» LE FAIT QUE JE MARQUE, C’EST DEVENU NORMAL « 

Le Taureau d’or floqué dans son dos est à peine plus voyant que l’étiquette de buteur en série collée sur son front. Entre sens du but, critiques et système de jeu, l’attaquant de Zèbres englués dans les play-offs 2 se confie. Rencontre avec un buteur.

Certains parlent de chance. D’autres préfèrent évoquer un instinct naturel, quelque chose d’imperceptible. Une fée se serait penchée sur le berceau de Jérémy Perbetpour lui offrir un don :  » Tu seras un buteur.  » Dans le rectangle, le numéro 21 des Zèbres semble toujours à la bonne place. Au point de se retrouver en tête du classement des puncheurs au terme de la phase classique, malgré une équipe de Charleroi qui a manqué les play-offs 1 à cause, notamment, d’un nombre trop faible de buts marqués. Paradoxal et frustrant. À l’image de la saison de Perbut.  » Le fait que je marque un but, c’est devenu normal dans la tête des gens. C’est presque banal, alors que ça ne devrait pas être le cas « , regrette le Français. Mais au fait, qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un buteur ? Perbet ouvre les portes de son football. Bienvenue dans le grand rectangle.

Tu t’es retrouvé avec le Taureau d’or au début de l’année 2016. Pourtant, est-ce que ce n’était pas ta moins bonne période de la saison ?

JÉRÉMY PERBET : C’est vrai que c’est arrivé au cours d’une période de deux ou trois matches où j’étais moins bien. Collectivement, on n’était pas dans notre meilleure période et je suis un joueur qui a besoin de l’équipe autour de lui pour recevoir de bons ballons. Je m’épanouis dans un jeu offensif, avec des combinaisons. Et puis physiquement, c’était difficile aussi. C’est certainement dû au fait que je n’ai pas fait de préparation. Ça, les gens ont tendance à l’oublier.

Dans ton rôle, on a tendance à penser qu’être au top physiquement n’est pas le plus important…

PERBET : Mais c’est capital ! Surtout pour un joueur comme moi, qui ne suis pas l’attaquant le plus rapide du championnat.

Tu penses que ce manque de vitesse, ça t’a indirectement aidé à développer tes qualités de placement dans le rectangle ?

PERBET : Oui, parce que sinon je n’aurais pas mis autant de buts. J’ai peut-être cet instinct du buteur, d’imaginer que le ballon va rebondir à tel endroit, ou va revenir dans telle zone. Des fois, c’est vrai qu’il y a une part de chance. Mais il y a aussi des matches où je vais suivre le ballon cinq fois, six fois. Les gens ne vont pas voir tout ça. Et quand le septième ballon va revenir dans mes pieds et que je vais marquer, ils diront :  » Perbet, il a de la chance.  » Mais non, il faut voir le travail qu’il y a autour, toutes les courses que je suis amené à faire. Pour moi, le placement est capital : savoir dans quelle zone je dois aller, quel est l’endroit le plus approprié pour recevoir la balle et pouvoir marquer…

 » AVEC POLLET, ON N’ARRIVE PAS VRAIMENT À COMBINER  »

Le but, c’est vraiment une obsession ?

PERBET : Tous les appels que je fais, moi, c’est dans l’optique de recevoir la balle pour marquer. J’ai eu du mal avec ça à Villarreal, au début. Le coach m’a appris que parfois, mon appel allait libérer un autre appel pour le partenaire. Mais te sacrifier, tu peux seulement le faire quand tu joues à deux attaquants.

Tu as toujours dit que tu préférais être à deux devant, mais cette année tu as mis presque tous tes buts en étant seul en pointe…

PERBET : (Il réfléchit) Peut-être parce que quand je suis tout seul, mes partenaires n’ont que moi à alimenter, que ce soit dos au but ou sur les centres. Je ne m’étais pas forcément fait la réflexion au début, mais par la force des choses, tu regardes un peu ton rendement. On en a parlé avec le coach, et c’est la vérité. Les stats sont là pour le prouver : les trois derniers matches, je les ai joués seul devant et j’ai marqué trois buts.

Mais tu continues à préférer un système à deux attaquants ?

PERBET : Ici, le coach demande à David (Pollet, ndlr) de prendre l’espace. Avec lui, on étire les lignes, mais on est très loin l’un de l’autre. On n’arrive pas vraiment à combiner. À Villarreal, l’un prenait la profondeur, mais l’autre devait être très très proche, donc on y parvenait. Avec David, on a eu du mal à trouver cette carburation. Il y a eu des matches où on ne se faisait presque pas une passe.

Tu avais l’impression de disparaître de l’équipe en 4-4-2 ? Tu décrochais dans l’axe, mais le ballon t’arrivait rarement, parce qu’il n’y avait presque aucun jeu intérieur.

PERBET : C’est exactement ça ! Parce que le but du jeu, quand les milieux avaient la balle, c’était que je décroche et que David parte en profondeur. Mais les trois quarts du temps, ils essayaient de chercher David. Les lignes étaient tellement étirées que le temps que je revienne pour avoir une combinaison ou réceptionner un centre, ce n’était pas possible. C’était compliqué de se trouver. Des fois, on sortait des matches et je me disais que ça avait été difficile pour tous les deux.

Maintenant que tu es seul devant, tu as plus de poids sur tes épaules, non ? Si on regarde le dispositif de Charleroi, c’est une équipe construite pour que Perbet marque des buts…

PERBET : À la base, le coach est revenu à ce système pour retrouver une assise défensive, parce qu’on prenait trop de buts. Mais c’est sûr qu’offensivement, à partir du moment où tu joues avec un seul attaquant, tu dois l’alimenter pour qu’il puisse marquer. J’ai la chance de marquer facilement, donc le coach a peut-être réfléchi à ça aussi.

 » UN MATCH SANS, ÇA ARRIVE À TOUT LE MONDE  »

Sans préparation, tu as été très régulier dans tes buts cette saison. Tu en es arrivé à un stade où tu parviens à marquer, même quand tu te sens moins bien ?

PERBET : Je suis toujours parti du principe qu’un attaquant doit marquer. Au début de ma période chez les pros, on m’a toujours dit :  » Si on ne te voit pas du match, mais que tu mets deux buts, tu es le meilleur, tu as fait ton match.  » J’ai toujours eu cette optique, jusqu’à mon départ à l’étranger. On m’a fait changer ça à Villarreal, puis en Turquie parce que là, on avait une tactique tellement défensive qu’on jouait juste pour marquer un but sur corner, mais on était nul, moi je n’avais aucune occasion, mais on gagnait. Maintenant, il y a des matches où je ne suis pas bon, mais je sais que je vais en avoir une. Ou je l’espère. Mais ça ne suffit plus aux yeux des gens. Parce que Perbet, s’il marque c’est normal, et s’il ne marque pas c’est anormal. C’est devenu comme ça.

Pourtant, on dit souvent qu’on pardonne tout à celui qui marque. Tu peux t’épargner une partie du travail défensif, par exemple, parce que tes équipiers savent que tu peux marquer à tout moment ?

PERBET : Je ne pars pas de ce principe. Tout simplement parce que tu ne peux pas savoir si tu vas marquer ou pas. Et cette saison, je me suis rendu compte du fait qu’être bien dans le jeu m’a permis de marquer. Le match à Gand, c’est sans doute mon meilleur dans le jeu, et je mets un doublé. Parfois, tu as tendance à dire que si tu fais trop d’efforts, tu vas être moins lucide…

Et c’est vrai, non ?

PERBET : Ce n’est pas forcément faux. Mais il y a aussi des matches où tu es récompensé de tes efforts. Mais tu dois gérer ça. Parce que vis-à-vis de tes coéquipiers, tu ne peux pas te permettre de dire :  » Je suis Jérémy Perbet, moi je ne défends pas, vous me donnez tous les ballons et je vais marquer.  » Tu ne peux pas, ce n’est pas possible.

Tu as compris les critiques virulentes des supporters qui critiquaient votre mentalité après la défaite à Sclessin (3-0) ?

PERBET : Certains commentaires ne sont pas forcément vrais. Les supporters sont fanatiques, ils ne voient que par leur club. Sur ce match, je pense que c’est plutôt la colère, la honte de se prendre 3-0 parce que c’est le Standard, un match qu’ils attendent depuis le début du championnat. Maintenant, s’ils estiment qu’on ne se battait pas assez, c’est leur droit. Mais nous, on est des professionnels, on joue pour notre carrière, pour notre avenir et celui de nos familles. Il y a beaucoup d’argent en jeu, on se doit toujours de donner le maximum. Après, il y a des jours où on est moins bien. Ça arrive à tout le monde, dans tous les boulots.

 » MÊME LA D2 ESPAGNOLE, C’EST COMPLIQUÉ  »

On en fait trop autour de cette question de l’envie, de son importance dans un match ?

PERBET : Oui, parce que le fait d’être dans un bon ou dans un mauvais jour, ça peut aussi jouer. Il n’y a pas de différence : si tu es moins bien dans le match, que tu loupes quelques trucs, on dira que tu n’as pas envie. Moi, je pars du principe que quand tu joues un match aussi médiatisé, avec autant de public, de pression et d’argent en jeu, tu ne peux pas ne pas avoir envie. À l’entraînement, quand tu n’as pas d’objectif, peut-être. Mais le manque d’envie en match, je pense qu’on en fait trop, oui. Si on est professionnel, c’est qu’on est fort mentalement.

Tu as failli jouer au Standard, puis à Bruges : tu ne regrettes pas de ne jamais avoir porté le maillot d’un des grands clubs du pays ?

PERBET : Il y a eu un peu de malchance, souvent un mauvais timing, mais je ne regrette pas parce que j’ai connu la Liga, avec un grand club comme Villarreal, et je préfère franchement avoir eu cette expérience-là. Ce qui est dommage, c’est que j’atteins les trente ans après la saison où je mets onze buts en Liga. Si j’avais eu trois ou quatre ans de moins, je serais forcément resté là-bas.

Aucun regret non plus pour ton départ en Turquie, avec le recul ?

PERBET : Non. C’était mon choix. Notre choix, avec ma femme. Dans ma tête, je savais que sportivement, je perdais tout. Mais ça a été mûrement réfléchi. J’ai pensé à mon futur, à notre futur. Ils me proposaient une année de contrat en plus, avec des moyens financiers très importants, je ne vais pas le cacher.

On ne se rend pas compte du niveau moyen de la Liga ?

PERBET : Honnêtement, non. Même la D2 espagnole, c’est compliqué. C’est un rythme très élevé, ça n’a rien à voir avec la Belgique où le rythme est bas.

Et quand on joue le Barça ou le Real, c’est difficile de rester joueur et de ne pas devenir un spectateur sur le terrain ?

PERBET : Je me suis toujours préparé de la même manière. Mes amis et ma famille me disaient :  » Tu te rends compte, tu vas jouer le Barça !  » Mais si je réfléchis comme ça, je ne vais pas jouer. Je vais être sur le terrain, mais je vais être impressionné. Au final, tu joues tellement de gros matches sur une saison… Et puis à l’entraînement il y avait Marcos Senna, Giovani Dos Santos… Mais tu fais partie d’eux, donc tu ne dois pas te sentir inférieur ou impressionné. Si tu es là, c’est que tu as le niveau.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le manque d’envie en match ? Je pense qu’on en fait trop. Si on est professionnel, c’est qu’on est fort mentalement.  » JÉRÉMY PERBET

 » Ma fierté, cette année, c’est ma régularité.  » JÉRÉMY PERBET

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