» Le diamant scintille de plus en plus « 

Depuis ses débuts le 24 mai 2009, Romelu Lukaku a disputé 73 matches à enjeu. Ses adversaires directs analysent la progression du phénomène.

G lenn Verbauwhede, le gardien de Courtrai, a déjà affronté Romelu Lukaku à quatre reprises :  » La première fois, c’est évidemment sa stature qui m’a sauté aux yeux. Ses pieds ont la taille d’un panneau déviation. Des palmes avec des orteils, pointure 51, je crois.

Quand il n’y a pas de caméras dans les parages, on remarque qu’il est jouette, encore très jeune. Parfois, loin des feux de la rampe, c’est comme s’il retirait des boules Quies pour tout évacuer de sa tête. Pourtant, il a trois à cinq ans d’avance sur son âge.

Le diamant scintille de plus en plus. Il est plus malin que la saison passée, durant laquelle il était souvent hors-jeu alors que c’est moins fréquent maintenant. L’expérience acquise porte déjà ses fruits. Il est mieux intégré au groupe, resté quasi intact. Il sait très bien à quoi s’attendre quand un coéquipier reçoit le ballon et se déplace d’une certaine façon. Romelu peut alors y adapter sa propre position, ce qui est un atout énorme. Quand Jonathan Legear reçoit le ballon, il y a de fortes chances qu’il réalise une action avant de céder le ballon. Lukaku le sait, désormais.

Comme il est connu et donc bien tenu, il se montre parfois moins. Romelu essaie de le compenser en travaillant davantage au service de l’équipe, même si c’est parfois au détriment de sa fraîcheur devant le but.

Il reste pourtant redoutable. Quand il reçoit le ballon, dos au but dans le rectangle, il est capable de pivoter vers son pied gauche comme son droit. Evidemment, s’il en a le temps, je sais qu’il préférera son bon pied, le gauche.

Il faut rester très attentif quand Lukaku est plus éloigné du but car Mbark Boussoufa a l’art de le servir sur le pied gauche, ce qui lui permet de courir directement du flanc au but, dans le dos de notre arrière droit. Il adore ça. Un gardien ne peut éventuellement souffler que si un autre joueur parvient à le pousser davantage vers la ligne, de telle sorte qu’il se présente en diagonale devant le but et doive utiliser son pied droit. Il tire moins vite de cette position : il essaie alors d’impliquer un partenaire dans son jeu ou il effectue une passe. Mais cela peut être dangereux aussi ! Il progresse beaucoup de son pied droit. Récemment, quand Anderlecht s’est déplacé au Germinal Beerschot, Lukaku a délivré un assist millimétré à Kanu, de son moins bon pied. Je me suis dit : attention !

Homme contre homme, je préfère quand même Lukaku à Boussoufa car Romelu, et c’est typique pour un véritable avant, tire généralement de l’intérieur du pied alors que Boussoufa préfère adapter son tir à l’action. « 

Il ne chipote pas

Bram Verbist, le gardien du Cercle, a joué contre Lukaku à deux reprises :  » Lukaku ne brosse pas exagérément ses ballons, il ne place pas vraiment ses tirs. Il ne chipote pas, il tire et c’est dedans, des missiles. Quand il pivote, dos au but, on ne sait jamais où il va tirer. Tantôt c’est dans le coin, à ras de terre, tantôt encore il vise le plafond.

Champion avec Anderlecht la saison dernière, il a été meilleur buteur, il a effectué ses débuts sur la scène internationale et tout lui a réussi. Il vit la fameuse deuxième saison, celle de la confirmation. Elle a commencé par un fameux contrecoup, l’élimination de la Ligue des Champions, et l’ensemble de l’équipe a connu un début de saison laborieux. Pourtant, depuis quelques semaines, il est à nouveau en pleine forme. C’est surprenant pour un aussi jeune footballeur. Cela prouve en tout cas qu’il est très bien entouré. « 

Une énorme envie d’apprendre

Karel D’Haene, défenseur central de Zulte Waregem, a joué contre Lukaku à cinq reprises :  » Ce qui me frappe le plus, c’est son envie d’apprendre. La saison dernière, dans les playoffs 1, nous avons été étrillés 6-0 au Parc Astrid. Ce n’était certainement pas à cause du seul Lukaku mais ce soir-là, il était particulièrement en verve. Quand le Sporting tourne bien, il est irrésistible et Lukaku en profite. Tout va très vite. Boussoufa passe à Lukaku qui remet le ballon, Boussoufa monte, avec Jonathan Legear et Guillaume Gillet. Dans de tels moments, ils surgissent de partout et pendant ce temps, Lukaku se démarque et cherche la profondeur.

Réagir immédiatement est fatal à un défenseur car Lukaku se défait aisément de lui. Il vaut mieux attendre un peu, jusqu’à ce qu’il contrôle le ballon, et tenter de le lui subtiliser. « 

Déplacements intelligents

Vincent Euvrard, défenseur central de St-Trond, a affronté Lukaku cinq fois :  » On n’a aucune chance quand on permet à Lukaku d’en arriver à un corps-à-corps, car il exploite votre corps pour tourner. Mieux vaut aussi garder ses distances dans un duel au sprint, même quand on est aussi rapide que lui car il utilise alors sa stature pour vous éloigner du ballon. Il faut garder ses distances, un mètre, voire un mètre et demi, et anticiper ses mouvements. Je me souviens d’une phase, la saison précédente : je courais près de lui quand il a reçu une passe transversale. Je lui ai laissé un mètre pour pouvoir le tacler.

Le problème est qu’il est aussi redoutable dans le rectangle. C’était le cas de Rune Lange jadis. Quand le ballon venait du flanc, on était sûr de perdre le duel aérien mais on pouvait exercer une pression très haut sur le Club, sachant qu’il serait assez aisé de gagner le duel au sprint. Mais Lukaku est fort et rapide. Il faut donc miser sur l’interception et donc très bien lire le jeu. C’est d’autant plus compliqué qu’il se déplace intelligemment. Souvent, il s’éloigne d’un défenseur central et surgit dans le dos de l’autre arrière axial. Celui-ci ne se rend généralement pas immédiatement compte de sa présence et Romelu se retrouve alors seul devant le but. Nous essayons de l’en empêcher en l’accompagnant le plus longtemps possible dans ses déplacements. Quand nous sommes à moins de vingt mètres de notre but, nous passons de toute façon de la défense en zone à l’individuelle. Plus loin du but, nous essayons de nous partager la tâche. Pour cela, un duo doit bien fonctionner. Il faut qu’il y ait quelqu’un près de lui en permanence et un autre aux alentours. Même si on n’assure pas une couverture directe, il faut le tenir à l’£il et être déjà bien placé car s’il faut pivoter avant de pouvoir démarrer, on arrive trop tard.

Il bouge très bien sur les ballons qui viennent des flancs. Il amorce une course vers le second poteau puis il se dirige vers le premier au moment précis où la passe est effectuée. C’est l’abc du football mais certains attaquants maîtrisent mieux cet aspect que d’autres. Pour un défenseur, il est très difficile d’intervenir.

Quand Lukaku est servi plus loin du rectangle et qu’il est dos au but, il est plus fragile. Si on parvient à le placer sous pression, il peut commettre des fautes lors de sa touche de balle ou de son centre. Quand on lui envoie le ballon pour que les autres effectuent la jonction, il n’est pas encore parfait. Il doit travailler cet aspect, de même que son jeu de tête, qui n’est pas brillant, compte tenu de sa taille. Nous ne sommes pas dénués de chances dans un duel aérien car son timing n’est pas super. « 

Pas de cinéma

Carl Hoefkens, arrière axial du Club Bruges, a disputé quatre matches contre Lukaku :  » C’est surtout l’évolution de son attitude sur le terrain qui me frappe. La première fois, il avait l’air timide. Maintenant, il donne franchement son avis à ses coéquipiers, il crie et les dirige.

Son jeu de position et ses contrôles sont bons à 70 %, ce qui est excellent à son âge. Sur un plan purement footballistique, Lukaku est meilleur que ce que d’aucuns affirment. Il n’use pas uniquement de sa puissance. Je pense qu’il peut certainement viser la PremierLeague, un championnat dans lequel chaque club, y compris les pensionnaires du ventre mou et les équipes de queue, postent un homme solide en pointe, un footballeur complet. Lukaku s’est trouvé un bon modèle en Didier Drogba.

Ce que j’apprécie particulièrement, c’est qu’il joue toujours son match, sans scier ni faire de cinéma ou se lamenter. Quand on joue contre lui, c’est toujours dur mais fair-play. Il joue honnêtement et reste lui-même. La grande classe. « 

Les atouts de l’élite absolue

Marko Suler, arrière central de Gand, a joué cinq fois contre Lukaku :  » J’aime bien l’affronter car neutraliser un tel attaquant constitue un vrai défi. Cela me permet de progresser. Par rapport aux internationaux réputés que j’ai affrontés au Mondial sud-africain, il a encore des lacunes mais comme il possède tous les atouts d’un avant moderne – puissance, vitesse et mobilité -, je suis convaincu qu’il va atteindre l’élite absolue.

L’année dernière, il n’a pas seulement progressé sportivement mais humainement. Lorsqu’il accorde une interview, j’entends un garçon réaliste, raisonnable, qui sait ce qu’il fait. Le fait qu’il poursuive sa scolarité est bon signe. « 

Jeu plus varié

Philippe Clement, défenseur central du Germinal Beerschot, a joué quatre fois contre Lukaku :  » Il conserve mieux sa position cette saison, il reste mieux dans l’axe et gaspille donc moins ses forces. La saison passée, il cherchait constamment la profondeur. Il a beaucoup amélioré son jeu collectif, il décroche parfois et varie davantage son jeu. Le fait qu’il reconnaisse lui-même devoir travailler sa prise de balle et ses centres démontre qu’il est déjà très loin.  »

PAR KRISTOF DE RYCK, FRÉDÉRIC VANHEULE ET BREGT VERMEULEN – PHOTOS: REPORTERS

 » Les pieds de Lukaku ont la taille des panneaux déviation  » Glenn Verbauwhede

 » Quand il pivote, on ne sait jamais où il va tirer : dans le coin ou dans le plafond « 

Bram Verbist

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