Le feu sous la cendre

Ancien buteur des Zèbres, Alex quitta le foot carolo en 1981. 29 ans plus tard, il retrouve souvenirs et passion chez les Dogues, comme coach. Dans quel état retrouve-t-il sa ville ?

« La ville n’a pas trop changé mais, pour le foot, l’ambiance était totalement différente avant… Même s’il n’y avait pas de club carolo en D1 quand j’ai été transféré à l’Antwerp en 1981 « , lance Alex Czerniatynski, tout juste 50 ans, coach de l’Olympic de Charleroi. Il y a 30 ans, le Mambourg et la Neuville étaient toujours bondés. Des cortèges de supporters de bonne humeur et goguenards, suivaient leurs fanfares de bistrots en troquets. De bonnes mousses adoucissaient les gosiers les plus pentus, avant d’arriver dans la joie au paradis pour encourager les dieux du stade. La foule était fidèle malgré des résultats qui ne ressemblaient pas à grand- chose.

 » Même si beaucoup se posent des questions à propos du foot carolo, je suis heureux d’être revenu dans ma ville « , affirme Czernia.  » Je suis né à Charleroi, j’y ai grandi, je m’y suis affirmé et j’ai l’intention de dire merci en rendant service aux Dogues. « 

Les Olympiens ont quitté la D1 en 1975 et rêvent depuis d’un retour vers cette terre tant de fois promise. Hélas… Les Dogues n’ont cessé de voyager entre la Promotion et la D2 et affichent désormais leurs ambitions en D3 B. Il est loin le temps des Emile Stijnen, André Vanderstappen, Constant Joacim, Michel Delire ou Alfons Peeters, cinq des neuf Diables Rouges de l’histoire de l’Olympic. Les Dogues et son grand voisin du Mambourg appartenaient encore totalement à leur région, s’appuyaient sur des personnalités régionales influentes et écoutées à l’Union Belge. Quand Czernia signa sa première carte d’affiliation au Sporting, ce club était présidé par André Kolp (ancien président du Palais des Expositions), un gentleman qui trouva la parade à pas mal de soucis financiers et le dota du statut pro. La bonhomie des dirigeants de l’époque était rassurante et les décisions étaient prises en ville. Aujourd’hui, les deux clubs sont dirigés loin du terreau local. Et si les joueurs provenaient essentiellement des quartiers des terrils et des usines, ils proviennent désormais du monde entier, sont exposés à l’étalage de la Neuville ou du Mambourg avant de repartir.

 » C’est universel. A l’Olympic, mon effectif ressemble à une tour de Babel. J’ai des Anglais, un Japonais, un Monténégrin, un Australien, un Français, un Malgache, etc. Même si ce n’est pas évident, c’est passionnant de réunir tant de gens différents autour d’un même projet. Grands clubs européens et petits clubs, c’est idem. Chaque époque est intéressante. On ne gère plus les clubs comme autrefois : en 1981, au Sporting, je gagnais à peine de quoi faire un plein d’essence…. Même s’il y a eu des hauts et des bas, le Sporting n’a plus quitté la D1 depuis 1985. Ce n’est pas rien. Je ne veux pas me prononcer sur ses problèmes actuels et je ne connais pas l’effectif des Zèbres. Mon analyse ne serait pas complète. Aujourd’hui, d’autres sports occupent le haut du pavé : le basket, le tennis de table, le futsal. Les Spirous évoluent en Coupe d’Europe dans une salle pleine à craquer. La concurrence est sévère et je suis attristé quand je vois les faibles assistances au Sporting et à l’Olympic. Le foot à Charleroi, c’était la fête, le bonheur de se retrouver au stade. « 

 » Charleroi a toujours regorgé de jeunes talents « 

Après la Deuxième guerre, de nombreux ouvriers venus d’Italie ou des pays de l’Est prirent part à la bataille du charbon. Eux aussi devinrent petit à petit des Zèbres ou des Dogues. Le papa d’Alex vécut d’incroyables aventures avant de trouver le bonheur. En 1939, les Allemands l’arrachèrent à la ferme familiale, près de Lvov, à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne. Il travailla sous la contrainte dans des usines en Allemagne avant de s’évader avec trois camarades.

Confondus avec des Allemands, ils furent mitraillés par les Alliés et l’un d’eux y laissa la vie. Le père d’Alex s’enrôla ensuite dans l’armée américaine qui comptait des divisions polonaises : elles libérèrent des villes belges (Lokeren, Gand, etc.) et se distinguèrent dans la bataille de Monte Cassino, en Italie. Démobilisé à Reims, il hésita entre émigrer aux Etats-Unis ou bosser en Belgique. Le destin le poussa vers le Hainaut. Mineur, il fit la connaissance de sa future épouse, elle aussi d’origine polonaise, dont la famille habitait à deux pas du Bois du Cazier.

 » Je vis à Anvers mais ma mère et mes deux s£urs n’ont jamais quitté Charleroi « , explique cet ex-Diable qui – hélas – a tôt fait de remplir son cendrier.

 » Avant de nous fixer à Nalinnes, nous avons habité Couillet « , raconte Czernia.  » Le foot était une des seules distractions des jeunes. Tous mes camarades étaient Olympiens mais j’étais irrésistiblement attiré par Sporting. Bobby Böhmer était mon idole. On n’avait probablement jamais vu un joueur aussi doué à Charleroi. L’Autrichien était un spectacle à lui seul, élégant, intelligent, imprévisible, etc. Une vraie star.  »

André Bricmont fut son premier coach au Sporting avant que Jean Piccinin ne s’en occupe durant des années. Alex survola les équipes de jeunes, brilla lors de grands tournois pour jeunes, opta pour la nationalité belge à 17 ans : le Pays Noir tenait une future vedette. Felix Week le lança en D1 en 1977, à Lokeren. Mais le coach bruxellois revint vers les valeurs sûres. La roue tourna quand Piccinin prit sa succession. L’ancien formateur raya quelques vieilles barbes de la carte et le Sporting écarquilla les yeux en découvrant de plus en plus de gamins prometteurs : Hervé Royet, André Sumera, Alex Czerniatynski, Philippe Migeot, Philippe Vandewalle, Jean-Jacques Cloquet, etc.

 » Nous étions des amis « , raconte Alex.  » Cloquet passait des journées entières chez nous… c’est vrai que mon père avait besoin d’aide pour construire sa maison ! « 

Si Cloquet devint ingénieur civil et est aujourd’hui le patron de l’aéroport de Charleroi, Alex signa ses premiers grands matches aux côtés de Charly Jacobs. L’alliance de l’expérience et de la jeunesse, du chauve et de la rock star fit  » boum  » avec à la clef un carton (4-1) contre Anderlecht en 1978-79. Un match de légende et Beveren profita de cette déroute pour s’emparer du titre.

 » Mais Charleroi ne serait pas Charleroi si cette ville n’était aussi la ville des extrêmes. Un an plus tard, c’est la chute en D2 et le public m’indique du doigt. Je n’y étais pour rien mais il fallait un bouc émissaire. Ce furent des moments délicats. En 1980-81, Michel Delire reprit en main le club. Jean Dachelet, victime d’un épouvantable accident de la route, me laissa sa place. Un peu plus tard, je marquais quatre buts à Diest : c’était le déclic.  »

Tracassé par de gros problèmes de trésorerie, Charleroi monnaye le talent d’Alex qui file à l’Antwerp. Le Sporting a alors une ardoise de 500.000 euros et les Dogues de 350.000. Des bruits de fusion font à nouveau le tour de la ville.

 » Une fusion n’arrangerait jamais rien. Elle tuerait un club et le folklore. Le football serait perdant car il y aurait moins de débouchés pour les jeunes. Cette région regorge de talents et a besoin de deux clubs. Le Sporting et l’Olympic ne sont pas faits pour fusionner mais bien pour partager un nouveau stade « .

Successeur de Brogno…

Après avoir sauvé le FC Tournai en D2, pourquoi Czernia a-t-il accepté de signer un étage plus bas ? Et de plus chez le frère ennemi des Zèbres ?  » Je rêve de retrouver un jour la D1 « , dit-il.  » En attendant, je dois travailler. Un vrai coach ne peut pas rester les bras croisés. On peut apprendre des tas de choses en D2 ou en D3. Avant cela, je me suis entre autres occupé des jeunes au Standard. Je me suis bien amusé à Tournai et il y avait moyen d’encore progresser avec cet effectif. Jean-Claude Stocman, le président du stade Luc Varenne, ne pouvait rien me garantir mais l’Olympic m’a tout de suite proposé un défi intéressant : deux ans de contrat avec une option pour un championnat de plus. L’Olympic entend retrouver la D2 dans les deux ans. Mais la D3 B est une série difficile avec de gros clients : Bertrix, Woluwé-Zaventem, l’Union, Virton, etc. Ce sera dur mais pas impossible. A plus long terme, cinq ans, mon club espère monter en D1.  »

Même si tous les accords ne sont pas totalement entérinés avec la direction précédente, l’Olympic est désormais sous la coupe de Peter Harrison (ex-joueur de Charleroi, agent de joueurs) qui placera forcément ses poulains en vitrine. Olympic et Eupen, même combat ? Les joueurs qui se révéleront seront-ils les seuls grands gagnants ? Le club ne risque-t-il pas de n’être qu’une rampe de lancement ?

Les Zèbres lorgnent souvent vers la France et Harrison a son business : inquiétant pour les jeunes du cru ? Bien soutenu par Freddy Delanghe, Czernia y voit plus une source de motivation.

 » Il y a une chance à saisir ici « , rétorque Czernia.  » Le boulot ne manque pas et le foot de papa, qu’on le veuille ou non, a vécu. « 

Quand il se promène dans les rues de Charleroi, Alex est-il apostrophé par des Zèbres ?  » Non, ils ne me reprochent rien… « , dit-il.  » Au contraire, ils apprécient mon retour. J’ai d’ailleurs pris la succession d’un ancien Zèbre, Dante Brogno. Beaucoup de joueurs ont évolué dans les deux clubs. Je me souviens de derbys extraordinaires. La ville retenait son souffle durant une semaine. J’adorais… Retrouver des derbys carolos en D1, ce serait génial. On doit y croire car le foot est inscrit dans les gènes de tous les Carolos. Et cela n’a pas changé depuis mon départ en 1981, quand le foot divisait et rassemblait les Carolos. Le feu couve encore sous la cendre « .

par pierre bilic – photos: eric herchaft

Une fusion n’arrangerait jamais rien. Elle tuerait un club et le folklore.

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