» Le foot belge me convient : j’aime quand ça joue à la limite ! « 

Le solide défenseur des Rouches a surpris par sa vitesse d’adaptation et aborde tous les sujets brûlants le concernant.

Après la défaite dans le Clasico, le Standard n’a pas brillé non plus à Zulte Waregem où il a pourtant ouvert la marque à la 23e par Batshuayi. En revanche en Europa League, l’équipe de José Riga est parvenue à prendre un point. Un bon résultat car à force de se focaliser sur le phénomène que représentent ses supporters et sur le climat qui régnait en Pologne, on avait peut-être oublié de parler du Wisla, de dire combien cette équipe est bien balancée. Le Standard s’en est rendu compte : le froid n’est pas ce dont il a le plus souffert. Systématiquement repoussé dans son camp par une équipe rapidement réduite à dix et alors qu’il pris l’avance sur penalty, le Standard a encaissé un but qui va lui rendre la tâche difficile ce jeudi au retour. D’autant qu’il devra aborder ce match sans deux joueurs que l’on peut considérer comme des piliers : le médian défensif français William Vainqueur et le défenseur central brésilien Kanu.

Peu bavard depuis son arrivée en Belgique, notamment parce qu’il ne s’exprime quasiment qu’en portugais, Kanu nous a accordé une longue interview au cours de laquelle il a abordé tous les sujets le concernant : son choix de jouer au Standard malgré d’autres offres intéressantes, les problèmes d’adaptation de son épouse et ses envies de départ, les soucis de sa famille, sa réputation de joueur intransigeant, son avenir et bien entendu, la campagne européenne.

Comment était l’ambiance, jeudi dernier à Cracovie, immédiatement après le coup de sifflet final ?

Nous étions tous consternés, il régnait un silence de mortuaire dans le vestiaire. Pourtant, nous étions tous d’accord : ce résultat n’avait rien d’illogique. Parce que finalement, nous n’avions rien fait pour remporter ce match. Nous avions pris l’avance presque par hasard et ils étaient à dix. Mais nous n’avons jamais su contrôler le jeu. Ce n’était pas le vrai Standard qui jouait, je n’ai pas retrouvé notre volonté habituelle de faire le pressing sur le porteur du ballon, par exemple.

N’étiez-vous pas suffisamment au courant des possibilités du Wisla ?

Si. Le staff avait bien décortiqué cette équipe, nous savions que ce serait un adversaire difficile, qu’il ferait bien circuler le ballon. Mais nous l’avons laissé faire. C’est ça qui n’est pas admissible. Nous n’étions pas assez concentrés. Cela s’est vu sur le but que nous encaissons. Il ne faut pas seulement montrer du doigt le joueur qui laisse partir son homme : ce ballon n’aurait déjà jamais dû arriver aux abords de notre rectangle à un moment aussi important du match.

 » Nous avons plus de raisons d’y croire que l’an dernier « 

Peut-être n’aviez-vous pas encore digéré le match contre Anderlecht ?

C’est vrai ! Nous avons encaissé le coup de cette défaite. Non seulement physiquement, parce que cela avait été un match âpre, disputé dans des conditions très difficiles. Mais aussi mentalement, parce que ce but tombé à deux minutes de la fin nous coûte très cher. De toute façon, les supporters n’en ont que faire de nos états d’âme : quand le match suivant commence, nous devons répondre présent. Ce qui n’a pas été le cas contre Zulte Waregem.

Néanmoins, rien n’est fait : 1-1 en déplacement ça reste un résultat favorable. Des trois clubs belges encore en lice, vous êtes celui qui, statistiquement, a le plus de chances de passer.

C’est vrai que, du point de vue du résultat proprement dit, il n’y a aucune raison de céder à la panique. Mais nous n’avons pas le droit de penser non plus que le plus dur est derrière nous : cette équipe continuera à bien conserver le ballon si on ne fait rien pour le lui prendre. Et elle nous posera alors autant de problèmes. Toutefois, je ne crois pas que le football belge ait montré ses limites lors de ce tour, je vois les choses différemment : aucun des trois clubs n’est encore éliminé. Bruges a marqué en déplacement et Anderlecht n’a qu’un but à remonter. Je suis convaincu que, si tout le monde joue au maximum de ses possibilités, nous serons tous les trois en huitièmes de finale. J’ai suivi le parcours européen de Braga la saison dernière et je pense que ce que les Portugais ont fait, un club belge peut le réussir aussi. Je pense principalement à Anderlecht mais pourquoi pas le Standard et Bruges ? La seule différence avec l’an dernier, c’est peut-être qu’il y a des clubs très forts cette saison en Europa League, comme les deux Manchester.

Anderlecht, c’est la meilleure équipe belge ?

La meilleure équipe belge du moment, oui. Je ne suis pas sûr que ce sera encore vrai dans un mois, quand les play-offs vont commencer. Là, c’est un nouveau championnat qui débutera, avec des surprises chaque semaine. Et c’est à ce moment-là qu’Anderlecht devra montrer qu’il est le meilleur. Sinon, il lui arrivera la même chose que la saison dernière.

Et le Standard, il peut refaire le coup de l’an dernier ?

Bien sûr. Si nous n’y croyons pas, il ne faut pas disputer ces play-offs. Et nous avons plus de raisons d’y croire que l’an dernier puisque nous avons plus de points.

 » On n’a pas le droit de balancer vers l’avant « 

Ce qui veut dire que l’équipe actuelle est meilleure que celle de l’an dernier ?

Non, on ne peut pas dire ça comme ça. Les deux équipes sont différentes, totalement incomparables. L’an dernier, il y avait plus d’homogénéité parce que nous avions plus de joueurs habitués à jouer ensemble et des gars qui avaient déjà un vécu important. Cette saison, l’équipe est plus jeune, elle a la moyenne d’âge la plus basse de D1. Mais elle a peut-être plus de talent individuel. Et ces joueurs-ci sont plus ambitieux. Ils ont envie d’arriver à quelque chose ensemble.

Et ce Standard-ci joue-t-il mieux au football ?

Il pratique en tout cas un football plus élaboré. Avec José Riga, on n’a pas le droit de balancer vers l’avant.

Dans laquelle de ces deux équipes vous sentez-vous le mieux ?

C’est aussi difficilement comparable. L’an dernier, je suis arrivé en milieu de saison, j’étais surtout là pour apporter quelque chose à la ligne arrière. Cette année, le coach me demande de prendre plus de responsabilités, de m’impliquer davantage. La preuve en est que je monte, que je marque.

A peine arrivé, vous avez bluffé tout le monde par votre adaptation très rapide. Vous étiez certes passé par le Portugal mais il est tout de même très rare qu’un Brésilien, défenseur de surcroît, comprenne aussi vite notre football.

Au Portugal aussi, j’avais mis peu de temps à m’adapter. Après chaque entraînement, je faisais 30 têtes et des tas de dribbles. Trois mois plus tard, j’étais élu meilleur défenseur de D2. Ici, tout a été très vite aussi. Et pourtant, quand j’ai vu le premier match du Standard, je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma femme que je ne pourrais jamais jouer dans un football pareil. Le ballon venait de partout, ça me semblait complètement déstructuré. Pendant une semaine, je suis rentré de l’entraînement complètement lessivé, j’avais l’impression de courir dans le vide, de toujours être mal placé. Heureusement, après un match ou deux, j’avais compris la logique du jeu et je n’ai plus éprouvé de problème. Finalement, le football belge est un football qui me convient : il y a du contact, du jeu aérien. Moi, j’aime quand ça joue à la limite.

Parfois même un peu trop : vous voilà suspendu pour le match retour de Coupe d’Europe à cause d’un carton jaune et les arbitres vous surveillent de très près.

A Cracovie, j’ai pris la carte pour la faute la moins dure que j’ai commise. Sur le terrain, je suis un révolutionnaire, c’est vrai, je déteste perdre ou mal jouer. Mais je n’ai jamais blessé personne non plus et il y a trois ans que je n’ai plus pris de carte rouge. Parfois, les gens ont peur de venir me parler parce qu’ils croient que je suis aussi dur dans la vie qu’au stade. Surtout ici, parce que je n’ose pas trop m’exprimer en français, j’ai peur de faire des fautes. Ce n’est pas comme Felipe, dont le père parlait cinq langues et qui est à l’aise partout. Ça ajoute encore une dimension à mon image d’homme impitoyable. Pourtant, avec les arbitres, je fais attention. Si je prends une carte, je ne rouspète plus. Une fois, à Masseó, j’en avais frappé un et je l’ai regretté, je me suis juré que cela ne m’arriverait plus.

 » Il m’est arrivé de monter sur le terrain sans avoir la tête au football « 

Le fait de ne pas avoir été formé dans un grand club brésilien, où on fait passer le beau jeu avant tout, vous a peut-être aidé.

Je le pense aussi, ça m’a rendu plus fort. Vous savez, en Serie B brésilienne, c’est la guerre. On se tape des déplacements pas possibles en car, on joue sous une chaleur étouffante, les contacts sont très violents. Et moi, j’ai aussi beaucoup joué en Serie C, où les problèmes de ce genre sont encore décuplés.

Pour votre épouse, par contre, l’adaptation semble moins facile. Qu’est-ce que Leane n’apprécie pas chez nous ?

Elle n’aime pas… et ne veut pas aimer. Elle se sent abandonnée ici, livrée à elle-même. Vous savez, c’est une Bahianaise. Chez nous, on aime sentir la chaleur humaine, ne pas avoir de problème avec tout et avec rien. Elle est rentrée au Brésil depuis le mois de juillet avec nos deux enfants et c’est très difficile à vivre pour tout le monde. Elle va tenter de revenir pendant quelques semaines, j’espère que cela ira mieux. Enfin, je ne me fais guère d’illusions non plus.

C’est uniquement à cause de cela que vous avez manifesté votre envie de partir ?

Oui, uniquement. Car d’un point de vue sportif, je suis très heureux au Standard. Je ne regrette pas d’avoir fait ce choix, même si Braga s’était intéressé à moi avant que je ne signe à Sclessin, ce qui m’aurait peut-être permis de disputer la finale de l’Europa League. Mais à partir d’un certain moment, ma situation familiale était devenue intenable. Et cela s’est encore compliqué lorsque, peu après avoir perdu mon père, qui est décédé du diabète, ma mère a eu un AVC. Pour tout vous dire, il y a des jours où je n’avais pas envie de sortir de mon lit pour venir m’entraîner. Et il m’est arrivé de monter sur le terrain sans avoir la tête au football. Comme ce jour où j’ai frappé un joueur de Gand. Je sentais que je m’enfonçais de plus en plus, je craignais de voir arriver le jour où je ne serais même plus capable d’arriver à temps dans un duel. Parce que c’est la tête qui commande le corps. Pour moi qui ne supporte pas la médiocrité, c’était impensable. C’est pour cela que j’ai averti la direction du Standard que ce serait mieux que je puisse partir.

 » Tout le monde sait que je veux partir mais il ne sert à rien de le répéter tous les jours « 

Et vous vous êtes heurté à un refus catégorique ou bien les offres des clubs qui s’intéressaient à vous n’étaient pas suffisantes ?

Braga a fait une proposition qui pouvait être considérée comme trop basse mais Malaga, la Lazio et Majorque se sont montrés raisonnables. Je pense que le Standard n’a pas compris ce que je souhaitais exactement. On m’a d’abord dit que je devais rester pour les supporters, puis on m’a demandé si je voulais une augmentation alors que cela n’avait rien à voir avec mon problème. Nous sommes des êtres humains, pas des machines et je pense que les supporters auraient compris que je voulais partir pour vivre avec ma femme et mes filles. Et le côté financier n’était pas non plus important dans cette histoire. Ce que j’aurais voulu : que le club mette quelqu’un à notre disposition pour nous aider dans certaines démarches : inscrire nos enfants à l’école, aller à l’administration, etc. Le Standard est un grand club, bien structuré mais il lui manque cela. Il y a beaucoup de joueurs étrangers ici, jeunes pour la plupart, venant tous d’horizons différents et de cultures différentes. Ce serait intéressant de les aider.

Donc, vous voulez toujours partir ?

Oui, mais maintenant que tout le monde le sait, il ne sert à rien de le répéter tous les jours. D’autant que ce n’est pas la période. Mon séjour au Brésil m’a fait du bien et je suis rentré en me disant que j’allais travailler encore davantage pour que des clubs continuent à s’intéresser à moi. De toute façon, je n’ai pas le choix : je suis sous contrat et le football est mon métier. Il m’a permis de sortir ma famille de la favela et je veux rendre la pareille. Neuf personnes vivent grâce à mes gains. Depuis la mort de mon père, je suis l’homme de la famille. Ma mère et mes deux s£urs comptent sur moi. Et pas seulement pour l’argent : dès qu’il y a le moindre problème ou qu’il faut prendre un avis, c’est à moi qu’on téléphone.

 » Je n’ai plus eu le moindre contact avec Conceiçao depuis qu’il est parti « 

Est-ce que la nouvelle direction du Standard ne vous considérait pas surtout comme un homme de Luciano D’Onofrio ?

Je suis sous contrat avec le Standard, pas avec Luciano, João, Manuel ou Paulo. Je n’avais même jamais entendu parler de lui avant d’arriver à Sclessin, même pas au Portugal. Et je n’avais pas d’accord avec lui concernant une sortie prématurée.

Peu après votre arrivée, vous avez prolongé jusqu’en 2014. N’était-ce pas une erreur alors que l’adaptation de votre épouse était difficile ?

Non. Cette proposition est arrivée très vite et au début, tout est beau. Quand il y a un petit souci, on se dit toujours que ça va s’arranger. Et pour moi, ce contrat de trois ans, c’était une garantie de sécurité.

On a fait beaucoup de bruit autour d’une soi-disant approche de Sergio Conceiçao pour le compte du Sporting.

Ça, c’était un gros mensonge ! Je n’ai plus eu le moindre contact avec Sergio depuis qu’il a quitté le Standard. Mais bon, tout le monde s’est énervé à ce sujet… sauf moi. Vous savez, je ne parle pas beaucoup et je n’accorde pas d’importance aux rumeurs. J’étais à Beira Mar depuis trois mois que tout le monde me voyait déjà au FC Porto. J’étais, soi-disant, le nouveau Bruno Alves. Et pourtant, à ce moment-là, j’étais surtout proche du Sporting. Beira Mar demandait un million d’euros : la même somme qu’il avait exigée d’Anderlecht lorsque le club bruxellois s’était intéressé à moi. J’étais déçu mais j’ai continué à bosser et j’ai fini par en être récompensé.

Aujourd’hui, c’est Mangala qui est à Porto, pas vous.

Eliaquim le mérite. J’ai toujours dit depuis que je l’ai vu qu’il avait beaucoup de talent. S’il ne s’était pas blessé, il serait peut-être déjà titulaire car il avait réussi à prendre la place d’Otamendi, qui est international argentin. Je continue à discuter avec lui via Facebook car maintenant, il parle portugais.

 » Donner des ballons à 40 m : c’est le genre de chose que je n’aime pas trop « 

Opare, par contre, a disparu dans la nature. L’an dernier, vous l’aviez pris à la gorge en plein match. Parce qu’il n’écoute pas ?

Ce soir-là, j’ai exagéré et je m’en suis excusé auprès de lui et auprès de l’équipe. J’ai aussi demandé pardon à dieu car ce sont des choses qu’on ne peut pas faire, même si c’était pour son bien. J’ai agi dans la chaleur du match et je le regrette car Opare est un bon gars.

Marc Wilmots affirme que vous pourriez être un jour repris en équipe nationale du Brésil. Vous y croyez ?

C’est un rêve et l’histoire n’est pas terminée. Je travaille chaque jour pour qu’il puisse s’accomplir et je suis heureux d’entendre quelqu’un de compétent comme Marc Wilmots prétendre cela. Peut-être que ce serait plus facile si je pouvais aller dans un club plus connu au Brésil, comme la Lazio. Si je ne suis jamais international, ce ne sera pas un drame non plus : il y a tellement de bons défenseurs centraux au Brésil et seulement quatre places dans la sélection… De plus, je ne sais pas donner des ballons à 40 mètres, c’est le genre de choses que je n’aime pas trop. Ce serait bien de pouvoir le faire mais je trouve cela trop risqué.

La Coupe d’Afrique des Nations vient de se terminer. Comme plus de 50 % des Bahianais, vous avez sans doute des origines africaines. Vous les connaissez ?

Non, mais c’est vrai que je dois avoir des racines là-bas. J’ai déjà demandé à ma mère, comme ça, pour rigoler. Mais elle n’a rien pu me dire. Il faut que je lui repose la question plus sérieusement et que je fasse des recherches. J’aimerais savoir.

En attendant, on est en pleine semaine de carnaval. Ça ne vous manque pas ?

Il y a sept ans que je n’ai plus fêté le carnaval. Bien sûr que j’aimerais y être mais ce sera pour dans cinq ans, quand tout sera fini. Je préfère faire un sacrifice maintenant et avoir tout le reste de ma vie pour en profiter.

PAR AUGUSTO MOREIRA – PHOTOS : IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » Cette année, le coach me demande de prendre plus de responsabilités, de m’impliquer davantage. « 

 » Anderlecht est la meilleure équipe belge du moment mais je ne suis pas sûr que ce sera encore vrai dans un mois. « 

 » D’un point de vue sportif, je suis très heureux au Standard. Je ne regrette pas d’avoir fait ce choix. « 

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