Le foot du 21e siècle

Le stade de 7 milliards a vécu un dur derby de la Ruhr. Avec ses quatre Belges et Koller en face!

Rendez-vous à dix heures à l’entrée de l’énorme complexe qui abrite Schalke 04 depuis le début de la saison. Eddy Muylaert, de Starnet, nous attend. Avec son partenaire français, le Belge est responsable de la billetterie et du contrôle des entrées dans la nouvelle arène du club, Auf Schalke. A l’occasion de cette première affiche de la saison, il a invité des représentants du Club Brugeois et de Lokeren, intéressés par les nouveautés en la matière. Les deux délégations sont impressionnées par le stade mais aussi par l’organisation dans son ensemble. Tout est automatisé: parkings, portillons d’accès.

Les stewards et contrôleurs qui, ici comme ailleurs, laissaient entrer gratuitement leurs connaissances, ont disparu. Il est pratiquement impossible de frauder. Les septante entrées absorbent sans problème les 60.000 spectateurs munis d’un billet. Ceux qui tentent malgré tout de passer en fraude, par exemple en prenant le billet d’un ami déjà passé, sont repérés. Un système presque infaillible.

Le football du nouveau millénaire, en Bundesliga, est placé sous le signe de la commercialisation à tout crin. Les quatre tribunes du nouveau stade bleu et blanc portent le nom du sponsor. Le club gère tout ce qui est situé à l’intérieur du stade…alors qu’en Belgique, les clubs cèdent généralement le catering en échange d’un pourcentage. Schalke contrôle tout lui-même, depuis une pièce complètement automatisée. La rapidité du service est le crédo.

Peu après midi, les premiers supporters peuvent faire leur entrée dans le complexe. A cette heure-là, le toit de l’arène est encore fermé, les lignes blanches doivent encore être tracées à la chaux et les buts ne sont pas encore placés. Le coup d’envoi n’aura pas lieu avant trois bonnes heures mais un après-midi de football à Gelsenkirchen dure bien davantage que 90 minutes.

Il y a l’échauffement, interviews comprises, retransmis grâce à un écran géant de 18 tonnes installé par Philips. Le prix n’est pas communiqué. Personne n’est mouillé par la pluie, les toilettes et bars ne manquent pas. Pendant le match, on affiche les résultats intermédiaires des autres rencontres; au repos et après le match, on a droit à un résumé des faits saillants du match. Voilà le football de l’avenir, comme doivent le conclure les invités belges. Le football devient un sport dont le confort approche celui du théâtre ou du cinéma, à l’abri du vent et du froid. Ou, comme Patrick Orlans, manager à Lokeren, l’admet: « Au fond, mais nous ne sommes que des bricoleurs ».

Wilmots puis Lionel Ritchie

Schalke organise aussi des concerts et des opéras: Lionel Ritchie, Pur et Aïda, notamment. Dans ce cas, une tribune coulisse complètement en dessous des autres, pour qu’on puisse dresser un podium. Le stade est devenu un modèle pour toute l’Allemagne.

Pierre Delahaye qui, après son départ du Standard où il était directeur, a réendossé des fonctions commerciales à Schalke avec Muylaert, va tenter de faire apprécier la technologie franco-belge au Portugal, en prévision de l’EURO 2004.

Le duo Delahaye-Muylart n’a pas invité que des Belges. Stuttgart et Dortmund ont envoyé des représentants aussi. En 2006, l’Allemagne organise la Coupe du Monde et le marché des nouveautés intéresse tout le monde. Les tests sont réussis, les Allemands sont sous le charme. Dortmund sera d’ailleurs le prochain club à bénéficier de cette technologie.

Le jeu de l’équipe s’inscrit en contraste avec le modernisme du stade. Schalke 04 évolue toujours comme une équipe de travailleurs, dans ce style tant apprécié de la Ruhr, un jeu fait d’engagement. Une entreprise fait de la publicité en utilisant un slogan basé sur le dur labeur, qui peut être le leitmotiv de l’équipe. Quand Nico Van Kerckhoven, auteur d’un match brillant, se jette sur un ballon comme un dément et l’arrache, à deux reprises, des pieds du millionnaire Amoroso, il est ovationné. Les décibels atteignent les sommets. Auf Schalke, c’est aussi ça: beaucoup, beaucoup de décibels, surtout grâce à la tribune nord, où le kop fidèle à la tradition préfère les places debout.

Les limites de l’engagement physique

Samedi, la rencontre n’a pas manqué d’engagement. On a même frôlé les limites. Dix secondes ne s’étaient pas écoulées que des fautes étaient déjà commises. Van Kerckhoven sur Rosicky, le prodige tchèque, Koller sur les jambes de Nemec, Reuter contre Möller, transfuge de Dortmund, comme Lehmann l’est de Schalke 04. A tout instant, on s’attend à voir une carte rouge mais l’arbitre s’en tient au jaune. Dans le jeu, Dortmund est un rien meilleur mais Schalke 04, en proie au doute suite à son revers en Ligue des Champions, ne relâche pas ses efforts.

Des matches aussi équilibrés se jouent sur un détail. Depuis 1997, les résultats de ce derby à Gelsenkirchen se sont soldés par une victoire 1-0, un nul 1-1 et deux nuls blancs. Un détail (décisif après-coup): la blessure de Reuter, un des trois défenseurs centraux des visiteurs, qui jouait très loin, pour neutraliser Möller. Au quart d’heure, il doit être remplacé par Sunday Oliseh. D’un coup, c’est 1-0. Lorsque le jeu reprend, le Nigérian n’a pas encore trouvé sa place, ne sachant pas s’il doit évoluer en défense ou dans l’entrejeu, et Möller en profite pour réaliser un une-deux avec Emile Mpenza.

Le système défensif de Dortmund permet à Möller, délivré de garde-chiourme, de franchir les trente mètres qui le séparent du gardien et de marquer. Le stade explose de joie.

De l’autre côté, Rosicky a l’occasion de l’imiter à deux reprises. Parfaitement servi par Jan Koller, il tire à côté, puis une inattention du flanc droit -que Vermant a quitté sans qu’un partenaire le couvre- lui offre un boulevard de cinquante mètres, dans lequel il fonce jusqu’au gardien. Son centre est toutefois détourné de justesse. Dortmund ne menace Oliver Reck, le gardien, que par des tirs à distance, comme Schalke 04 de l’autre côté. A l’image des attaquants de Dortmund, Vermant ne touche que le poteau.

Où est la créativité?

Un mélange de puissance et d’engagement. On voit rarement du beau football en Allemagne, comme l’admet Pierre Delahaye au terme de la rencontre. Le niveau technique est bas, même si Dortmund possède ses Brésiliens et que sur papier, le duo Ricken-Rosicky est remarquable dans l’approvisionnement de Koller, dont les chevilles doivent souffrir. Mais voilà, Schalke 04 est difficile à désarçonner. Il allie expérience (avec Reck, Nemec et Möller dans le onze de base, Thon et Wilmots sur le banc), et jeunesse.

Dortmund possède la même alliance. Après sa honteuse élimination de la Coupe d’Allemagne, des oeuvres des amateurs de Wolfsbourg, et une défaite à domicile face au Bayern, il devait une revanche à ses supporters. Entraîné par Matthias Sammer, Dortmund est coté en bourse depuis peu, ce qui lui a permis de réaliser de gros investissements dans l’équipe. Rosicky a été transféré pendant l’hiver. Cet été, Koller et Amoroso l’ont rejoint. Ces acquisitions ont rappelé aux supporters les années nonante, quand le Borussia avait rapatrié quatre joueurs du calcio: Kohler, Reuter, Sammer et Möller, qui avaient formé la base de l’équipe victorieuse en Ligue des Champions et, deux fois, en Bundesliga.

Une erreur d’attention a donc été fatale à Dortmund. Glamoroso ou Furioso, comme on surnomme Marcio Amoroso, auteur de quatre buts cette saison, a été invisible. Koller a livré un bon match mais la rugueuse défense de Schalke 04 l’a mis à mal. La contribution défensive du Tchèque est moindre qu’à Anderlecht. Sur les phases arrêtées, il reste généralement en pointe.

Peu après six heures, les tribunes sont désertées mais la fête continue à battre son plein dans les nombreux bars VIP. Ça aussi, c’est Auf Schalke. Au-dessus, au centre nerveux du stade, les ordinateurs effectuent les premiers comptes. C’est le football du 21e siècle. Il ne manque plus que le jeu.

Peter T’Kint, envoyé spécial à Gelsenkirchen.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire