Le doyen des toubibs

Le plus ancien médecin sportif de D1 retrace l’évolution des soins en un quart de siècle.

Richard Maréchal (58 ans) est le médecin sportif qui présente les plus longs états de service ininterrompus en D1, au Standard en l’occurrence. Il a assisté au premier match parmi l’élite de Michel Preud’homme et récemment à ses débuts d’entraîneur. Parmi les premiers diplômés de médecine sportive en 1972, il est entré au service du Standard à l’aube de la saison 1974-1975, parallèlement à son cabinet et à l’Institut Malvoz de Liège, où il travaille au service de physiologie du sport. En plus de vingt-cinq ans, il a été le témoin et l’acteur d’une véritable révolution des soins, qui a été de pair avec le développement du professionnalisme en sport mais aussi de l’évolution de la société, comme le démontre le développement de son service à Malvoz: au départ fondé par le Professeur Petit pour l’évaluation fonctionnelle respiratoire des mineurs, le service de physiologie de l’effort s’occupe désormais à 90% de sportifs de tous niveaux.

De même, au Standard, la petite salle de soins attenante au vestiaire a fait place à une vaste pièce dotée des équipements les plus modernes, où s’affairent en permanence trois kinés, un quatrième venant ponctuellement en renfort. Le Docteur Maréchal a également tissé un réseau de spécialistes pour offrir aux joueurs tous les traitements possibles et imaginables.

Comment avez-vous été engagé au Standard?

Lucien Levaux, mon beau-frère, m’a appris que le Dr Germay souhaitait s’adjoindre un second. Roger Petit avait professionnalisé le Standard et les joueurs s’entraînaient l’après-midi au lieu du soir. Or, le Dr Germay ne pouvait pas se libérer, contrairement à moi, qui débutais en médecine. Je m’occupais déjà d’un club de gymnastique. L’équipe ne s’entraînait qu’une ou deux fois par semaine et il n’y avait qu’un seul kiné, André Paty, auquel Jean Bourguignont a succédé l’année suivante. Cor Van der Hart entraînait alors le Standard. J’ai découvert la traumatologie, sur le terrain, ce qui était très différent de la théorie universitaire. Nous avions deux ou trois appareils: haute et basse fréquences, ultrasons. Dans la région, peu de chirurgiens s’intéressaient au sport. Christian Piot a été opéré à Lyon par le Professeur Trillat, qui était une sommité en la matière. Ensuite, nous avons envoyé les blessés à Anvers -déjà-, chez le Dr Rombouts. Le créneau est devenu plus intéressant quand les loisirs actifs ont pris de l’ampleur et la tendance s’est inversée: beaucoup de sportifs européens viennent se faire opérer en Belgique. Mais avant, le sportif moyen se rendait chez un chirurgien généraliste, il n’avait pas le choix.

Quelles sont les plus grandes avancées?

La notion de traumatologie a fait l’objet de communications à l’étranger. On a étudié les mécanismes d’apparition des lésions. Les outils de diagnostic se sont multipliés, notamment en radiologie. L’arthroscopie a révolutionné la chirurgie. On l’emploie maintenant pour toutes les articulations. Avant, une opération au ménisque nécessitait trois mois de rééducation. Dans les années 70, une déchirure des ligaments croisés était synonyme de fin de carrière. Ce fut le cas de Piot. On tentait bien des réparations mais le succès était rare tant les séquelles étaient importantes. Actuellement, on procède par arthroscopie même pour les ligaments croisés. Cette technique est moins agressive, elle occasionne moins de délabrement musculaire.

Les autres soins ont aussi évolué.

En 1975, nous n’avions pas de tape. Or, cette technique de contention souple est primordiale pour la rapidité de la récupération. On l’utilise beaucoup dans les lésions musculaires et tendineuses. Le stretching était négligé. Ou on le faisait n’importe comment. Les moyens et la qualité des rééducateurs ont crû en même temps. Les joueurs sont nettement mieux suivis. Les kinés disposent de différentes techniques: stretching, manipulations ostéopathiques, crochetage…

Vous avez introduit la mésothérapie à Liège?

Disons que j’ai été un des premiers à l’utiliser mais ce sont mes confrères d’Anderlecht, les Dr Chapelle et Edelman, qui l’ont diffusée en Belgique. Elle ne remplace pas les infiltrations mais diminue, voire remplace la prise d’anti-inflammatoires par voie orale. Globalement, nous sommes mieux équipés mais nous devons faire face à plus d’exigences aussi.

Roger Petit était-il compréhensif, êtes-vous l’objet de pressions?

Ancien joueur, Roger Petit comprenait nos hésitations, mais globalement, il était fidèle à sa réputation. Tout dépend des entraîneurs, de l’enjeu et du joueur. Certains sont plus indispensables que d’autres. Je comprends que la direction puisse être impatiente. Il suffit d’expliquer clairement les choses pour dissiper tout problème. Evolution ou pas, un ligament cicatrise en six semaines, pas en trois.

Au début, étiez-vous confronté à des carences?

En appareillage. Nous avons maintenant une infirmerie moderne et nous avons tissé une toile, un réseau de collaborateurs. Par exemple, nous envoyons les joueurs à l’université pour des séances d’isocinétisme – NDLA: un appareil de musculation géré par ordinateur qui évite les déséquilibres entre les différents groupes musculaires.

Vous faites aussi appel à un dentiste et à un oculiste.

Depuis un certain temps, mais Michel Preud’homme a également demandé des examens. On peut souffrir d’une vision nocturne déficiente sans s’en rendre compte. Dans ce cas, on évalue mal les distances. Il suffit de porter des lentilles. La dentition est généralement bonne mais certains joueurs avaient des caries. Même si le mécanisme reste inconnu, les caries peuvent entraîner des tendinites. Il est déjà arrivé qu’un joueur ait un abcès et qu’on doive lui arracher une dent en urgence, ce qui l’empêchait d’être aligné.

Votre travail a-t-il changé?

Au début, je me rendais au Standard deux fois par semaine et pour le match. Maintenant, j’y suis au moins une heure par jour mais il est difficile de quantifier le temps consacré au club car il y a aussi les relations avec les assurances, la paperasse et les visites à domicile. Si on me téléphone à neuf heures que Mornar est grippé, je vais le voir. Popovic s’occupe de la grosse traumatologie alors que je fais aussi office de médecin traitant. Je m’occupe des familles des joueurs, surtout étrangers. En plus, il y a les examens de contrôle, les tests à l’effort, les examens à réaliser sur les transferts.

Etes-vous mieux écouté, mieux perçu qu’avant?

La mentalité est différente. Il y a vingt ans, ils étaient encore amateurs. Les exigences ont crû à tous points de vues, comme nos responsabilités. Le staff médical doit s’affirmer mais les joueurs sont corrects. Ils suivent généralement nos conseils. Nos contacts sont amicaux, même si j’interviens de manière plus ponctuelle que les kinés. A force de les côtoyer, toutefois, la différence d’âge ne se marque pas. Je les remets à leur place comme s’ils étaient mes fils et ils m’engueulent parfois. Je tiens à cette notion de camaraderie, même s’il faut parfois être sévère. D’autre part, ils se font dorloter.

L’apparition des préparateurs physiques est plus récente. Vous travaillez de concert?

J’émets des recommandations dans le cas d’un joueur blessé: celui-ci reçoit un programme individuel, avec des limites à ne pas dépasser. Il est esssentiel que tout le staff sportif collabore. Le niveau général des entraîneurs est en hausse: avant, ils ignoraient les notions d’acide lactique, de VO2 max. Le préparateur peut déceler des carences et nous demander un bilan: prise de sang, test sur tapis roulant, etc. Notre travail est interactif.

La diététique est-elle de votre ressort?

Sans que je sois vraiment attaché à cette notion: à l’exception des stages, nous pouvons tout au plus contrôler un repas par jour. Nous expliquons les grands principes diététiques aux joueurs et nous contrôlons leur poids.

Vous suivez d’autres sportifs. Les footballeurs ne restent-ils pas en retard sur les athlètes, par exemple?

Un athlète pratique un sport individuel. Il en porte le poids seul. Erwin Kostedde était un peu rond mais il marquait. Il ne faut pas tout médicaliser. C’est moins nécessaire en football et les joueurs sont devenus plus athlétiques. Ils s’adonnent désormais à la musculation, en groupe ou individuellement. Ce n’est pas qu’une question de force: une bonne gaine musculo-tendineuse fait un peu office de corset. Toutefois, l’excès est nuisible car une musculature trop importante fragilise les tendons. Ronaldo en est un exemple flagrant.

Avez-vous remarqué une évolution des traumatismes?

Oui. Autrefois, les chevilles étaient plus fréquemment atteintes, par manque de soutien. Le problème s’est déplacé au genou. Les atteintes aux ligaments croisés se multiplient.

Et les hanches?

Il s’agit surtout d’un problème d’usure, que la récente retraite d’Enzo Scifo a médiatisé.

L’augmentation du rythme des matches et leur fréquence, surtout pour les joueurs qui prennent part à une campagne européenne, n’ont-elles pas augmenté le nombre de blessures?

La majorité est provoquée par une mauvaise réception ou un contact. La surcharge génère plus de blessures surtout si la saison est longue. La fatigue diminue la qualité des réflexes, de l’évaluation du geste.

L’aspect mental est-il de votre ressort?

Non. Ce sont les entraîneurs qui doivent dialoguer avec les joueurs. Il n’y a rien de tel qu’une conversation individuelle. Robert Waseige a essayé d’introduire la sophrologie, sans guère de résultats. Je ne crois pas en ces démarches dans les sports d’équipe car trop de paramètres interviennent.

Vous avez obtenu le Prix de l’Union Belge en 1996 pour votre étude sur l’affaiblissement de l’immunité des joueurs…

Même sain, un footballeur peut accuser un déficit de certains leucocytes, en fonction de l’entraînement. C’est le problème du sportif en forme: il est plus exposé à des maladies. Par exemple, une pharyngite attrapée en plein mois d’août peut s’expliquer par une diminution des globules blancs. On relève aussi d’autres déficits: en fer, en magnésium, plus rarement en calcium. Les sportifs perdent du fer à cause des micro-saignements provoqués par les chocs et les petits traumatismes. Ils peuvent alors souffrir d’asthénie. La transpiration élimine le magnésium, un minéral important pour les muscles.

Soigner les joueurs ne doit pas toujours être évident car beaucoup de médicaments se trouvent sur la liste des substances interdites.

Nous sommes effectivement limités: les médicaments qui soignent la toux et les écoulements nasaux comprennent souvent de telles substances. J’ai toujours la possibilité d’écrire un justificatif avant un match mais il existe souvent des substituts non-interdits. Le problème, c’est que les joueurs sont pressés. Ils voudraient guérir de la grippe en un jour!

Pascale Piérard

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