Le deuxième homme

Bruno Govers

Le gardien molenbeekois avait refusé l’offre du Sporting en été. Il a changé d’avis deux mois plus tard…

La direction du Sporting de Charleroi, qui cherchait un portier susceptible de remplacer Olivier Renard, reparti à l’Udinese cet été, a finalement opté pour Wilfried Godart, un garçon qu’elle avait dans son viseur depuis un petit bout de temps déjà. En première instance, ce solide Brabançon, âgé de 29 ans, avait préféré jurer fidélité deux saisons supplémentaires à son club de toujours: le RWDM. Mais Will se ravisa au bout d’une journée de championnat à peine.

Wilfried Godart: J’avais donné jusque-là toute ma carrière à Molenbeek. D’abord chez les jeunes, puis comme doublure de Dirk Rosez pendant plusieurs années et enfin, depuis 1998, en tant que titulaire. Après trois campagnes en D2, j’aspirais à prouver que je pouvais tirer mon épingle du jeu parmi l’élite également. C’est la raison pour laquelle, a priori, j’avais réfuté l’offre des Zèbres. Au début, je m’étais félicité de cette décision car après avoir patienté durant une décennie, je touchais enfin au but que je m’étais toujours fixé: jouer enfin au plus haut échelon du football belge. Certes, il m’était déjà arrivé, par le passé, d’effectuer quelques apparitions. Lors de la campagne 1991-92 déjà, j’avais dû supplanter le numéro 1, Peter Thys, à l’occasion de rencontres face à Liège, Lokeren et le Germinal Ekeren. Au total, je n’avais cependant disputé que dix-huit matches à peine, globalement ou en partie. C’est dire si j’avais à coeur d’entrer pour de bon dans le vif du sujet. Dans cet ordre d’idées, tout avait bien commencé pour moi: en dépit de la concurrence de Gert Doumen, transféré cet été, j’avais obtenu la préséance et j’entamais la saison à Lommel. Il n’y aurait rien eu à redire sur ma performance, ce soir-là, si je n’avais dû commettre une faute nécessaire sur Ibrahim Tankary. Cette intervention commise en dehors de la surface de réparation me valut un carton rouge. C’était navrant, dans la mesure où, sans cette exclusion, je suis sûr que nous aurions ramené un point de notre déplacement au Limbourg. Patrick Thairet ne me tint pas vraiment rigueur de ce fâcheux épisode, conscient que j’avais oeuvré dans l’intérêt d’une équipe qui s’était montrée sous un jour extrêmement favorable. Aussi ma stupéfaction fut-elle énorme, quelques jours plus tard, quand j’ai appris que pour les besoins de la venue de Charleroi, je devais subitement céder la place à mon rival. Je n’y comprenais rien: je m’étais montré irréprochable à la faveur de mon entrée en scène en D1 et voilà que le club me privait des retrouvailles avec le public molenbeekois. Cette non désignation, pour un événement que j’attendais depuis belle lurette, je ne l’ai tout simplement pas admise. Et j’ai d’emblée contacté mon manager, Guy Vandersmissen, en lui demandant de sonder, à nouveau, les possibilités au Mambourg. La suite, tout le monde la connaît.

« Je n’ai jamais fait l’unanimité au RWDM »

Votre exclusion lors de la première journée et la suspension qui allait suivre tôt ou tard ne permettait-elle pas au staff technique du RWDM de privilégier la candidature de Gert Doumen?

Ma première journée de suspension, je ne l’ai purgée que le week-end dernier, à la faveur de la cinquième journée de la compétition. Si les responsables sportifs l’avaient vraiment voulu, ils auraient donc pu me faire confiance jusque-là. Je reste persuadé qu’ils cherchaient, par tous les moyens, à m’évincer de l’équipe de base, et que la sanction que j’avais encourue à Lommel constituait le prétexte idéal. Puisqu’ils ne pouvaient, aux yeux des supporters, me sanctionner pour des motifs purement footballistiques, ils ont profité de cette occasion pour me mettre à l’écart, c’est aussi simple que cela. Pourquoi cet acharnement, vous demanderez-vous? La raison, c’est que je n’ai jamais fait l’unanimité au stade Edmond Machtens. Le seul qui y ait jamais cru en moi, c’était précisément Guy Vandersmissen. Après une dégelée mémorable face au Lierse en Coupe de Belgique, il n’avait pas hésité, en tout cas, à me lancer dans le grand bain, bravant l’interdiction de certains dirigeants qui ne juraient que par le jeune Tom Meyers, dont la plus-value était censée, un jour, tirer le club d’embarras au plan financier.

Et c’est sous ses ordres que je disputai, sans nul doute, mes meilleurs matches pour le compte des Coalisés. Même si ces sensations, je les ai éprouvées également avec Patrick Thairet la saison passée. Et plus particulièrement lors du tour final. Je crois d’ailleurs que si le pouvoir décisionnel reposait entre ses seules mains à Molenbeek, je n’aurais pas été écarté de sitôt. Mais il a sûrement été soumis aux mêmes influences qu’Ariel Jacobs auparavant. Lui aussi dut composer avec l’avis de personnes qui tentaient, par tous les moyens, d’imposer Tom Meyers dans l’équipe. A l’époque, il n’y eut toutefois pas de carte rouge pour lui faciliter la tâche.

Puisque vous avez le sentiment de ne pas avoir toujours été apprécié à votre juste valeur au RWDM, pourquoi y êtes-vous resté pendant dix ans?

A un moment donné, j’ai songé très sérieusement à quitter le club. C’était du temps de René Vandereycken. Un mentor formidable, indéniablement le meilleur que Molenbeek ait eu ces dernières années. Pourtant, je n’ai guère progressé sous sa férule. Non pas parce qu’il n’était pas compétent, loin s’en faut. Mais, tout bonnement, parce qu’il refusait que je participe aux matches des Réserves. C’était la meilleure manière, selon ses propres termes, pour ne pas se blesser et pour se concentrer pleinement sur la rencontre de championnat du week-end. Peut-être n’avait-il pas entièrement tort de raisonner ainsi. Mais en étant privé de compétition, semaine après semaine, j’avais la nette impression que mes réflexes s’émoussaient. Si un candidat-acheteur valable s’était manifesté, tout porte à croire que je me serais laissé tenter. Mais hormis La Louvière, qui évoluait en D2 à l’époque, personne ne me fit un appel du pied. Comme le RWDM venait de goûter à une aventure européenne face à Besiktas, je n’avais pas voulu troquer la proie pour l’ombre. Je me consolais en me disant que mon tour viendrait et qu’il valait mieux, pour moi, m’armer de patience. Avec le recul, je n’ai qu’un regret: celui de ne pas m’être laissé entendre davantage au moment où Tom Meyers opérait sa percée. J’avais encaissé le coup sans sourciller. Si c’était à refaire, on ne m’y reprendrait plus. L’âge aidant, je me surprends, en tout cas, à ne plus me laisser marcher sur les pieds comme jadis. Un exemple parmi d’autres: la veille du premier match à Lommel, je suis allé trouver Patrick Thairet avec Gert Doumen pour savoir lequel de nous deux serait titulaire le lendemain. C’est une démarche que je n’aurais jamais osé entreprendre autrefois.

« Je veux pousser Dudas à se sublimer »

Avec Gert Doumen, le décalage n’était pas grand et il n’est pas interdit de penser que vous auriez pu reprendre votre place entre les perches à plus ou moins long terme. Avec Istvan Dudas cette probabilité n’est-elle pas plus hasardeuse?

Tout à fait. D’ailleurs, les dirigeants carolos ont été clairs avec moi: le Yougoslave a rang de titulaire et moi de doublure. Il n’y a rien à redire concernant cette hiérarchie, dans la mesure où Istvan Dudas a fait ses preuves et que je découvre à peine mon nouvel entourage. A priori, cette distribution des rôles me paraît donc tout à fait normale. Mais je saurai me montrer ambitieux au moment voulu. Je n’ai pas envie d’entrer dans l’histoire comme le substitut idéal. Au fond de moi-même, je suis persuadé que je vaux plus que cette étiquette. A dire vrai, je suis davantage qu’un supersub. Et il me plairait, bien sûr, de pouvoir le prouver un jour. En attendant, j’entends jouer à fond mon rôle de deuxième homme, afin de pousser Istvan Dudas à se sublimer chaque semaine. A Molenbeek, je l’avais déjà trouvé très bon en tant qu’observateur dans le camp d’en face. Mais à présent que je le côtoie au quotidien, je me rends compte qu’il a tout d’un grand. Il l’a par ailleurs prouvé en livrant un match quasiment parfait à l’Excelsior Mouscron.

Il est évidemment trop tôt pour établir une comparaison entre le RWDM et Charleroi. Mais qu’est-ce qui frappe de prime abord au Sporting quand on a, comme vous, passé tant d’années à Molenbeek?

Deux détails m’auront particulièrement marqué jusqu’ici. Tout d’abord, l’organisation. Au Mambourg, il n’y a pas de place pour l’improvisation comme c’était le cas chez les Coalisés. A la fin, je ne m’arrêtais plus à ce détail, tant il faisait partie du quotidien. Là-bas, la plupart du temps, c’est en arrivant au stade que les joueurs apprenaient ce qui était inscrit au programme. Quand d’aventure il fallait alors s’entraîner à Strombeek, à Duisburg ou à Uccle, chacun savait qu’il ne devait compter que sur ses propres moyens pour rallier l’endroit en question. A Charleroi, un bus est prévu pour effectuer la navette entre le boulevard Zoé Drion et les aires d’entraînement de Marcinelle. Au départ, je n’en revenais pas ( il rit). La deuxième chose qui m’a interpellé, c’est la personnalité d’Enzo Scifo. Au cours de ma carrière, il m’a fallu travailler à plus d’une reprise sous la férule d’un entraîneur qui débutait dans le métier. Je songe à Freddy Smets, Guy Vandersmissen, Ariel Jacobs et Patrick Thairet. Chez chacun d’entre eux, on sentait quand même une incertitude liée à cette nouvelle orientation. Dans le cas présent, je ne l’ai toutefois plus vérifiée. Enzo Scifo me semble plus exigeant et pointu à propos de tout. Un exemple parmi d’autres: lors du match des Réserves contre les Hurlus, que nous avions perdu 2-3, le coach était mécontent de quelques joueurs, coupables selon lui de ne pas s’être donné à fond. Il a d’emblée fait une mise au point à ce propos. Au RWDM, dans les mêmes circonstances, je ne pense pas que l’orage aurait grondé.

Qu’attendez-vous de ce deuxième volet de votre carrière au Sporting?

D’un point de vue humain, j’espère enrichir mon bagage en français ( il rit). Sur le plan sportif, j’escompte vivre de grands moments dans un club qui devrait, tôt ou tard, renouer avec la coupe d’Europe. J’ai vécu cette expérience avec le RWDM. Si cette réalité-là fut possible au stade Edmond Machtens, je ne vois vraiment pas pourquoi elle ne serait pas envisageable à Charleroi aussi.

Bruno Govers

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