« Le dernier grand Anderlecht »

Il y a 20 ans, le Sporting remportait son ultime trophée européen: la Coupe de l’UEFA face à Benfica.

L’année 1983 s’inscrivait sous un signe spécial pour les Mauve et Blanc, qui fêtaient leurs trois quarts de siècle à cette époque. Pour conférer un lustre tout particulier à cet événement, les dirigeants du club bruxellois avaient mis les petits plats dans les grands en procédant, dans l’optique de la date anniversaire du 8 mai, à la première phase de la modernisation de leur stade, dont la nouvelle tribune principale, pourvue de loges, allait être inaugurée le 10 août à l’occasion d’un match de gala contre le FC Barcelone, emmené par un certain Diego Maradona.

Sur le terrain, les Sportingmen ne demeurèrent pas en reste non plus puisqu’ils remportèrent à la mi-mai la Coupe de l’UEFA face au Benfica Lisbonne. Un trophée qui s’ajoutait aux deux Coupes des Coupes que les sociétaires du Parc Astrid avaient glanées auparavant contre West Ham d’abord (1976), devant l’Austria Vienne ensuite (1978). Malgré deux participations ultérieures à des finales européennes, contre Tottenham (1984, CE3) et la Sampdoria (1990, CE2), plus aucun succès ne fut enregistré par les Anderlechtois. A ce jour, la Coupe de l’UEFA 1983 constitue donc le tout dernier prix gagné par le matricule 35.

Au départ de ladite campagne, rien ne laissait pourtant présager une issue aussi heureuse. Les signes d’essoufflement qui avaient déjà été perçus en 1981-82, quand le RSCA dut s’effacer au profit du Standard, surgirent à nouveau, quelques mois plus tard, malgré l’apport des deux meilleurs avants belges du moment: Erwin Vandenbergh (Lierse) et Alex Czerniatynski (Antwerp). Deux maîtres-achats qui n’avaient cependant nullement empêché le coach du Sporting, Tomislav Ivic, de rester fidèle à une tactique frileuse qui, bien que synonyme de succès final en championnat, en 1981, ne recueillait guère l’adhésion générale. Aussi, après huit journées, le Dalmate fut-il prié de céder sa place à un homme nourri dans le sérail, Paul Van Himst. Celui-ci faisait là ses grands débuts dans la corporation des entraîneurs.

Paul Van Himst: Le Sporting avait pris un piètre départ en championnat puisqu’il comptabilisait neuf points seulement à ce stade de la compétition. Après que l’équipe eut encaissé son troisième revers de la saison, à Waregem, la direction me posa la question de confiance. Depuis quatre ans, j’officiais comme entraîneur des jeunes au RSCA, où j’avais évolué durant trois lustres comme footballeur. J’avais d’autant plus facilement accédé à cette demande qu’une expérience en tant que coach me tentait réellement. De surcroît, j’étais intimement convaincu que cette formation anderlechtoise était capable de faire nettement mieux que ce qu’elle avait montré jusque-là. Elle allait d’ailleurs le prouver, quelques mois plus tard, en remportant la Coupe de l’UEFA.

Vous aviez été intronisé deux jours avant le premier déplacement européen chez les Finlandais de Kuopion Pallotoverit. En dépit d’une marge de manoeuvre étroite dans le temps, vous n’en aviez pas moins apposé d’emblée votre griffe sur le onze de base?

Après avoir essayé toutes les variantes possibles au cours de la période de préparation, Tomislav Ivic s’était prononcé en début d’exercice déjà en faveur d’une conception de jeu en 5-4-1 à laquelle il n’avait jamais dérogé depuis son arrivée au Sporting deux ans plus tôt. Ma première préoccupation fut d’en revenir à un style qui collait mieux à la maison et c’est pourquoi j’ai immédiatement opté pour le 4-4-2. Tout choix fait inévitablement l’un ou l’autre malheureux. Dans ce cas précis, il s’était déroulé au détriment de celui qui officiait en tant que deuxième stopper au côté de Luka Peruzovic: un certain Hugo Broos, que j’avais sacrifié à l’arrière au profit d’un deuxième attaquant, chargé d’épauler Erwin Vandenbergh: Alex Czerniatynski. Une association qui fut directement couronnée de succès, car au même titre que Ludo Coeck, ces deux-là signèrent des buts qui nous permirent en définitive de l’emporter par 1-3 en Scandinavie. Mais le Sporting était sur du velours depuis longtemps, à ce moment-là, étant donné qu’il s’était déjà imposé par 3 à 0 à l’aller.Une équipe all-round

Au deuxième tour, l’opposition apparaissait beaucoup plus sérieuse, sur le papier du moins, avec le FC Porto?

A priori, il en allait bel et bien ainsi. Mais c’était compter, à l’aller, au Parc Astrid, sans un Juan Lozano des grands soirs qui tua tout l’intérêt du match retour en nous propulsant, grâce à deux réalisations dans le premier quart d’heure, vers une victoire aisée: 4 à 0. L’Andalou, c’était l’homme-orchestre d’une équipe all-round. Il y avait de tout dans cet Anderlecht-là: de la vitesse sur les flancs avec Wim Hofkens et Per Frimann à droite ainsi que Michel De Groote et Franky Vercauteren à gauche; de la rigueur derrière avec Luka Peruzovic, Hugo Broos et Walter De Greef; du génie dans la ligne médiane avec Ludo Coeck et Juan Lozano et, enfin, une attaque-mitraillette avec Erwin Vandenbergh, Alex Cerniatynski et Kenneth Brylle. Nous marquions comme à la parade, à domicile comme en déplacement. La preuve au stade Das Antas où nous avions mené par 0-2 avant de nous faire remonter les bretelles, en fin de rencontre, suite à un manque de concentration: 3-2.

En huitièmes de finale, le FK Sarajevo n’avait pas pesé bien lourd dans la balance non plus: succès 6-1 au RSCA et défaite 1-0 au retour.

Ce soir-là, nous avions réalisé une première mi-temps de rêve puisque nous avions rejoint les vestiaires nantis d’une avance de quatre buts: 5 à 1. La deuxième période et le retour s’assimilèrent finalement à des promenades de santé. Pourtant, il y avait pas mal de joueurs de talent au sein de l’équipe yougoslave. Un d’entre eux devait d’ailleurs se tailler une fameuse réputation, par la suite, au PSG: Safet Susic. Mais, chez nous, il ne devait pas en aller autrement. Peut-être pas à l’issue de cette double confrontation, mais à la faveur de notre rendez-vous suivant face à Valence. Au stade Luis Casanova, la grande vedette fut Ludo Coeck qui, sur un tir à longue distance dont il avait le secret, nous offrit la victoire: 1-2. Ce n’est pas un hasard si la photo de l’infortuné Anversois, jubilant après cette réalisation, orne toujours le hall d’entrée du stade Constant Vanden Stock. Ce soir-là, à n’en point douter, cet élégant médian réussit à convaincre de manière définitive les scouts de l’Inter Milan qui le suivaient depuis longtemps d’un oeil intéressé. Au retour, que nous avions gagné par 3-1, c’est Juan Lozano qui avait définitivement tapé dans l’oeil des responsables du Real Madrid où il aboutit quelques mois plus tard.

Auparavant, l’Andalou avait marqué le but prépondérant lors de la finale retour à Lisbonne.

En demi-finales, face aux Bohemians Prague, il avait déjà été le grand artisan de nos succès par 0-1 et 3-1 en mettant sur orbite nos artificiers attitrés: Kenneth Brylle, Alex Czerniatynski et Erwin Vandenbergh. Mais dans la capitale portugaise, il s’était chargé lui-même de nous offrir le goal décisif, sur une tête plongeante, après que Sheu eut répondu, à l’Estadio da Luz, au but de la victoire que Kenneth Brylle avait inscrit en notre faveur dans nos installations. Ou plutôt au Heysel, car en raison des transformations apportées au stade Constant Vanden Stock, nous avions déménagé entre-temps au plateau du centenaire où nous avions livré notre premier match européen, face à Valence, devant 46.000 personnes. Hormis un premier tour européen face au Real Madrid, en 1962, le Sporting n’avait jamais déplacé autant de monde avant une manche finale. C’est assez significatif.Anderlecht avait de la gueule

Après le match aller face à Valence, l’entraîneur de l’équipe espagnole, Miljan Miljanic, n’avait pas hésité à déclarer qu’Anderlecht était, à cette époque, la meilleure équipe d’Europe.

Peut-être, ce faisant, espérait-il sauver sa peau, entendu qu’au retour, il dut céder sa place au Basque Luis-Maria Aguire. Mais c’est vrai que ce Sporting-là avait de la gueule sur le terrain. Pour moi, il s’agit ni plus ni moins du dernier grand Anderlecht qu’on ait connu. Il y eut d’abord la génération Mermans, dans les années 50, puis celle dont je fis moi-même partie au cours de la décennie suivante. Sous la houlette de Pierre Sinibaldi, cette équipe balayait tout sur son passage en Belgique mais elle ne tenait hélas pas la distance en Europe. Pourquoi? Tout simplement parce que nous étions des amateurs, voire des semi-pros, et que la lutte était inégale lorsque nous devions nous mesurer à de véritables professionnels, comme les Britanniques, les Espagnols, les Italiens ou encore les amateurs marrons de l’ancien bloc de l’Est. Dès que le RSCA, à l’image du football belge, accéda au professionnalisme, les écarts diminuèrent et c’est ce qui permit au Sporting une première flambée européenne, entre 1976 et 1978, sous la conduite de Robby Rensenbrink, et une deuxième, marquée par deux accessions successives en finale de la Coupe de l’UEFA, avec moi, en 1983 et 1984. Depuis lors, sans vouloir vexer qui que ce soit, force est de reconnaître que cette qualité-là n’a plus jamais été égalée.

Interrogé dans le cadre du Footballeur Pro au sein même de cette revue, Juan Lozano dit que de la génération actuelle, seul Aruna Dindane aurait eu sa place à votre époque. Vous partagez cet avis?

Je ne parlerai pas en termes d’individualités afin de ne froisser personne. Mais, dans l’ensemble, le Sporting que j’ai eu la chance de diriger à cette époque était largement supérieur à celui d’aujourd’hui. En réalité, je discerne pas mal de similitudes entre le RSCA actuel et celui qui fit fureur, il y a deux ans, en Ligue des Champions. D’un côté comme de l’autre, on relevait la présence de deux joueurs hors normes -Jan Koller et Tomas Radzinski jadis, Nenad Jestrovic et Aruna Dindane maintenant – soutenus par un collectif impressionnant à défaut d’être génial, comme de mon temps. Reste que je suis optimiste pour la génération présente qui me fait penser à ce que j’ai connu moi-même. Car en 1959-60, l’année de mes débuts, nous étions plusieurs jeunes à avoir fait notre apparition au même moment en équipe Première. Outre moi-même, il y avait là Jean Cornélis, Georges Heylens et Jean Trappeniers. Si l’histoire repasse les plats, Anderlecht peut se préparer à un grand avenir.

N’est-il pas dommage que les circonstances aient dicté l’introduction des Olivier Deschacht, Goran Lovre et Martin Kolar aujourd’hui?

Sans doute. Mais une chose est sûre: Hugo Broos ne s’en mordra jamais les doigts. Si j’ai retenu une leçon de la petite dizaine d’années que j’ai passées au sommet, comme entraîneur, c’est que plus une équipe compte de joueurs chevronnés, plus elle compte également d’entraîneurs dans ses rangs. Or, il n’en faut idéalement que deux: le coach et son prolongement sur le terrain qui n’est autre, le plus souvent, que le capitaine. Les empêcheurs de tourner en rond, il faut pouvoir s’en priver au bon moment. Et je pense que ceux-là, justement, étaient nombreux à Anderlecht cette saison.

Ne regrettez-vous pas la brièveté de votre carrière, qui s’est limitée à trois années à Anderlecht, entre 1982 et 1985, et cinq avec l’équipe nationale, exception faite d’une courte parenthèse au RWDM?

J’aurais aimé qu’elle se prolonge, c’est sûr. Mais, à l’analyse, je me dis que je suis un privilégié malgré tout. J’ai, en effet, eu la chance de driver ce qui se fait de mieux en Belgique: Anderlecht et les Diables Rouges. Et ce, non sans succès. En huit années de coaching, j’ai probablement retiré davantage de satisfactions que d’autres tout au long de leur carrière. Et cela suffit à mon bonheur.

Bruno Govers

« En huit années de coaching, j’ai retiré davantage de satisfactions que d’autres tout au long de leur carrière »

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