que la Belgique ne manque pas de candidats qui répondent au profil requis par la fédération. Des garçons comme René Vandereycken, Eric Gerets et Walter Meeuws, pour ne citer qu’eux, respectent en tout cas tous ces critères : ils sont des enfants du pays, s’expriment dans les différentes langues et peuvent tous tabler sur un vécu intéressant. D’un autre côté, il n’est peut-être pas anormal non plus que l’on songe à moi. J’ai quand même transité par deux grands clubs, le RWDM et Anderlecht, tout en ayant vécu l’essentiel de mon existence en Belgique. J’ai 56 ans et j’en ai passé 30 sur ce sol. Marié à une Belge, Mireille, j’ai toujours essayé de concilier les considérations sportives et familiales. Lorsque je dirigeais le FC Cologne, j’habitais par exemple à Raeren, près d’Eupen, et, ces dernières années, j’ai même élu domicile à Beersel, dans la périphérie bruxelloise.

L’embarras du choix

Seriez-vous tenté par notre équipe nationale ?

Je n’ai pas encore été approché en la matière. Mais si je devais être contacté, c’est sûr que je prêterais une oreille attentive au discours des bonzes belges. On ne peut jurer de rien dans la vie et l’expérience m’a appris également qu’il ne faut jamais dire jamais. Ou agir dans la précipitation. Je dispose de quelques mois pour me retourner et je compte prendre une décision mûrement réfléchie. De deux choses l’une : ou bien je continue à coacher une équipe nationale, danoise ou non, ou je redeviens entraîneur de club. C’est un secret public que Besiktas est venu aux nouvelles récemment avec une bonne proposition. Les Turcs ne sont pas les seuls intéressés. Je suis un privilégié : j’ai l’embarras du choix mais je ne veux pas m’engager à la hâte.

Que vous inspirent le football belge et Anderlecht, votre ancien club, en particulier ?

N’y voyez aucune mauvaise volonté de ma part : je suis incapable de répondre de façon pertinente. Je sais tout dans les grandes lignes mais je suis mal placé pour évoquer des détails. C’est normal : à l’heure où les Diables Rouges jouaient leur qualification pour la Coupe du Monde, j’étais impliqué avec la sélection danoise aux quatre coins de l’Europe. Et quand Anderlecht joue en Ligue des Champions, voire en compétition belge, je suis le plus souvent à l’étranger afin de voir l’un ou l’autre de mes internationaux. Si je sais bien qui est Vincent Kompany, ne me demandez pas quelle est la meilleure place d’Anthony Vanden Borre. Je ne me suis rendu qu’une seule fois au Parc Astrid sur l’ensemble des douze derniers mois. A la limite, je connais mieux le Racing Genk, où j’ai suivi les évolutions de Brian Priske la saison passée. En réalité, l’endroit que je fréquente le plus souvent chez vous, c’est Zaventem (il rit).

A votre époque, la présence danoise n’était pas un vain mot à Anderlecht avec les Benny Nielsen, Frank Arnesen, Per Frimann, Kenneth Brylle, Henrik Andersen et on en passe. De nos jours, la veine s’est complètement tarie. Pourquoi ?

Il y a deux raisons. Tout d’abord, les prix sont devenus exorbitants, non seulement au Danemark mais aussi dans l’ensemble de la Scandinavie. La preuve par le Suédois Markus Rosenberg qui est passé cet été pour 5 millions d’euros dans les rangs de l’Ajax. Chez nous, les sommes demandées sont tout aussi démentielles. Bröndby vient de refuser une offre de 7 millions d’euros pour son défenseur Daniel Agger, par exemple. Par rapport au passé, le jeune talent est aussi devenu de plus en plus rare. Le Danemark a toujours été une pépinière en la matière. Il suffit de songer aux frères Michaël et Brian Laudrup, Allan Simonsen, Jesper Olsen et j’en passe. Bizarrement, cette tradition de bons joueurs offensifs s’est étiolée après notre victoire à l’Euro 1992. Cette année-là, l’équipe n’avait dû sa présence en phase finale qu’à la disqualification de la sélection yougoslave pour cause de guerre. Avec une phalange composée de bric et de broc et articulée autour de joueurs au répondant physique, plutôt que d’artistes, la tendance, dans les années suivantes, fut de virer complètement de bord : il n’était plus question de former d’habiles manieurs de ballon mais plutôt des athlètes. Or, ce sont toujours les qualités footballistiques qui doivent faire la différence. Si, en Angleterre, Paul Scholes avait été éconduit, sous prétexte qu’il n’avait pas le gabarit voulu, le football aurait perdu un sacré joueur. Chez nous, je crains que quelques bons joueurs, habiles balle au pied mais dépourvus de véritable présence physique, n’ont pas été retenus. Heureusement, depuis que j’ai repris en mains les rênes de la sélection, le football danois est revenu à ses valeurs traditionnelles, privilégiant à nouveau la créativité chez les jeunes. Dans quelques années, il en recueillera à nouveau les fruits et tout porte à croire que ses joueurs seront à nouveau fort convoités. Toutefois, l’intérêt venu de l’étranger pour nos joueurs ne s’est jamais démenti. Sur les 23 éléments que j’ai emmenés au Portugal en 2004, trois à peine £uvraient encore au Danemark. Dont deux gardiens : Stephan Andersen à Aalborg et Peter-Skov Jensen à Midtjylland. C’est tout dire.

La Grèce, un mauvais exemple

Lors de l’Euro 2004, vous avez été battus 3-0 en quarts de finale par la Tchéquie. Auparavant, dans le groupe de la mort, vous aviez fait fort en vous qualifiant, avec la Suède, aux dépens de l’Italie et, dans une moindre mesure, de la Bulgarie.

Nous avions déjà réussi au-delà des espérances en évinçant la Squadra et notre éviction, par la suite, était totalement justifiée car nous sommes tombés sur une équipe tchèque en état de grâce. Avec la Hollande, qui distilla par moments du très beau football, la formation articulée autour de Pavel Nedved était incontestablement la plus belle du tournoi. Mais, une fois n’est pas coutume, les meilleurs ne seront pas allés au bout de leur rêve. Dans le dernier carré, les Tchèques ont malheureusement été éliminés par les Grecs. C’est malheureux : l’équipe la plus négative l’a emporté. Si les autres demi-finalistes, le Portugal, la Tchéquie ou les Pays-Bas avaient émergé, pour moi cet événement aurait tenu toutes ses promesses. Mais il s’est terminé en mineur par la faute d’un team chanceux qui, du premier au dernier jour, a refusé le combat. Il est bon que ce football-là n’ait pas fait d’émules, comme on pouvait le craindre. Au contraire, sur le plan de l’offensive, on a eu droit à quelques morceaux d’anthologie. Comme cette finale de la Ligue des Champions entre Milan et Liverpool. Quel feu d’artifice. C’est pour ce frisson-là que les gens viennent au stade et non pour assister à des parodies de rencontres. D’ailleurs, le football négatif n’a qu’un temps. Je sais d’autant mieux ce que j’avance que la Grèce faisait partie de notre groupe de qualification pour la Coupe du Monde. A aucun moment de ces éliminatoires, les joueurs d’Otto Rehhagel ne sont entrés en ligne de compte pour la première ou la deuxième place. Chez nous, ils ont perdu 1-0 en s’arc-boutant devant leur but tout au long du match. Il y eut tout de même une justice grâce à un but de Michaël Gravgaard.

Toujours attaquer

Malgré l’échec, vous ne renierez jamais votre inclination offensive ?

Une seule fois, j’ai renoncé à mes principes. C’était lors de notre dernier match à Almaty, au Kazakhstan. Sur la pelouse pour ainsi dire pelée du stade Tcentralny et face à un adversaire qui n’en finissait pas de manier la grande faucheuse, j’ai dit à mes joueurs, à la mi-temps, alors que le score était toujours de 0 à 0 et qu’ils devaient procéder par de longs ballons à destination des avants. En l’espace de cinq minutes à peine, nous avions alors mené 0-2 par l’entremise de Michaël Gravgaard encore ainsi que de Jon Dahl Tomasson. Malgré la réussite, ces balles à suivre aveugles ne sont pas et ne seront jamais ma tasse de thé. Si le football se résume à de tels dégagements, où l’on espère que le cuir tombera au bon endroit, je préfère changer de métier. C’est peut-être utile occasionnellement, mais sur le long terme ce n’est jamais payant.

José Mourinho tend à prouver le contraire.

Je serais sot de minimiser ses mérites. L’homme a réalisé des prouesses tant à Porto qu’avec Chelsea, c’est l’évidence. Tôt ou tard, il devra malgré tout changer son fusil d’épaule s’il veut s’inscrire dans la durée. Pour le moment, tout est formidable : quoi de plus normal, le club londonien n’avait plus remporté de titre depuis un demi-siècle et voilà que, pour un coup d’essai, il tape dans le mille. C’est porteur mais il faut confirmer à présent, avec un entourage qui se voudra toujours de plus en plus exigeant. Or, à cet échelon, les premiers grincements de dents se font entendre : les Blues ne font pas stade comble en Ligue des Champions, par exemple, parce que beaucoup estiment le prix des places exagéré en regard du spectacle proposé. Et, en Premier League, beaucoup s’offusquent aussi de la manière utilisée par le coach portugais et ses ouailles, surtout en déplacement où ils se contentent du strict minimum. Reste que José Mourinho est un gars intelligent qui devrait faire la part des choses. Ses derniers résultats : 1-4 à Liverpool, 5-1 contre Bolton et 4-0 face au Betis semblent indiquer une nouvelle orientation, davantage prisée par l’opinion générale. Quoi de plus logique : quand on dispose de footballeurs de valeur comme Damien Duff, Didier Drogba, Frank Lampard, Joe Cole et Hernan Crespo, il ne faut pas se contenter de défendre mais aller résolument de l’avant. Le foot est émotion. Il faut la faire partager aux gens.

BRUNO GOVERS

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