Le dompteur

Comment le Limbourgeois fait-il pour mener les gens où il souhaite ? Après avoir conduit fermement Malines, il a relancé un Lokeren où Roger Lambrecht essayait de limiter le chaos.

Ce jour-là, la neige recouvrait encore le pays et Peter Maes avait joué la sécurité. Au lieu d’entreprendre l’aller-retour entre Lokeren et Lommel, la bourgade qu’il habite dans le nord du Limbourg, il a opté pour l’hôtel. Tout comme Willy Reynders, le directeur technique du club ! Les deux hommes avaient profité de la soirée pour effectuer un large tour d’horizon de leurs activités.

 » Mais je n’en ferai pas une habitude « , dit Maes. J’ai une famille et des enfants et je suis déjà si peu à la maison… « 

Vous aimez être chez vous ?

Peter Maes : Oui, mais j’aime aussi être en route. J’ai besoin de libertés pour bien fonctionner. Et si je ne les obtiens pas, je les force.

Beaucoup se sont irrités face à la neige. Et vous ?

Non, la neige a du charme et j’aime m’y promener avec mon chien. Je fais régulièrement des grandes balades en compagnie de mon père et d’amis. On se fixe un but, on boit un genièvre ou une boisson chaude et on revient. Puis, s’il y a lieu, on s’offre un petit match. Comme le dernier Club Bruges-Anderlecht, à la télévision. D’habitude je me rends sur le terrain mais là il n’était pas question de courir des risques inutiles.

Que vous avait appris ce match ?

La raison pour laquelle nous avons réalisé un résultat contre Anderlecht et Bruges pas : nous n’avons jamais, même réduits à dix, concédé autant d’espaces à Anderlecht. Sans entrer dans trop de détails, j’ai observé qu’Anderlecht a sacrifié Kanu à la garde d’Odjidja, mais que Leko évoluait dans la même zone sans avoir éprouvé de problèmes…

Mains libres

Combien important est l’entraîneur pour une équipe ?

Il est déterminant, surtout parce qu’il trace la voie. Que ce soit la meilleure n’est pas tellement important. L’important est qu’elle existe, fixée par l’entraîneur et le directeur technique selon la nature du club. Et qu’on s’y tienne à cette voie.

Cela veut-il dire que les clubs en difficultés sont dirigés par des entraîneurs qui ne savent pas où ils vont ?

L’entraîneur peut choisir un chemin que d’autres ne veulent pas emprunter. Or, il faut qu’il y ait unanimité. Mais dès l’instant où les joueurs sentent qu’il existe différentes possibilités, chacun agit à sa guise. Tout tourne prioritairement autour des nonante minutes de match, où toutes les actions doivent tendre unanimement vers le même et le meilleur résultat. Là, l’entraîneur joue un rôle crucial.

Genk n’en est-il pas un bel exemple ? Avec les mêmes joueurs, l’équipe fait nettement mieux que la saison dernière. Le seul changement est l’entraîneur…

En fin de saison dernière, on remarquait déjà que l’équipe évoluait selon une idée précise sous Frankie Vercauteren. Ajoutez-y un Jelle Vossen et vous avez matière à bien redémarrer. L’important est aussi le climat dans lequel un nouvel entraîneur prend le relais. S’il n’était pas bon auparavant, le nouveau coach bénéficiera de plus d’écoute et ce sera plus facile d’imposer du changement.

C’est aussi la situation dans laquelle vous êtes arrivé à Lokeren.

Tout à fait. Lokeren s’était égaré en chemin. Depuis nous avons créé une nouvelle structure favorable au bon fonctionnement sportif.

Comment avez-vous procédé ?

Je sais comment j’ai pu progresser durant quatre ans à Malines : en ayant les mains les plus libres possibles et en étant soutenu dans mes actions. Ce sont des accords qu’il faut établir avant de signer un contrat, pas après.

Comment avez-vous fait pour cerner aussi rapidement ce qui ne fonctionnait pas à Lokeren ?

En m’informant auprès des initiés. J’ai immédiatement lié mon sort à celui de Reynders, qui connaît très bien le club. Nous avons pris l’engagement de travailler ensemble et de lier nos sorts : si je réussis, tu réussis aussi, et vice-versa.

Combien de temps cela a-t-il pris ?

Un jour ! Notre milieu est petit. Quand un club brûle trois ou quatre entraîneurs en une saison, on entend beaucoup de choses et on sait pas mal de choses avant de s’engager à son tour dans la même galère. En fait, je conduis ma carrière pas à pas. Et je tente de me retrouver dans des situations toujours différentes. Afin d’avoir connu un maximum de conditions pour survivre dans un grand club. C’était un réel défi que de quitter la chaleureuse ambiance de Malines pour atterrir dans le chaos à Lokeren.

Que voulez-vous obtenir ici ?

De la discipline et ce qui en résulte : du rendement. J’ai soif d’imposer mes visions mais aussi d’en porter la responsabilité. Un match nul à Anderlecht ? C’est bien, mais je ne désire pas en vivre. Ce qui m’importe, c’est le long terme. Je veux, comme durant quatre ans à Malines, construire quelque chose qui subsiste quand un jour on ferme la porte derrière soi.

Donc, en ce moment, vous êtes en avance sur le tableau de marche ?

En effet. Mais notre situation renferme un danger. Je suis conscient qu’il faudra maîtriser une régression éventuelle. Comment ? En acquérant du renfort. On s’en occupe.

Faire table rase

Votre successeur à Malines se trouve dans une situation identique…

Pas du tout identique. Marc Brys se trouve comme Francky Dury à Gand. Il y existait déjà une structure. Mais bon, ce n’est pas facile d’hériter d’une situation. Il faut mettre d’autres accents.

Selon Urbain Spaenhoven, l’assistant de Brys, les joueurs de Malines se respectaient comme footballeurs, mais pas comme hommes.  » La tension entre eux était énorme  » nous a-t-il affirmé.  » Ils ne supportaient rien les uns des autres. Je me suis demandé s’il n’était pas nécessaire de se munir d’un révolver… « 

Je ne comprends pas comment quelqu’un qui vient seulement d’arriver peut tenir de tels propos. D’autre part, je comprends aussi pourquoi il a agi de la sorte : apporter un message positif à son entraîneur sous la forme -Tout va mieux maintenant… Mais c’est de la foutaise. Il y avait au contraire beaucoup de respect mutuel à Malines, sans quoi on ne peut rester quatre ans ensemble. Bien sûr qu’il y avait de temps à autre de petits incidents. Comme partout. Mais la hiérarchie dans le groupe était bien établie, ce qui évite les problèmes. Je crois que les tensions ont précisément surgi parce que le groupe travaille avec quelqu’un d’autre qui impose de nouveaux accents, de sorte qu’une nouvelle hiérarchie s’est installée.

Revenons à Lokeren : vous avez débuté avec 3 points sur 15 !

Il existe les résultats et la manière. Celle-ci était bonne. Quant aux résultats : trois partages mais seulement deux défaites. C’était un point d’appui exploitable.

A-t-il fallu en convaincre votre président ?

Il faut toujours créer une image favorable. N’oubliez pas : je pense positivement. Je marche ainsi dans la vie, sans regarder derrière moi. Je crois avoir fait passer mon message avec enthousiasme. De plus, le président savait bien avant que j’arrive qu’un changement s’imposait.

Mais l’image de Lokeren posait questions : un manager qui manipulait les joueurs comme des pions, un directeur sportif qui entretenait son commerce de footballeurs africains et un président imprévisible qui limogeait l’entraîneur après deux défaites…

En effet, il n’a pas été facile d’y remettre de l’ordre et de repartir sur une base positive. Dans de tels cas, il faut être réaliste et très direct : faire table rase et ne pas permettre que le passé ressurgisse. J’ai mis tout le staff technique sur le côté. Une nouvelle histoire s’écrit avec de nouvelles personnes. Les joueurs doivent apprendre à connaître ces nouvelles têtes et être sur leurs gardes.

Vous avez décidé : plus de Veljikovic, plus de Verhoost.

C’est dit trop crûment. Ces gens sont toujours ici mais ils n’ont plus la même influence. Désormais, Reynders et moi prenons les décisions, soutenus par le président. Il y avait trop de gens influents ici…

Quelle assurance avez-vous que Lokeren a effectivement opté pour une nouvelle orientation et que vous la maintiendrez ?

On ne reçoit jamais de garanties. Je n’en veux pas non plus sur papier. Les garanties qu’on a, ce sont celles qu’on force sur le terrain. Aussi bien à Geel (3 fois accès au tour final en deuxième division) qu’à Malines, malgré de bons résultats, j’ai dû être protégé ponctuellement par la présidence.

Non, je n’estime cela pas nécessaire. Au contraire, celui qui est vulnérable est aussi beaucoup plus attentif aux dangers.

Horreur de Mourinho

Quel football aime Peter Maes ? Votre c£ur bat-il pour le Barça ou l’Inter ?

Un entraîneur qui n’est pas fan de Barcelone se trompe de métier. J’aime le football allemand pour son engagement, le hollandais pour son jeu en triangle (mais je lui reproche son immobilisme en cas de perte de balle) et l’espagnol pour son raffinement technique. Je détestais le Chelsea de Mourinho quand il évoluait avec dix hommes derrière le ballon. Mais cela peut évidemment offrir du rendement.

La fin justifie-t-elle les moyens ?

Non, c’est en conflit avec mon caractère. Je veux réaliser des choses qui me correspondent, en accord avec mes principes et ma mentalité.

On vous reproche souvent vos injures et vociférations, vos excès de paroles envers les joueurs : cela vous dérange ?

Non, cela m’aide. Beaucoup de gens sont sur leurs gardes en ma présence. Cela les incite à mieux réfléchir. Un footballeur ne bouge pas qu’avec les pieds, aussi avec la tête. Peu m’importe comment vous présentez mes résultats ou mon comportement. La seule chose qui compte est que ces deux paramètres soient bénéfiques pour tous. Pour cela il faut davantage que des coups de gueule.

On cite souvent Johan Boskamp et Aad de Mos comme vos exemples. Vous avez toutefois traité le second de terrifiant, ce dont on vous qualifie aussi parfois…

De Mos était quand même un bon gars. A Anderlecht, je n’étais qu’un petit keeper de Réserve, mais quand ma femme a prématurément accouché à sept mois, il m’a accordé une semaine de congé avec l’assurance que je serais sur le banc le dimanche. Il était sévère, mais savait aussi donner.

Existe-t-il une date de péremption sur le job d’un entraîneur ?

Cela dépend des objectifs du club. S’ils sont clairement définis et s’il existe une marche à suivre précise, il n’y a pas de date de péremption.

Etiez-vous arrivé en bout de parcours à Malines ?

J’aurais pu y travailler un an encore. Au bout de quatre ans, cela tournait rond au sein du groupe mais pour y imposer des accents nouveaux, il aurait fallu rafraîchir l’effectif des joueurs et les moyens manquaient. Le changement devait venir d’ailleurs : changer l’entraîneur.

Comprenez-vous que votre départ inopiné ait suscité un malaise ?

Le départ d’une personne déterminante provoque toujours quelque rancune. Plus on a harmonieusement collaboré avec des gens, plus la séparation est pénible. Il est plus facile de quitter une situation pourrie. Mais je ne voulais pas que s’abîme ce que j’avais construit, simplement parce que je ne pouvais plus créer du neuf. Je ne voulais pas me disputer avec mon entourage.

Beaucoup d’entraîneurs ne sont-ils pas trop préoccupés par leur ego ?

Nous nous soucions tous de notre ego. Cela nous aide à survivre, mais ça ne peut pas gêner les objectifs à atteindre.

Vous êtes un entraîneur loyal : quatre années à Geel, autant à Malines. Vous dites construire votre trajectoire pas à pas. Quel est l’objectif final ?

Je veux tirer le maximum des autres mais aussi de moi-même. Je dois sentir que j’avance et sans cesse expérimenter mes limites. Je ne sais pas jusqu’où.

Lorsqu’en 2009 vous avez atteint la finale de la Coupe de Belgique vous vous êtes qualifié de petit nouveau dans le métier…

Je me sens toujours ainsi. Ce métier implique un renouvellement constant. On ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain mais il faut s’adapter sans cesse. A ce propos je suis content d’avoir longtemps séjourné dans des grands clubs (six ans à Anderlecht et trois au Standard). J’ai pu observer ce qui est nécessaire pour fonctionner à ce niveau.

PAR JAN HAUSPIE

 » Je suis un gars ouvert, mais je ne me découvre jamais tout à fait. « 

 » Les joueurs sont sur leurs gardes avec moi. Cela les aide à mieux réfléchir. « 

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