LE FIDÈLE DISCRET

Il représente en quelque sorte le Sporting de Charleroi. Portrait de ce fidèle dirigeant zébré.

Au milieu des changements, il y a des choses immuables qui ont le don de rassurer. Comme le cycle des saisons qui nous dit que le réchauffement climatique n’a pas tout dérégulé ou les foires de vin de septembre qui nous font oublier les jours qui décroissent. Dans le monde du foot, le mercato change le visage d’une équipe tous les six mois et les supporters sont parfois les seuls éléments stables. Pas à Charleroi où certaines références ne bougent pas. C’est le cas de Pierre-Yves Hendrickx, secrétaire général du club puis directeur administratif et administrateur, présent au boulevard Zoé Drion depuis 1992. Presque invariablement puisque la paranoïa grandissante d’Abbas Bayat avait fini par avoir raison de sa patience et son sens de la diplomatie légendaire. L’espace de quelques mois, il était parti du côté de Tubize et de l’Union Belge exercer ses talents.

Revenu au bercail suite à la reprise du club par Fabien Debecq et Mehdi Bayat, il fait aujourd’hui partie de ce quatuor décisionnel et complémentaire (aux deux noms précités, il faut ajouter celui du directeur commercial Walter Chardon). Portrait de ce fidèle qui a vu passer le club du football de papa au foot business, qui a côtoyé quatre régimes (celui du tandem Spaute-Colson, celui éphémère mis en place par la ville en 1999, celui d’Abbas Bayat et enfin, celui de Debecq), et vécu autant de moments de gloires que d’heures sombres.

 » Le Sporting, c’est une des grandes décisions de ma vie. En plus, j’y ai rencontré ma femme ! C’est même toute ma vie. Il faut dire que je n’ai pas beaucoup le choix : on a une vie de malade, presque plus de vie sociale, on ne peut pas planifier de resto le samedi soir. Le calendrier fait que le football est devenu toute ma vie. Cette année, avec la Coupe d’Europe, je n’ai pas pris un jour de congé. Malgré cela, je n’arrive pas à en avoir marre.  »

 » GASTON COLSON A AMÉNAGÉ MON SERVICE MILITAIRE  »

Son aventure zébrée débute en 1992. Enfin, pas vraiment puisque depuis quelques années, il déambulait aux abords du stade avec son grand-père, puis dans les couloirs en tant que responsable du fanzine. Pourtant, ingénieur chimiste de formation, rien ne le prédisposait à rejoindre l’organigramme d’un club de foot.  » Je sortais d’un stage de six mois à Erasme dans le labo de recherches de l’ULB. Il était convenu que je puisse poursuivre mon travail de fin d’études dans la recherche (NDLR : sur le traitement du cancer par proton-thérapie) mais je devais effectuer mon service militaire. On m’a alors dit que le budget risquait de ne plus exister pour m’engager à la fin de mon service militaire. Je me suis alors proposé à Jean-Pol Spaute qui m’a dit d’épauler Gaston Colson. Ça a bien fonctionné pendant les quatre mois précédant mon service militaire et finalement, Colson m’a dit : ‘Je connais des gens à l’armée, on s’est déjà arrangé pour avoir des statuts spéciaux pour les joueurs ; on va faire la même chose avec toi‘. Et voilà comment il se retrouve à garder le dépôt pharmaceutique de l’armée à Gembloux une nuit sur quatre, et à travailler au secrétariat du Sporting le reste du temps. Le début d’une idylle commençait.

 » C’était encore l’amateurisme. Il n’y avait pas de moyens, pas de droits TV. Heureusement, il y avait du public ! Les administrateurs n’apportaient pas d’argent et on ne vivait que sur le flair et le réseau de Spaute pour trouver des joueurs. L’arrêt Bosman a fait chuter ce système de travail. A partir de là, il a fallu professionnaliser le club.  »

 » JE NE ME SUIS JAMAIS MÊLÉ À LA VIE DU VESTIAIRE  »

De ses débuts, Hendrickx conserve des souvenirs de liesse populaire.  » Je suis arrivé au début d’une très grande période. De 1992 à 1995, c’était toujours stade plein avec une superbe ambiance. Les joueurs étaient tous copains, ils n’avaient pas la même hygiène de vie que les footballeurs actuels mais ça fonctionnait parce que cette bande de sorteurs, de gamins doués était entraînée par Robert Waseige qui en a fait un groupe et qui savait les piquer à certains moments et fermer les yeux quand il le fallait. Il avait la psychologie adéquate.  »

Il n’a alors que 22 ans. Soit l’âge des joueurs.  » J’ai toujours eu la chance de ne pas avoir besoin de côtoyer les joueurs pour avoir leur respect. Je ne me suis jamais mêlé de la vie du vestiaire. Encore actuellement, je rentre très peu dans la vestiaire. Et je ne sortais pas avec les joueurs sauf quand tout le club fêtait l’accession en Coupe d’Europe ou la finale de la Coupe de Belgique.  »

Immédiatement des noms lui reviennent en mémoire.  » Moury, Silvagni, Casto, Suray, Rasquin, Gérard étaient tous des gens qui mouillaient le maillot en étant reconnaissant d’avoir eu la chance d’évoluer en D1. Humainement, Neba Malbasa a laissé une trace extraordinaire. Il y a beaucoup de joueurs de l’époque qui ont laissé un bon souvenir. Parce que c’était un groupe sain. On ne parlait pas de mercenaires mais de joueurs contents et fiers d’être là. Et les étrangers qui passaient par Charleroi, comme Malbasa ou Cedomir Janevski, avaient un vécu et un sérieux.  »

Pourtant, pas question de se laisser gagner par la nostalgie.  » Il faut savoir vivre avec son temps. On a prouvé qu’il y avait moyen de refaire les mêmes résultats. A Charleroi, tout va bien ou tout va mal. C’est rarement neutre et sans vagues. Quand je vois les publics de Saint-Trond, Malines ou Zulte Waregem, j’ai l’impression que quelle que soit la place du club au classement, les gens restent les mêmes. Ce n’est pas le cas ici. Ou on s’enflamme ou on déprime. Mais il faut vivre avec sa région et ses excès positifs ou négatifs.  »

De Jean-Pol Spaute, il conserve le souvenir de quelqu’un de  » très froid en apparence mais il suffisait de rester quatre jours avec lui – comme on l’a fait lors de notre déplacement en Intertoto en Israël – pour voir que ce n’était qu’une façade de président. De la sorte, il se protégeait. Ces quatre jours m’ont fait changer la vision que j’avais de lui. J’en ai aussi tiré une leçon de vie : ne pas croire ce qu’on raconte d’une personne mais se faire soi-même sa propre opinion en la découvrant.  » De la même façon, il a changé d’avis sur la personnalité d’un autre dirigeant de l’époque.  » On parle toujours du duo Spaute-Colson mais il ne faut pas oublier qu’il y avait un troisième homme : Emile Elsen (NDLR : le comptable). J’ai été très déçu, lorsqu’il est décédé brutalement (NDLR : accident de voiture), de découvrir tout ce qu’il avait caché et la manière dangereuse dont il avait voulu gérer le club. Là, tu te rends compte qu’il ne faut pas faire confiance aveuglément aux gens.  »

 » AVEC MOGI, MEHDI ET JACKY, ON FORMAIT UN QUATUOR PRESQUE PARFAIT  »

Tout bascule avec l’arrivée d’Abbas Bayat en 2000.  » Le côté familial avec 5 personnes travaillant au club s’est envolé. Il y a eu énormément de personnes qui ont débarqué, disant toutes qu’elles connaissaient tout mieux que tout le monde. Abbas Bayat avait imposé à une dizaine de personnes de Chaudfontaine de venir travailler à Charleroi : son directeur commercial, son directeur financier, son adjointe, son responsable marketing, informatique, ressources humaines. Il a fallu expliquer à beaucoup de gens comment fonctionnait un club de foot. Et je me demandais ce que ces gens, à qui on imposait le Sporting en plus de leurs tâches habituelles, allaient apporter en plus. Le changement était trop important à digérer pour Charleroi et c’était impossible à gérer sur le long terme. En trois ans, on était de nouveau proche de la faillite.  »

Les débuts sont chaotiques. Mais le président iranien arrive à relancer la machine.  » Et Charleroi a pu repartir suite à l’arrivée de Mogi, Mehdi puis Jacky Mathijssen. On formait un quatuor presque parfait. Abbas Bayat avait, à l’époque, eu l’intelligence de prendre un peu de recul et de laisser la gestion à d’autres. Ça marchait bien jusqu’au jour où Sunnyland qui avait besoin d’argent, engloutisse les bénéfices que le Sporting générait. Et ça a conduit au clash avec Mogi qui me disait : ‘Dans ces conditions-là, moi, je ne travaille plus. Si l’argent part dans l’autre sens, on va se retrouver mal’. Il s’est disputé avec son oncle et il a été licencié.  »

Commence alors une chasse aux sorcières. Hendrickx est dans le mauvais camp.  » Abbas Bayat a sauvé deux fois le Sporting : en 2000 et en 2003, lorsqu’il a vendu Chaudfontaine. Il aurait pu partir en 2003 après avoir mal géré le club. Or, il a assumé ! Mais à côté de cela, j’ai toujours été étonné par son cheminement. A son arrivée, il affirmait qu’on n’était pas assez ambitieux, il citait son exemple en disant qu’on pouvait réussir à partir de rien. Il avait ce côté manager d’hommes intéressant mais, sur la fin, il ne faisait plus confiance à personne. Il décidait tout, tout seul ; il piquait des colères quand on lui faisait une remarque alors qu’à son arrivée, il disait vouloir travailler à l’américaine, en équipe. Il y a donc eu un changement sur la longueur, dans son attitude, qui est interpellant. Je trouve qu’il a mal vieilli. Et ça s’est retourné contre lui. A l’intérieur, comme à l’extérieur du club, plus personne ne pouvait le voir. C’était devenu invivable.  »

 » ABBAS BAYAT DISAIT QU’ON ALLAIT ME METTRE EN PRISON  »

Le conflit entre le président et son secrétaire général est inévitable.  » Il m’en a voulu de ne pas charger Mogi. Or, je maintiens que Mogi voulait le bien du club mais pas nécessairement ce que désirait Abbas Bayat. C’est la période la plus difficile de ma carrière. Pour que je sois efficace, c’est facile : il faut me motiver, me donner des responsabilités et me montrer qu’on a confiance en moi. Là, il n’y avait plus aucun des trois. Tout était dévié à Bruxelles ; quand il me demandait de faire quelque chose, c’était une broutille ; on attendait un mail ou un coup de téléphone pour avoir du travail ; puis, il fallait toujours courir pour compenser ce qu’il n’avait pas pensé faire. Rien n’était organisé, ni rationnel. Et en plus, il y avait des attaques personnelles sur ma famille ou mon intégrité pour me déstabiliser. Il disait qu’on allait me mettre en prison et se demandait ce qu’allait devenir ma femme et mes enfants. Moi, je ne comprenais pas. Je ne voyais déjà pas pourquoi je devais aller en prison.

Peu avant mon départ, j’avais écrit à Abbas en lui disant qu’on filait tout droit vers la D2, que ça allait lui coûter 4 millions et que si on ne remontait pas directement, il n’y aurait plus de club. Quand je suis parti, il m’a dit trois choses : merci pour ce que vous avez fait, vous le regretterez et je ne vous pardonne pas votre relation avec Mogi.  »

Aujourd’hui, cette période est derrière lui. Il a repris son bureau et vibre de nouveau pour son club. En toute discrétion. Mais en toute confiance aussi.  » Je n’interviens jamais dans le sportif mais j’ai besoin d’avoir une relation de confiance avec le coach. Je l’ai eue avec Mathijssen, Felice Mazzu et Luka Peruzovic. Avec Waseige aussi. D’autres ne voulaient pas avoir de relations, et puis on interdisait à certains, comme Czaba Laszlö,de monter aux bureaux. Il y a des entraîneurs dont je me suis demandé pourquoi ou comment ils sont arrivés à Charleroi. Pourquoi Dennis van Wijk est-il venu ? On n’avait pas besoin de lui ; on serait monté sans lui ; Tibor Balog aurait fini le travail. Mais il s’est investi et a fait le job. Khalid Karama n’était pas non plus à sa place. Il était super gentil mais n’avait pas la carrure pour être un entraîneur de D1. Mais ce ne sont pas tous des échecs. John Collins fut une belle découverte humaine. C’était un homme admirable.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » On interdisait à certains entraîneurs, comme Czaba Laszlö, de monter dans les bureaux.  » PIERRE-YVES HENDRICKX

 » Abbas Bayat a mal vieilli.  » PIERRE-YVES HENDRICKX

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