Le Deuxième élément

Le discours du Portugais est limpide :  » Je préfère être adjoint d’un entraîneur compétent dans un grand club à un job d’entraîneur principal dans un petit. « 

Lorsqu’il s’est agi de trouver un adjoint à Laszlo Bölöni, le Standard avait le choix entre quelqu’un connaissant bien le championnat belge (et accessoirement prêt à prendre le train en marche s’il le fallait) ou un fidèle lieutenant de l’entraîneur roumain. Il opta pour cette seconde possibilité en engageant, pour un an également, le Portugais Joaquim Preto, 49 ans.

 » Je suis un conquistador « , sourit-il.  » Quand je m’installe dans un pays, j’essaye d’en comprendre ses rouages, de vivre le plus près possible de la population, de visiter. Même au cours des mises au vert, j’insiste toujours pour que la promenade matinale passe près d’une église, d’un monument. Je trouve qu’il est important d’en connaître un minimum. « 

C’est que son grand-père FranciscoRolão Preto (1893-1977) était une pointure : un des fondateurs de l’Intégralisme lusitanien, mouvement royaliste portugais qui vit le jour en… Belgique et s’opposa clairement au régime autoritaire d’ AntonioSalazar qui se termina en 1974 par la Révolution des îillets. Au Portugal, des rues portent le nom de Francisco Rolão Preto.

 » J’ai tiré énormément de belles choses d’un grand-père pareil « , dit fièrement Joaquim Preto.  » Notamment lors de longs moments dans la bibliothèque de notre ferme, dans la province de Beira Baixa, où il est revenu après avoir connu l’exil en Espagne, en France et en Belgique. C’était un humaniste et un orateur. Il disait que les riches devaient être moins riches et les pauvres moins pauvres. Il était avocat. Mon père était juge, il est allé jusqu’à la Cour suprême mais il n’a pas suivi la carrière politique de mon grand-père. Une de mes s£urs est aussi magistrat, une autre produit du fromage de montagne et une dernière est dans l’agriculture. J’avais aussi un frère, décédé dans un accident. Je suis le seul à avoir choisi la voie du football, peut-être parce que j’ai suivi les pas de notre mère, qui était professeur d’éducation physique… « 

Preto s’exprime dans un français remarquable :  » Je l’ai appris à l’école, tout comme l’anglais, l’espagnol et l’italien. Puis je l’ai amélioré au Sporting en servant de traducteur à Bölöni et perfectionné à Rennes et à Monaco. Maintenant, je peux même écrire un rapport en français… « 

Preto a 11 ans lorsqu’il passe un test au Sporting Lisbonne. Il est retenu et a pour entraîneur Aurélio Pereira, l’homme qui est aujourd’hui responsable du recrutement et a découvert Cristiano Ronaldo, Simão Sabrosa, Ricardo Quaresma, etc. Il évolue au poste de médian droit.

Pas question, toutefois, d’abandonner les études pour le football. C’est même le contraire qui se produit. Diplômé de la Faculté de motricité humaine de Lisbonne (le même diplôme que celui de José Mourinho), qui entretient de très bonnes relations avec l’Université de Liège, il choisit d’arrêter le football au moment où son avenir au Sporting semble bouché.  » J’ai eu la chance d’avoir pour professeurs Nelo Vingada, Carlos Queiroz et Jesualdo Ferreira, aujourd’hui entraîneur de Porto « , précise-t-il.  » Après deux ans passés à Torreense, en D2, celui-ci m’a alors amené à Académica, où il m’a entraîné pendant trois ans. Entre-temps, j’avais entamé mon parcours d’entraîneur en effectuant un stage à l’école des jeunes de Belenenses.  »

Plus tard, lorsqu’il reviendra au Sporting, Preto rendra une maîtrise sur le football de haut rendement.  » Une étape très importante de ma connaissance personnelle et fondamentale dans la réflexion vers l’utilisation de nouvelles technologies du football, ne serait-ce qu’au niveau de la présentation « , avance-t-il.  » C’est pourquoi je conseille toujours aux jeunes joueurs de continuer à étudier, afin de rester connectés aux réalités du monde quotidien. « 

Preto est donc un scientifique. Le travail sur le terrain ne représente qu’une toute petite partie de sa tâche. Arrivé à Liège, il a choisi de s’installer dans un appartement de Boncelles, afin d’être le plus près possible de l’académie. Il a également rencontré des professeurs de l’université de Liège, notamment au service du Professeur Jean-Louis Croisier. Il passe une bonne partie de son temps à lire, à regarder des cassettes-vidéo et à travailler sur des programmes quasi classés  » top secret  » qu’il installe parfois sur l’ordinateur portable des joueurs afin que ceux-ci voient clairement où ils peuvent progresser d’un point de vue physique.

En 2001, c’est la rencontre avec Bölöni et le succès au Sporting Lisbonne

Preto a fait l’essentiel de sa carrière de joueur à Académica, avec qui il a disputé 200 matches de D1. Il y a notamment côtoyé l’ex-Standardman Roberto Siasia et le regretté Serge Cadorin.  » Siasia et moi avons connu nos épouses respectives à cette époque. La mienne est aujourd’hui directrice d’école à Lisbonne. De Cadorin, je retiens qu’il était très rapide et marquait facilement.  »

Il passe ensuite trois ans au Nacional, en D2, comme joueur-entraîneur, puis devient directeur sportif à Marítimo pendant un an.  » Ma plus mauvaise expérience car les clubs portugais vivent beaucoup sur la base d’un président élu pour une période déterminée et qu’il est donc difficile de travailler à long terme « , précise-t-il.

Débute alors la grande aventure. Carlos Queiroz l’emmène avec lui aux Emirats Arabes Unis, où il restera un an et demi. Il revient ensuite à Camara de Lobos, club de D3 portugaise, sur l’Ile de Madère, puis est rappelé au Sporting où il rencontre Bölöni en 2001.

Le coup de foudre ? ( Il rit).  » Nous sommes arrivés le même jour « , se souvient Preto.  » Le club voulait lui adjoindre quelqu’un qui l’aide à s’adapter au football portugais. Nous avons rapidement constaté que nous avions pas mal de points de vue semblables concernant la préparation. Nous avons toujours eu un dialogue très ouvert, chacun acceptant les idées de l’autre. Cela nous a permis de mener une réflexion où chacun évolue. Bölöni est plus réservé que moi mais celui qui le connaît sait l’importance de son amitié et comprend son humour. C’est une personne très agréable mais rigoureuse, expérimentée, organisée.  »

Au Sporting, le duo est champion, remporte la Coupe et la Supercoupe.  » Avec un club qui n’était pas favori mais qui n’est jamais très loin du titre « , reconnaît Preto.  » João Pinto a livré la meilleure saison de sa carrière, MarioJardel a inscrit 42 buts, l’équilibre défensif était parfait et nous avons encore pu lancer des jeunes.  »

Lorsque Bölöni quitta le Sporting pour Rennes en 2003, Preto aurait pu rester à Lisbonne comme entraîneur de l’équipe B mais il refusa.  » D’une part parce que le cycle était terminé et d’autre part parce que j’avais envie de vivre autre chose « , explique-t-il.

Après qu’on ait cité son nom comme adjoint de Queiroz au Real Madrid ( » Il n’y eut jamais rien de concret « , assure-t-il), il finit par rejoindre le Roumain en France. D’abord comme responsable du scouting, puis comme adjoint.  » C’est sans doute à Rennes que nous avons le plus construit « , dit-il.  » Aujourd’hui, tout le monde cite ce club en exemple mais au départ, il n’y avait rien. Le scouting est un élément essentiel du football d’aujourd’hui. Hormis une dizaine de clubs, qui peut vraiment se payer le joueur dont il a envie ? Or, la plupart des entraîneurs sont tellement concernés par leur équipe qu’ils ne voient pas le reste. « 

Puis ce fut Monaco où, cette fois, la réussite ne fut pas au rendez-vous et le duo fut limogé.  » Un club où il est très difficile de travailler car beaucoup d’éléments influencent la politique de la direction « , affirme Preto.

Vint ensuite Al Jazeera, avec qui Bölöni et Preto remportèrent l’équivalent de la Coupe UEFA pour les pays arabes.  » Nous avions PhilipCocu et de très bons Africains dans un championnat qui évolue mais où règne encore beaucoup d’amateurisme. Je n’exclus cependant pas d’y retourner un jour.  »

 » Je touche à tous les domaines et ce n’est pas le cas de tous les adjoints « 

Preto aurait pu profiter de ce moment pour reprendre sa liberté, tenter une nouvelle chance comme entraîneur principal. Le Portugais est-il taillé sur mesure pour le rôle d’adjoint, doit-il se confiner dans ce rôle jusqu’au terme de sa carrière ?  » Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de classer les gens par catégories « , pense-t-il.  » J’ai débuté comme entraîneur principal. Je l’ai été pendant cinq ans et je me suis bien amusé. Depuis que j’ai rencontré Queiroz et Bölöni, je travaille dans une dynamique de projection et de responsabilités où toutes les compétences sont fondamentales. Chacun a ses points forts et c’est la conjugaison de ceux-ci qui fait la qualité de l’équipe. J’ai la chance de pouvoir toucher à tous les domaines et je sais que ce n’est pas le cas de tous les adjoints. Quand j’étais joueur, l’adjoint était un porteur de cônes, un type qui ne représentait aucun danger pour l’entraîneur. Aujourd’hui, on me demande de planifier la saison, de rechercher de nouvelles méthodes de travail, d’analyser les joueurs avec les moyens technologiques les plus poussés, d’aller voir des joueurs… En principe, Bölöni passe tout le mois de janvier sans moi car c’est le moment où je prépare déjà la saison suivante. Ce sont des choses que tout entraîneur doit pouvoir faire mais… qui ne sont possibles que dans un club structuré. C’est pourquoi je préfère un rôle d’adjoint à un entraîneur compétent dans un grand club à un job d’entraîneur principal dans un petit club. Ma réalisation professionnelle est plus importante que mon statut. « 

par patrice sintzen

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