» Le drame de notre football, c’est le succès du Barça… « 

La capitale de l’Etat de Minas Gerais attend impatiemment le match Belgique-Algérie : voyage entre Cruzeiro et l’Atlético Mineiro, les deux grands clubs de cette ville.

Il y a dix ans, Alex Bellos écrivit un livre magnifique sur le football brésilien. Il parcourut tout le pays, jusqu’au plus profond de l’Amazonie mais ne parle pas de Belo Horizonte ! Le nom de Cruzeiro est mentionné une fois, dans un passage traitant des liens entre les présidents et la politique. Et au Brésil, ceux-ci sont fréquents.

Les candidats au pouvoir s’introduisent d’abord dans les clubs pour séduire les fans et récolter des voix au moment des élections. Ainsi, Cruzeiro a été dirigé par un de ces types, Zezé Perella, qui avait fait fortune dans l’industrie de la viande puis devint sénateur après avoir assuré la présidence. Pendant dix ans, lui et son frère firent la pluie et le beau temps à la tête de l’actuel champion du Brésil.

Deux jours après notre arrivée, nous assistons au match au sommet entre Cruzeiro et l’Atlético Mineiro : le quotidien sportif Lance ne lui a réservé qu’une brève pour dire que les supporters du club visiteur ne sont pas admis…

La ville des présidents

Quand on prend le bus de l’aéroport vers le centre, on remarque que cette cité vit de l’industrie : le sol est rouge. On élargit les autoroutes et dans les collines qui entourent la ville, on exploite les mines : c’est un Etat riche.

A l’office du tourisme, on nous dit aussi que c’est la ville des présidents et de Dilma Rousseff, qui règne actuellement. Lorsque les Brésiliens furent appelés à élire Le plus grand Brésilien de tous les temps, ils votèrent pour Juscelino Kubitchek, ex-maire de Belo Horizonte, ancien gouverneur de l’Etat et autrefois président du Brésil. C’est lui qui, dans les années 50, fit prospérer le Brésil et donna un nouveau visage au pays. En accord avec le célèbre architecte Oscar Niemeyer, il fit d’abord aménager dans sa ville le superbe parc Pampulha avant de construire Brasilia, la capitale politique du Brésil. Tous les architectes paysagistes ne sont pas adeptes de Niemeyer et de ses gratte-ciel couverts de vitres qui reflètent les rayons du soleil et créent des conditions de vie infernales mais il faut reconnaître que ses créations ont quelque chose de particulier.

A première vue, BH n’a pas grand-chose à offrir. Nous sommes vendredi, c’est l’heure de pointe et le bus se fraye difficilement un chemin vers Savassi, le centre commercial. En nous promenant un peu dans le quartier autour de la Praça da Liberdade, nous remarquons que les maisons sont superbes. Contrairement à Rio, on ne voit personne porter le maillot d’un club de football.

Cruzeiro, un club régional

 » Ici, on travaille et on étudie « , dit Angelo Pimental, ex-dirigeant de l’Atlético Mineiro en nous emmenant dans une churrascaria, un restaurant de viandes où on peut manger à volonté moyennant un forfait. Sur chaque table, on retrouve un petit panneau stop qu’on retourne vers le haut quand on n’a plus faim.

Angelo vit du football – il introduit sa fille en tant qu’agent – et est très apprécié dans la ville. Il trouve anormal que les supporters de Cruzeiro soient interdits de stade le dimanche. Il pense qu’en augmentant le prix des tickets, on attirerait la classe moyenne au stade et on augmenterait la sécurité dans les stades. Dimanche, il n’ira pas au match.

Il affirme que les clubs de sa ville doivent se battre pour être reconnus. L’hiver dernier, Cruzeiro a été champion du Brésil pour la deuxième fois en dix ans mais en matière de droits de télévision, il perçoit beaucoup moins que les autres.  » Flamengo et Corinthians sont les clubs qui touchent le plus d’argent parce qu’ils ont des supporters dans tout le pays « , dit-il.  » Cruzeiro est un grand club de cet Etat. Mais ça reste un club régional.  »

Petit à petit, pourtant, l’Etat de Minas Gerais grignote son retard en la matière. En travaillant dur. Le Mineirão, le stade où les Belges joueront, fut l’un des premiers à être terminés. Au moment de notre visite, on aménageait les bandes de circulation pour les bus des transports publics plus rapides.  » Pendant que le reste du pays discute, nous travaillons « , dit Pimental.

Deux clubs qui se chambrent

C’est pareil sur le plan du football. Les clubs de Rio n’ont même pas de centre d’entraînement spécifique. Ils promettent beaucoup d’argent aux joueurs mais ne respectent pas leurs engagements.  » Tous les clubs, y compris les deux nôtres, dépensent plus qu’ils ne gagnent : c’est un des grands soucis du football brésilien.  »

Contrairement à ce qui se passe à Rio, cependant, les clubs de Belo Horizonte travaillent avec professionnalisme possible et chacun possède un centre d’entraînement moderne. Pendant la Coupe du monde, le Chili prendra ses quartiers au Toca da Raposa 2 de Cruzeiro, tandis que l’Argentine s’entraînera à la Cidade do Galo de l’Atlético Mineiro.  » D’importants investissements ont été consentis mais ces infrastructures permettent de former des joueurs et de travailler dans les meilleures conditions. Ce n’est pas un hasard si les jeunes de l’Atlético Mineiro sont champions du Brésil, ni si Ronaldinho a préféré poursuivre sa carrière ici plutôt qu’à Corinthians ou à Flamengo. Ici, on travaille bien.  »

Cruzeiro travaille plus en profondeur tandis que l’Atlético Mineiro, à l’image de son président, aime réaliser des coups fumants. Alexandre Kalil utilise régulièrement les réseaux sociaux, notamment Twitter, pour créer des polémiques. En avril, il annonçait l’arrivée de Nicolas Anelka puis, lorsque le Français ne se présentait pas au premier rendez-vous, il attribuait la responsabilité de l’échec des négociations aux agents et à l’entourage du joueur. Il entre également très souvent en conflit avec le directeur sportif de Cruzeiro.  » Cela donne du piment au derby, les deux clubs se chambrent mutuellement « , dit Pimental.

La deuxième puissance après Sao Paulo

Les joueurs s’engagent, les entraîneurs s’engagent, les dirigeants améliorent les infrastructures et tiennent leurs promesses. Selon lui, c’est ça le secret du succès. L’an dernier, Cruzeiro a été champion. Aujourd’hui, alors que le championnat est interrompu pour cause de Coupe du monde, il est à nouveau en tête. L’Atlético a été vice-champion en 2012 et l’année suivante, avec un peu de complaisance (l’épreuve est moins bien organisée que la Ligue des Champions), il a remporté la Copa Libertadores.  » Sauf mon respect, à Rio, le football n’a rien de sérieux, il vit du passé et de l’attrait qu’exerce la ville sur les touristes. Mais du point de vue de la qualité, c’est en dessous de tout. A São Paulo, c’est différent : d’un point de vue économique, les clubs sont puissants. C’est le coeur du Brésil, il y a de l’argent à consacrer au football. Actuellement, nous sommes la deuxième puissance. Objectivement, je peux dire que nous avons dépassé Rio, même si ça peut paraître prétentieux. Mais nous n’avons pas de touristes, pas de plage, nous sommes beaucoup moins connus. Nous sommes une région. Je suis pourtant certain que, dans dix ans, le titre se jouera chaque année entre les clubs de São Paulo et ceux de Belo Horizonte.  »

On ne peut pas quitter Belo Horizonte sans visiter sa campagne. Cela se fait facilement en bus. Il suffit de se rendre au rodoviario, la gare des bus. Car s’il y a un reproche que l’on peut adresser à l’ex-président Kubitchek, c’est celui-ci : afin de soutenir l’industrie automobile brésilienne, il a démantelé le réseau ferroviaire pour construire des routes.

A trois heures de Belo Horizonte, Ouro Preto est l’endroit idéal pour une excursion. C’est l’ancienne capitale de l’Etat de Minas Gerais, à flanc de collines. Ses rues en pente sont étroites et couvertes de pavés. De vieilles maisons coloniales, une place magnifique, un héritage culturel de premier plan, des églises tous les cent mètres, toutes plus belles les unes que les autres. C’est la destination touristique par excellence dans la région, de l’art et de la culture à n’en plus finir.

Un derby nul

Le lendemain, il y a le match. Sans supporters visiteurs, donc. Ce qui n’enlève rien à l’ambiance de l’Arena Independência de l’Atlético Mineiro, un stade un peu désuet. L’Etat voudrait que les deux clubs évoluent dans le Mineirão rénové mais aucun accord n’a encore été trouvé. Pour le moment, il n’héberge que Cruzeiro, même s’il accueille de temps en temps les matches importants de l’Atlético, dont le stade ne peut abriter que 23.000 spectateurs.

Dans le stade, l’ambiance est à son comble et la police est omniprésente car le football brésilien d’aujourd’hui est en proie à une importante vague de violence. Pimental nous a prévenu : le match ne sera pas terrible. Pour le moment, le football brésilien est surtout physique.  » Par le passé, un championnat révélait cinq à dix joueurs. Aujourd’hui, aucun. Neymar a quitté Santos et si vous me demandez le nom de la prochaine star, je suis incapable de vous répondre. Le drame de notre football, c’est le succès de Barcelone. Chaque entraîneur a voulu copier le style du Barça sans avoir à sa disposition les joueurs pour le pratiquer. Le problème de la fédération, c’est que le diplôme d’entraîneur n’est pas encore exigé. Des Neymar, il en naît pourtant encore toutes les minutes à chaque coin de rue mais les amener au sommet, c’est autre chose. Ils ne sont pas bien formés sur le plan tactique et c’est pour cela qu’ils échouent en Europe. Ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire.  »

L’ambiance rend le match agréable et Ronaldinho est égal à lui-même : il joue en marchant, s’écarte sur le flanc pour trouver de l’espace puis accélère soudain. Il ne parvient cependant pas à s’approcher du but adverse. , son équipier, non plus. L’Atlético domine, Cruzeiro joue le contre mais le score reste vierge.

PAR PETER T’KINT, À BELO HORIZONTE

 » Dans dix ans, le titre se jouera chaque année entre les clubs de Sao Paulo et ceux de Belo Horizonte.  »

Angelo Pimental, ex-dirigeant de l’Atletico Mineiro

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