Le dossier noir de l’arbitrage

Crise des vocations, récusations, procès, favoritisme, jalousies, pratiques critiquables, flamandisation… Les accusations pleuvent sur nos arbitres.

Un mail envoyé la semaine dernière, par l’Union Belge, à toutes les rédactions sportives : La Commission Centrale des Arbitres tiendra une conférence de presse au Bâtiment fédéral ce vendredi 14 novembre à 11 h 30. Le Président Robert Jeurissen s’expliquera à cette occasion quant aux différentes questions soulevées ces dernières semaines par les médias.

Quelles questions ? Elles sont nombreuses… L’arbitrage fait débat et ce n’est pas nouveau. Dans les clubs aussi, on s’interroge.

A Charleroi, on se prépare à fêter le 50e match consécutif sans penalty pour les Zèbres. On aurait pu en siffler un contre Bruges, il y a dix jours : non. A nouveau contre Renaix, la semaine passée, en Coupe : encore non. Thierry Siquet a réagi avec humour :  » On en aura peut-être quatre d’un coup, un jour. J’irai alors à Banneux.  » Les Carolos rigolent mais n’en pensent pas moins.

Au Standard aussi, on lance ses petites piques. Commentaire de Laszlo Bölöni après la récente défaite contre Charleroi :  » J’aime un match quand on ne voit pas trop l’arbitre. Mais ce soir, Frank De Bleeckere s’est bien montré.  »

A Mons, on a carrément fait une entorse aux règlements fédéraux suite à la défaite à Sclessin en octobre. Après chaque match de D1, la direction des deux clubs est tenue de coter l’arbitre et d’envoyer son rapport à l’Union Belge. Mons a refusé de donner une appréciation à Joeri Van De Velde – histoire de marquer son mécontentement – et s’expose à une amende.

En tout début de saison, il y eut aussi des grincements de dents à Mouscron. Enzo Scifo affirma que le quatrième officiel l’avait tutoyé, toisé, voire insulté.

Les oreilles des arbitres sifflent chaque semaine. En Wallonie. En Flandre. Dans toutes les divisions, dans tous les stades. D’après Jeurissen, le président de la commission centrale des arbitres (CCA), c’est la première explication de la crise des vocations :  » Les critiques n’arrêtent pas et il faut être motivé pour se lancer aujourd’hui dans l’arbitrage. On en perd de plus en plus en cours de route et ils ne sont pas tous remplacés. Nous en avons près de 500 en moins qu’il y a deux ans. Pour diriger tous les matches, il en faudrait 7.300. Il en manque environ 1.200. Chaque club est obligé d’avoir un arbitre par tranche de trois équipes. Beaucoup n’y arrivent pas et ils doivent payer des amendes. « 

Les arbitres ne veulent plus de réunion avec les entraîneurs

Les commentaires destructeurs des entraîneurs de D1 n’arrangent rien. Il y a déjà eu plusieurs tentatives pour les rapprocher du corps arbitral. Quand il entraînait les Diables Rouges, Georges Leekens avait rassemblé les arbitres et des entraîneurs de clubs autour d’une table. Histoire de mieux se comprendre. Aimé Anthuenis a renouvelé l’expérience. René Vandereycken aussi. Pour un résultat décevant ! Les critiques des coaches n’ont jamais cessé et les arbitres ont fini par décider que ces réunions étaient inutiles. Donc, on ne les organise plus.

Pour un arbitre, être critiqué par un club, c’est une chose. Etre récusé, c’est encore moins agréable. Cela arrive de temps en temps. Des clubs demandent à la CCA de ne plus leur désigner tel ou tel arbitre. Charleroi et le Standard, par exemple, l’ont déjà fait. A la CCA, on accède automatiquement à leurs souhaits, même quand on estime que les demandes de récusation ne sont pas justifiées.  » A quoi bon envoyer un arbitre dans un club où on n’a pas confiance en lui ? », demande Jeurissen. Et tout finit le plus souvent par se tasser naturellement. Lors de l’un ou l’autre drink, le club ayant demandé une récusation signale à la CCA que l’arbitre concerné peut à nouveau lui être attribué. Ce sont toujours les clubs qui prennent l’initiative de mettre fin aux récusations ; la CCA ne fait jamais la démarche.

Autre sujet sensible : la limite d’âge. La FIFA et l’UEFA l’ont fixée à 45 ans pour les matches internationaux. Au niveau national, les fédérations sont libres de l’appliquer ou pas. L’Union Belge ne l’applique plus depuis qu’un de ses arbitres, Pieter Vandevenne, l’a assignée – avec succès – au tribunal. Son avocat a plaidé que c’était une discrimination inacceptable, basée sur l’âge.

Chaque procès est une affaire ennuyeuse pour la CCA. Il y a peu de temps, un arbitre a encore obtenu raison devant la justice. Geert Barbry avait été rétrogradé par la CCA pour cotes insuffisantes et ne pouvait donc plus arbitrer en D1. Il a attaqué la commission centrale en justice et le juge a ordonné qu’on lui rende son grade. La CCA n’a pas eu le choix et il a donc repris du service récemment, lors de Mouscron-Genk.

Autre cas : Jean-Marie Dans, un assistant (juge de ligne) de la province de Luxembourg qui officiait en D1, a été refoulé au niveau provincial pour avoir raté deux fois son examen théorique – à présenter chaque été. Il attaque aujourd’hui la Fédération pour être réintégré en Nationales.

 » Si la CCA continue à se moquer de moi, j’attaque en justice « 

Ambiance ! Pourrie ? Il y a des arbitres belges heureux, c’est sûr. Mais il y en a aussi qui râlent. Nous en avons rencontré plusieurs dont un qui voulait témoigner. Anonymement  » parce que je n’ai pas envie d’avoir encore moins de beaux matches qu’actuellement « . On touche directement un point sensible : les désignations.  » Je note soigneusement tous les matches pour lesquels je suis désigné. Si la CCA continue à se moquer de moi, j’attaque moi aussi en justice. « 

Un récit rentre-dedans.

 » Jeurissen prend seul toutes les décisions et beaucoup d’arbitres s’en plaignent. Ses désignations font hurler parce que ce sont presque toujours les mêmes qui sont choisis pour les beaux matches. Au top, c’est devenu un cercle très fermé. Les Limbourgeois et les Anversois sont systématiquement favorisés. Du côté wallon, ça râle ferme. Michel Piraux, un francophone, est un des deux vice-présidents de la CCA, mais il n’a rien à dire. Il ne défend pas les Wallons. Il a le droit d’aller visionner des matches à l’étranger, c’est sa récompense, ça lui suffit. Les assistants râlent aussi parce que De Bleeckere, Serge Gumienny et Paul Allaerts, qui obtiennent la majorité des sommets, choisissent toujours les mêmes juges de ligne alors qu’aucun règlement ne l’impose. La porte est fermée pour les autres, le renouvellement des cadres est impossible. Ce sont aussi toujours les mêmes que la CCA envoie diriger des matches au Qatar dans le cadre d’un vague échange avec la Fédération de ce pays. Autre fait troublant : à partir du 1er janvier, il n’y aura plus qu’un seul assistant francophone sur les 10 internationaux. Et sur les sept arbitres internationaux, il n’y a qu’un seul francophone : Jérôme Efong Nzolo.  »

Confronté à ces accusations, Jeurissen réplique :  » Je ne suis pas le seul décideur pour les désignations. Je fais des propositions à mes deux vice-présidents et ils me donnent leur avis. Le plus souvent, nous sommes d’accord. Les provinces d’Anvers et du Limbourg ne sont pas favorisées. Il y a simplement la loi des chiffres. C’est dans ces provinces qu’on trouve le plus d’arbitres et le plus grand nombre d’internationaux -Allaerts, Johan Verbist et Peter Vervecken sont d’Anvers ; Luc Wouters et Gumienny sont du Limbourg. Et il est logique que l’on désigne des internationaux pour les sommets du championnat, non ? C’est normal que l’on donne Bruges-Anderlecht à De Bleeckere plutôt qu’à un arbitre dont nous pensons qu’il n’a pas les qualités suffisantes. Nzolo aura aussi un match de Bruges dans les prochaines semaines. S’il y a moins de francophones au top, c’est simplement une question de niveau. Il ne faut surtout pas chercher plus loin.  »

Notre témoin évoque aussi des jalousies entre arbitres, une atmosphère plombée :  » L’ambiance est lourde aux entraînements des internationaux, une fois par semaine, à Louvain. Entre les Flamands et les Wallons, c’est de plus en plus une ambiance de faux culs. Par exemple, la cote de popularité de Nzolo fait mal à Allaerts et De Bleeckere. Nzolo leur fait de l’ombre. La télé est allée voir les arbitres lors d’un stage à Knokke pendant les grandes vacances. Quand la caméra s’est mise à tourner, Allaerts et De Bleeckere ont collé Nzolo comme s’il était leur meilleur ami. Quelle comédie ! « 

 » Un jour, il y aura un mort « 

Il y a la popularité. Il y a aussi le nerf de la guerre : le salaire. Avec des différences qui ne contribuent pas à améliorer l’harmonie :  » Les assistants ont du mal à accepter la différence de salaire par rapport aux arbitres de champ. Ils touchent trois fois moins alors qu’on leur demande de prendre de plus en plus de responsabilités. Et ils n’ont pas de salaire fixe, contrairement aux arbitres. Entre un assistant international et un qui ne fait la ligne qu’en Belgique, la différence de salaire pour un match est de seulement 100 euros. Alors que l’international doit aller chaque semaine aux entraînements à Louvain. C’est encore une aberration. Il a déjà été question de rapatrier ces entraînements au centre national à Tubize mais les Flamands freinent des quatre fers. Evidemment, Louvain, c’est l’idéal pour tous les Limbourgeois internationaux. « 

Autre sujet qui fait râler : les tests physiques. Notre témoin :  » Damien Garitte, le médecin des arbitres, dit parfois : -Un jour, il y aura un mort. Ces entraînements, c’est de la folie. Il estime que c’est n’importe quoi. On oublie que les arbitres belges ne sont que de purs amateurs. Ce programme est imposé par la FIFA et il a été établi… par un Belge : Werner Helsen. Le principe : 150 mètres en 30 secondes, 50 mètres de récupération en 35 secondes, puis c’est reparti pour 150 mètres de course et 50 mètres de récupération au même rythme, sur 10 tours de piste consécutifs.  »

Jeurissen tempère :  » Ces examens ont été approuvés par la commission médicale de la FIFA, dont le président est Michel D’Hooghe. Ils sont valables dans le monde entier, tous les pays les acceptent. Maintenant, je peux comprendre qu’ils posent problème aux arbitres qui ne s’entraînent pas assez ou traînent 10 kilos en trop.  »

Clochards

Nos arbitres sont-ils des clochards du foot européen ? Le mécontent affirme :  » Notre équipement ne ressemble à rien. Nous avons trois maillots : un jaune, un noir, un vert. La Fédération nous en a offert deux et nous avons dû payer nous-mêmes le troisième. Certains internationaux partent arbitrer des matches de coupe d’Europe avec le même costume officiel depuis quatre ans. Ce n’est pas rare que les quatre arbitres arrivent au stade avec quatre sacs différents. Parce que le dernier Nike qu’on nous a offert remonte à trois ou quatre ans. Et les oreillettes, ça n’a pas de sens. Une fois ça marche, une fois ça ne marche pas. Certains arbitres en ont une qui a été fabriquée au départ des empreintes de leur oreille, d’autres ont un modèle standard qui tombe continuellement. « 

Jeurissen :  » C’est vrai, nous avons demandé aux assistants de payer un de leurs maillots. Mais qu’ils comparent un peu ce qu’ils gagnent aujourd’hui à ce que les assistants et les arbitres recevaient à mon époque : ça n’a plus rien à voir. « 

Dernier sujet chaud : le sponsoring. Le témoin :  » En France, quand BUT sponsorise les arbitres, l’argent va aux arbitres. Ici, quand ERA est devenu sponsor, nous avons dû signer un document par lequel nous nous engagions à porter l’écusson de cette marque sans rien réclamer. Il y a aussi eu l’épisode du sponsoring de la Loterie. Un jour, on nous donne deux écussons : Loterie Nationale et Nationale Loterij. Avec ordre de les coudre sur nos manches. Et l’obligation de placer le logo flamand sur la manche gauche. Pour une raison toute simple : la caméra principale installée dans le prolongement de la ligne médiane a l’assistant le plus proche sur sa droite et c’est sa manche gauche qui apparaît à l’image, quelle que soit sa position. Ce n’est qu’une illustration supplémentaire de la flamandisation de la CCA. « 

Des reproches auxquels le patron de la CCA préfère répondre avec humour :  » Les arbitres ont effectivement dû s’engager par écrit à ne rien réclamer sur le montant de sponsoring versé par ERA. Nous avions directement décidé de consacrer cet argent à la formation. En janvier, nos arbitres de D1 iront en stage à Knokke. Dans un hôtel 4 étoiles. Tout cela sera indirectement payé par ERA. Alors… « 

par pierre danvoye

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