Le Donald Trump flamand

Le président de Bruges est riche, bourré d’ambitions et a continuellement le teint halé. Mais encore ? Enquête sur un personnage qui veut mettre un gros coup dans la fourmilière belge…

Qu’il est loin le temps d’ Antoine Van Hove, ancien directeur général du Club et membre pendant 35 ans du comité directeur. Arrivé à Bruges en multipliant les petits boulots (responsable du matériel, chauffeur, etc.) après avoir été marchand de légumes, Van Hove, c’était un flair incroyable en matière de transferts et un style, discret, sobre, avec comme seule coquetterie pour ce passionné de colombophilie un chapeau qu’il ne quittait que très rarement.

Aujourd’hui, quand la direction Blauw en Zwart investit en rang d’oignons la tribune principale, le look est strict, solennel, un peu surjoué. Au sommet de la pyramide : Bart Verhaeghe (47 ans), intronisé président du Club Bruges le 1er février 2011, en succession de l’architecte Pol Jonckheere. Ce brillant businessman (voir plus loin, sa success story) n’a pas mis longtemps à imposer ses vues. Un mois avant d’être nommé officiellement big boss du Club, Verhaeghe, alors administrateur délégué, est appelé à tracer les lignes directrices du club.

Exit le directeur général en fonction depuis 2007, Luc Devroe. Pour le remplacer, trois hommes : Henk Mariman (manager sportif), Sven Vermant (assistant du manager sportif) et Vincent Mannaert (manager général dès avril 2011). Du trio, il n’en reste plus qu’un : Mannaert, les deux autres ayant été renvoyés dix jours après l’annonce de la venue de Georges Leekens.

 » Il est très rentre dedans, très gut feeling (décider avec ses tripes) « , nous affirme l’un de ses collaborateurs.  » Cela ne m’étonne pas que ça bouge à Bruges. Il ne supporte pas l’immobilisme. Et il aime s’entourer de jeunes bosseurs. Lui-même est d’ailleurs un très gros bosseur. Ce n’est pas un intellectuel de haut vol mais quelqu’un d’intelligent, capable de parfaitement structurer une entreprise. Il aime aussi qu’il y ait des échanges entre ses différentes entreprises. Je sais, par exemple, que Loryn Parijs qui est l’un de ses bras-droits chez Uplace interfère à Bruges.  »

Un Bruges aux accents anglo-saxons

Depuis son arrivée, le terme révolution de palais est régulièrement de mise. Lui n’en a cure, il veut faire avancer son Club. Le plonger enfin dans la modernité. D’où l’arrivée d’un Personal Performance Center, d’entraîneurs pour chaque secteur de jeu, et même des cours de diététique pour les épouses des joueurs. On ne lésine pas non plus sur les effets marketing. L’étendard no sweat, no glory est brandi fièrement, on clipe un lip dub où les joueurs se trémoussent sur le party rock anthem de LFMAO, où on nomme Summer Tour les habituels matches de préparation estivale. Un Bruges aux accents anglo-saxons, plus international donc…

Le vieux mythe du Club familial opposé à l’Anderlecht froid et sans scrupule a sérieusement pris du plomb dans l’aile. Dernier exemple en date : l’éviction du dernier des clubmen, Dany Verlinden, arrivé en Venise du Nord il y a 24 ans comme gardien et qui a dû céder sa place d’entraîneur spécifique à Philippe Vande Walle emmené dans les bagages de Leekens.

 » Le contexte familial était peut-être valable aux temps héroïques. Il n’est plus d’actualité parce que le monde du football a changé du tout au tout « , expliquait Verhaeghe à Sport/Foot Magazine en mars dernier. Quelques mois après sa prise de pouvoir, plusieurs  » anciens  » ( Jeroen Simaeys, Peter Van der Heyden, Karel Geraerts) étaient poussés vers la porte de sortie. Le mercato 2011 allait être animé par l’arrivée d’un contingent de joueurs scandinaves teinté de créativité plus latine. Et quand il s’agit de faire tourner la planche à billets, on n’hésite guère : Björn Vleminckx est acheté pour 3,5 millions, un montant qu’il est loin d’avoir justifié. Douze mois plus tard, rebelote : Bruges continue de se montrer ambitieux avec l’arrivée de Mémé Tchité ou celle du Macédonien Ivan Trickovski mais c’est surtout l’arrivée en mai de Leekens qui fait grand bruit.

 » C’est l’homme qu’il nous fallait « , clame un Verhaeghe tout souriant en conférence de presse, qui va jusqu’à doubler le salaire annuel de Long Couteau (600.000 à 1.200.000). Même Anderlecht doit s’incliner devant la puissance financière des néo-financiers brugeois. Et tant pis si ce débauchage heurte une bonne partie de l’opinion publique. Business is business…

La success story Verhaeghe

Verhaeghe n’est pas un personnage médiatique. Loin s’en faut. Rares sont ses interviews à la presse. Mais si son nom apparaît avec insistance ces dernières semaines dans les différents quotidiens du pays, ce n’est pas pour Tchité, Leekens ou Bruges mais pour Uplace, un très gros bébé de 200.000 mètres carrés d’espaces commerciaux. Le plus grand méga-complexe du Benelux, un shopping mall à l’américaine qui aura pour base (si tout se passe bien) le nord de Bruxelles, entre Vilvorde et Machelen.

Un projet mégalomaniaque dont l’octroi récent du permis d’environnement a failli faire exploser la majorité politique flamande. Il y a du Donald Trump chez Verhaeghe. The sky is the limit comme future épitaphe, le même amour des bancs solaires mais aussi des reins très solides qui le placent parmi le top 100 des hommes les plus riches de Belgique. Après des études secondaires chez les jésuites, au collège Jan van Ruusbroeck de Laeken,  » l’autre Bart  » étudie le droit à la KUL avant d’intégrer la célèbre Vlerick Management School de Gand. En 1990, il rentre comme conseiller chez KPMG Consulting, passe par les Etats-Unis dont il se prend de passion avant de rejoindre le groupe de constructeurs Verelst en 1992.

L’un de ses collaborateurs raconte :  » La légende veut qu’il ait dit au patron : – Tu me payes ce que tu veux mais je veux travailler avec toi. Après quelques années, ils sont devenus associés et ont créé Eurinpro international.  »

Une société spécialisée dans la logistique immobilière, dont la vente en 2006 rapporte près de 400 millions d’euros au duo. En marge de cette brillante carrière de top manager, Verhaeghe taquine aussi le cuir plus jeune et plutôt bien puisqu’il atteint la D3 avec Merchtem. Mais ses parents préfèrent le voir miser sur ses études et la suite du parcours footeux se poursuit en Provinciales. Son arrivée au Club Bruges ne date pas d’hier. Celui que l’on présente parfois comme le poulain de Michel D’Hooghe est l’entrepreneur derrière le projet de Loppem : une arène de 45.000 personnes, autofinancée par un complexe commercial (encore un) de 45.000 mètres carrés adossé au stade.

Seulement, la Région flamande freine des quatre fers et le projet tombe à l’eau. L’aigreur de Verhaeghe envers le système belge, voire flamand, s’accroit encore tant et plus.  » A ma fille, je dirai : – Va dans un pays qui possède une culture beaucoup plus positive pour les entrepreneurs « , peut-on lire dans son autobiographie Ne dites pas à ma mère que je suis entrepreneur, elle pense que je cherche du travail.

Qui es-tu vraiment Bart ?

 » Si nous gardons notre vieux système, il y aura bientôt 70 % (des Belges) qui ne travailleront pas et 30 % qui travailleront « , annonce Verhaeghe.

 » Il y a une forme de dégoût du système belge qui s’est installée chez lui « , poursuit l’un de ses collaborateurs.  » Il a une image de la Belgique ankylosée où il est difficile de faire bouger les choses. C’est un anti-establishment. Il est contre le vieux capitalisme à la belge, type Société Générale. C’est un anti-corporatiste, c’est l’anti- Etienne Davignon. Et c’est aussi un vrai self-made man, qui vient de la classe moyenne, avec un père conservateur d’hypothèques et une mère au foyer.  »

 » On croit toujours qu’il s’est établi en Suisse pour des raisons fiscales « , continue son collaborateur.  » Or, pour des entrepreneurs comme lui qui gagnent de l’argent sur la vente d’entreprises successives et sur lesquelles ils vont faire des plus-values, il n’y a aucune motivation fiscale à quitter le territoire. Car il n’y a pas de taxation sur le capital plus-value en Belgique. J’ai plutôt entendu que ce serait pour des raisons éducatives ( NDLR- ses enfants étant inscrits à l’école internationale). Son ras-le-bol du système belge, là encore peut-être… ? Et puis, le village de Buchillon en bord du Lac Léman, c’est plutôt sympa…  »

De son voyage aux Etats-Unis au début des années 90, où il est introduit par son frère avocat dans les sphères de l’immobilier, le boss des Blauw en Zwart en a ramené un amour du système néo-libéral made in USA et des valeurs qui l’accompagnent.  » Il n’est pas très belge dans l’âme, il n’est pas admiratif de la culture belge. Il y a davantage un côté bling-bling qui frappe les esprits quand on le rencontre « , analyse son collaborateur.  » Verhaeghe est un adorateur du rêve américain ; on part de rien jusqu’à bâtir un empire. Les Etats-Unis, c’est aussi l’antre des think tanks qui pullulent à Washington. D’où la naissance du think tank Itinera né en 1998 sous son impulsion « ,

Mais pourquoi avoir investi dans le foot alors que rares sont ceux qui s’y enrichissent ?  » Je pense qu’il y a trois éléments qui l’ont décidé « , affirme son collaborateur.  » Premièrement, c’est un vrai passionné de foot, et du Club ( NDLR- ses parents sont originaires de Flandre-Occidentale). Deuxièmement, il y a la question immobilière autour du stade de Bruges, un domaine qu’il connaît évidemment très bien. Et qu’il veut développer, même s’il n’ambitionne pas de se faire de l’argent avec le foot. Troisièmement, il y a ce goût du challenge. Quand il voit qu’un système est dysfonctionnel comme le sont les clubs belges, il se dit : -Je suis un top entrepreneur, je transforme tout en or, je vais mettre un grand coup dans la fourmilière et faire de Bruges un club haut de gamme…  » On jugera sur pièce.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » C’est un anti-corporatiste, c’est l’anti-Etienne Davignon  » (Un de ses collaborateurs)

Il a doublé le salaire de Long Couteau (600.000 à 1.200.000 euros) : même Anderlecht doit s’incliner devant sa puissance financière !

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