LE DRAGSTER DES BLEUS

Quasi inconnu il y a un an, le joueur du Bayern Munich s’est fait une place en équipe de France, comme une évidence. En conclusion d’un parcours qui l’a mené du PSG en Bavière en passant par la Juve.

Il y a quelque chose d’irrésistiblement aristocratique dans le parcours de Kingsley Coman, qui vient tout juste d’avoir vingt ans. Son prénom d’abord, vite raboté en ‘King’, par ses proches et coéquipiers. Le pedigree de ses clubs, ensuite : le PSG (2005-14), la Juventus (2014-15) et le Bayern Munich depuis l’été dernier. La flamboyance de son jeu aussi : racé, technique, supersonique. Son destin, enfin, lui dont beaucoup s’interrogeaient sur ses choix après qu’il a quitté Paris et Turin, a su chaque fois rebondir et se faire une place, en Bavière et chez les Bleus…

En février 2013, à 16 ans, huit mois et quatre jours, Kingsley Coman devient le plus jeune joueur professionnel de l’histoire du PSG dans une indifférence polie. A l’exception d’Adrien Rabiot (21 ans, prêté un temps à Toulouse) qui a réussi à se frayer un chemin vers le noyau francilien, les autres fruits de la pépinière d’Ile-de-France (finaliste de la Youth League, cette année) ont dû opter pour la voie de l’exil : Sakho (à Liverpool), Maignan (à Lille), Bahebeck (22 ans, prêté à Troyes, Valenciennes et Saint-Etienne), Aréola (un gardien de 23 ans, ‘loué’ à Lens, Bastia et qui a fait cette année le bonheur de Villarreal) ou Moussa Dembélé (19 ans), le grand ami de Coman, transféré à Fulham…

 » Dans un autre club que le PSG, Kingsley aurait joué en pro plus régulièrement, assure Patrick Gonfalone, son sélectionneur chez les U17. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un garçon aussi complet. Même s’il avait besoin d’un peu de temps, le PSG aurait dû le couver comme une perle rare et lui donner progressivement du temps de jeu.  »

Il ne le fera pas et au printemps 2014, ‘King’ refuse la proposition de contrat du club parisien de trois ans, assorti d’un salaire de 25 000 euros mensuels. Selon un de ses proches,  » il craignait de ne pas jouer du tout, ou presque.  » Un crève-coeur qui l’amène à signer pour la Juventus Turin en juillet de la même année pour cinq ans.

AMOUREUX DU BALLON

Né à Paris de parents guadeloupéens, mais originaire de Seine-et-Marne, dans la banlieue sud-est de la capitale, où il a débuté à Moissy-Cramayel à 6 ans, Kingsley a vite surclassé tous les gamins de son âge. Son père, Christian, fan du PSG, attendra qu’il ait 9 ans pour pousser la porte du camp des Loges. Il est amené ensuite à intégrer le centre de préformation du club à Verneuil (Yvelines) et sa polyvalence fait alors des ravages dans les rangs des U13.

Sa réputation naît, alimentée par des commentaires dithyrambiques.  » On s’est mis à parler de lui dans toute la région, puis dans tout le pays « , confirme Hervin Ongenda, d’un an plus âgé, formé lui aussi au PSG. Sélectionné en équipe de France U16, une paire d’années plus tard, pour disputer le prestigieux tournoi international de Montaigu (Vendée), il confirme ce statut en étant sacré meilleur joueur de la compétition puis en contribuant à la qualification des U17 pour la phase finale de l’Euro qui allait suivre. Comme un secret qu’on partage sous le manteau.  » On entendait parler de lui depuis des années « , poursuit Antoine Conte, de deux ans son aîné.  » Il va monter avec vous et quand il est arrivé, on a vu.  »

Coman jouera neuf saisons à Paris, de neuf à dix-huit ans. Il lui faut plus d’une heure pour aller à l’entraînement : partir de Savigny-le-Temple au sud-est de Paris pour aller à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) au nord-ouest.  » Au retour, il dormait souvent dans le coffre de la voiture de son père, harassé « , confie Christian, son père.  » Il a vite compris quels sacrifices nécessitaient une carrière professionnelle « , abonde Laurent Bonadei, l’entraîneur des U19 parisiens.

En préformation, les éducateurs lui reprochent de ne pas lâcher la balle assez vite. Yves Gergaud, son coach de neuf à douze ans, qui le pense  » spécial « , l’incite à continuer à dribbler comme Pep Guardiola, cette saison.  » Tu dis ‘oui, oui’ dans le vestiaire mais sur le terrain, tu joues ton jeu.  » Les autres dirigeants ne souhaitent pas le conserver, certains avancent même qu’il habite trop loin.

 » Sur le plan technique, de la vitesse, des changements de direction, de la répétition des efforts, c’est un phénomène « , poursuit Gergaud.  » J’ai formé une quarantaine de gars devenus pros, de Gouffran (Newcastle) à Diaby (OM, ex-Arsenal), et lui c’est le plus doué de tous.  »

EN AVANCE

Club fondé par un couturier, Daniel Hechter, et historiquement soutenu par le show-biz’ parisien (Belmondo, Macias…), le PSG n’a jamais trop fait confiance, sauf en de courtes périodes, à ses jeunes alors que l’Ile-de-France est devenu un terreau extraordinaire où vont éclore d’innombrables joueurs de classe internationale. Aussi, quand Qatar Sport Investment rachète l’entité de la capitale française, personne ne s’étonne que Nasser Al-Khelaïfi, le président, et Leonardo, le directeur sportif, ignorent la pépinière parisienne et fassent chauffer la carte Gold.

A une ou deux exceptions près, le hiatus dure toujours. A 16 ans, en juin 2012, Kingsley Coman s’interroge et continue d’impressionner par son sens du dribble et sa qualité de percussion. Buteur ou passeur, à droite comme à gauche, sa vitesse et son explosivité balle au pied créent des brèches considérables.  » Il peut jouer partout : avant-centre, numéro 10, ailier, milieu. A 17, 18 ans, il n’avait déjà plus rien à faire avec les gars de sa promotion… C’était une chance insensée de l’avoir « , assure Laurent Bonadei.

Cette chance, l’équipe première du PSG ne va s’en servir qu’au compte-gouttes. A cheval sur deux saisons, entre février 2013 et mai 2014, Coman n’y jouera que quatre rencontres, dont quatre misérables minutes lors de sa dernière année au club. Des bouts de match. Il en profite pour avoir son Bac dans une filière scientifique avec un an d’avance ; la précocité, toujours. Assoiffé de temps de jeu, le Parisien décide de son propre chef de revenir jouer avec les U19.

 » En plus d’être humainement adorable « , assure Patrick Gonfalone,  » il est très bien éduqué et a le sens des responsabilités. Son comportement était déjà très professionnel.  » Une maturité qui n’échappe pas aux observateurs du football.  » Il est très suivi et c’est normal, c’est l’un des meilleurs joueurs offensifs français toutes périodes confondues « , estime ainsi Reda Hammache, responsable du recrutement des jeunes au RC Lens.

Le futur international commence à susciter l’intérêt de grands clubs étrangers. Il commence à briller lors de la première édition de l’Al Kass Cup à Doha, en 2012. L’année suivante, lors de la NextGen Series, l’ancêtre de la Youth League, la Champions’ des jeunes, il porte littéralement son équipe…

 » On a survécu à la phase de poules uniquement grâce à lui contre Fenerbahçe, City, Juve… Dès qu’on lui donnait la balle, il se passait quelque chose « , se souvient Bertrand Reuzeau, le responsable de la formation du PSG.  » Plusieurs fois, le message venu des pros était qu’il n’était pas prêt. Ce n’était pas l’avis de la Juventus, apparemment  » , regrette un de ses formateurs.

LIBRE DE DROITS

A l’été 2014, les scouts de la Juventus se souviennent de ses éclats avec les jeunes du PSG. Le 7 juillet, les dirigeants de la Vieille Dame récupèrent un joyau ‘libre de droits’ comme avec Paul Pogba, deux ans plus tôt en provenance de ManU. Kingsley file direct chez les pros. Premier match, le 30 août face au Chievo Vérone (0-1), où il devient le plus jeune straniero (étranger) à enfiler le paletot bianconero à 18 ans, 2 mois, 17 jours.

 » Il est incroyablement mature s’emballe Allegri à l’époque dans La Stampa. C’est potentiellement un phénomène.  » Il s’est engagé cinq ans dans la métropole piémontaise et, moins de deux mois après son arrivée, Coman sait qu’il a fait le bon choix. Dix mois plus tard, le bilan est mitigé : vingt matchs (14 en Série A, 4 coupe d’Italie, 2 C1) pour sept titularisations et deux rencontres en intégralité en fin de championnat, avec un but et deux passes décisives…

S’il fait l’unanimité pour son sérieux, sa vivacité et son endurance, le staff le trouve trop vert tactiquement et pas assez incisif.  » Au départ, la Juve souhaitait l’intégrer sur un projet à long terme  » affirme Giovanni Branchini, un agent italien.  » Kingsley avait des doutes sur son utilisation dans la saison. Il y avait l’option d’un prêt à Bologne ou à Sassuolo mais il a préféré le Bayern.  »

Allegri l’estime mais ne peut rien lui garantir. Si Llorente et Tevez sont partis, Dybala, Zaza et Mandzukic arrivent. Le Bayern arrive avec une proposition. Les grands espaces des prairies de la Bundesliga et la possibilité de travailler avec Pep Guardiola achèvent de le convaincre.  » C’était un vrai pari. La concurrence en Bavière était encore plus rude mais l’ex-coach du Barça le voulait vraiment. Et il y a fait sa place « , poursuit Branchini qui a participé aux négociations : un prêt payant de deux ans (à 5M€ la première saison, plus 2 la seconde) assorti d’une option d’achat, vite levée, à 21M€.

Illustre inconnu à son arrivée outre-Rhin, Kingsley Coman donne le ton le 10 septembre dernier, lors de sa présentation à la presse, timide et sans complexe.  » Je suis le genre de joueur qui fait la différence à n’importe quel moment d’un match.  » Markus Hörwick, le RP du Bayern, rectifie la traduction :  » Kingsley voulait dire qu’il peut faire la différence.  » Matthias Sammer intervient à son tour :  » Non, non Kingsley a bien dit qu’il faisait la différence.  »

Manière de mettre la pression au Français mais aussi de lui signifier la confiance des dirigeants bavarois.  » Faire son trou n’était guère évident. Il a un tel détachement qu’il appréhende les choses de manière positive, toujours. Ce n’est pas le mec qui va se relâcher, il est toujours dans le coup d’après « , pointe Ongenda.

9 TROPHÉES

Bien vite, il est subjugué par l’intensité des séances et la qualité individuelle de ses prestigieux coéquipiers. Plus encore qu’à Turin, il est persuadé d’avoir fait le meilleur choix pour grappiller du temps de jeu. Guardiola le met en confiance dès le début de saison :  » Je ne vais pas t’apprendre à dribbler, ça tu sais le faire. Ne t’empêche jamais de dribbler « , rapporte-t-il lors d’un point presse.

A Munich, Kingsley Coman a complété sa collection de trophées, neuf (1) au total avant ses vingt ans. Sa participation à ses titres se situe à la marge : quarante matchs de championnat (3 avec le PSG, 14 avec la Juve et 23 avec le Bayern) lui ont offert un total de quatre sacres nationaux dans trois pays différents.

A l’image de sa présence furtive (rentré à la 89e) en finale de la C1, l’an passé, contre le Barça (1-3), le jeune Français doit désormais se faire une place plus conséquente dans un des meilleurs effectifs du monde.

Cette année à Munich n’a pourtant rien à voir avec les précédentes. Il a pesé sur le jeu des champions d’Allemagne en délivrant notamment une palanquée d’assists lors des trente-cinq rencontres disputées. Mieux, le dragster de Munich a été appelé en équipe de France en novembre dernier et il y est resté en dépit d’une concurrence féroce en attaque.  » Physiquement, il n’est pas impressionnant (1,78 m, 71 kg) mais il a de la foudre dans les jambes et sait quoi faire avec le ballon. Il est là pour longtemps « , certifie Pierre Mankowski, le T1 des Espoirs français.

 » ‘King’ est un amoureux du foot « , poursuit Christian, son père.  » Quand il n’est pas sur le terrain, il joue à Football Manager, regarde des séries (Comme Game of Thrones) ou accueille ses amis (Dembélé, ou Kimpembe). Quand il a un coup de moins bien, il intériorise sa déception et repart aussitôt.  »

On l’aura compris, le doute n’est pas son fort. Il ronge plutôt l’esprit des dirigeants parisiens. Il y a quelques jours, ils ont fait signer un premier contrat pro à plusieurs joueurs dont Jonathan Ikoné (18 ans), le nouveau Coman, après des semaines de négociation et alors que de nombreux clubs européens, dont la…Juve, voulaient le transférer. Peut-être la plus belle trace que Kingsley ait laissée au PSG…

(1) : Champion de France (2013 et 14), trophée des champions et Coupe de la Ligue (2013) ; champion, Coupe et Supercoupe d’Italie(2015) ; champion et Coupe d’Allemagne (2016).

PAR RICO RIZZITELLI – PHOTOS BELGAIMAGE

A 20 ans à peine, il totalise déjà quatre titres dans trois compétitions différentes.

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