Le démon de midi

Et si le départ du coach était salutaire pour l’Excel?

Jean-Pierre Detremmerie aimerait tant retrouver toute sa sérénité pour ne penser qu’aux prochaines échéances sportives de Mouscron. Mais il avoue qu’il n’y parvient toujours pas.

« Je suis encore trop en colère pour porter un jugement objectif sur l’affaire Broos », dit-il. Depuis qu’il a signé à Anderlecht, l’ex-international a appelé deux fois son ex-président pour le remercier de l’avoir laissé partir au Sporting. Mais il en faudra plus pour calmer Detrem. En milieu de semaine dernière, une conversation téléphonique entre les deux hommes a tourné au vinaigre. « Je ne suis pas encore prêt pour le rencontrer à nouveau », ajoute le boss de l’Excel.  » Je dois dire les choses comme elles se présentent: pour le moment, nos relations sont très, très mauvaises ».

Qu’en est-il exactement de la fameuse clause libératoire à laquelle Hugo Broos a fait allusion?

Jean-Pierre Detremmerie: Cette clause est une invention pure et simple. Quand j’en ai entendu parler dans la presse, j’ai pensé dans un premier temps que c’était une blague de Broos. Lorsque les gens de l’Union Belge m’ont contacté à ce sujet, je leur ai répondu que je tenais le contrat de Broos à leur disposition. J’ai commis une erreur: j’aurais dû organiser sur-le-champ une réunion avec toutes les parties: Broos, la fédération et moi-même. Histoire de confronter mon entraîneur à ses déclarations. J’ai retenu la leçon: désormais, je ne discute plus jamais seul avec des gens du football: je prends des témoins. Je suis allé la semaine dernière à Anderlecht et j’étais accompagné de trois personnes de Mouscron! Dans l’affaire Broos, je suis tombé du grenier à la cave. Je me suis retrouvé dans un palais où le mensonge est roi. Je croyais au respect de la parole donnée et des contrats. Mais si ce respect existe encore, ce n’est sûrement pas dans le monde du football. Dans le désert, peut-être… C’est une excellente leçon pour moi. J’ai appris plus en une semaine qu’en plusieurs années dans ce milieu. Il faut de temps en temps prendre une bonne claque pour rester bien éveillé, ça fait du bien. Mais il est clair que je n’aurai plus jamais une confiance aveugle en qui que ce soit dans l’univers du foot. Je suis dans la peau de la jeune fille qui a été trompée par l’amour de sa vie et ne pourra plus jamais faire confiance à un garçon.

Lors des deux premières journées que nous avons passées ensemble au Japon, je ne tenais plus en place, à cause de toutes les rumeurs qui citaient Broos en équipe nationale. Le troisième jour, je lui ai posé la question de confiance et il m’a répondu que c’étaient des inventions de la presse. J’ai toutefois tiqué quand il m’a dit qu’il resterait encore deux ans à Mouscron. Bizarre, alors qu’il avait resigné, en décembre, jusqu’en 2006. J’ai compris qu’il préparait quelque chose, mais j’étais quand même rassuré pour l’avenir immédiat.

Vous avez déclaré que c’était la fin du pouvoir absolu d’un entraîneur à Mouscron: que voulez-vous dire?

Je ne laisserai plus jamais le pouvoir entre les mains d’un seul homme. Hugo Broos décidait de tout, chez nous. Je ne négociais même pas les transferts moi-même: il avait carte blanche. Mais, du jour au lendemain, je me suis retrouvé tout à fait déshabillé. On m’appelait de Tottenham et d’ailleurs pour des renseignements bien précis mais j’étais incapable de répondre parce que Broos avait géré seul les dossiers. Il y aura désormais une espèce de directoire dont le patron ne sera pas nécessairement un sportif mais plutôt un financier. Sans doute Danny Oda, qui a dirigé une entreprise dans le passé et fait déjà partie de l’équipe dirigeante. Il sera le numéro 1 dans la prise de décisions, mais il ne décidera de rien à lui seul. Il aura des sportifs autour de lui. Tout le club va être restructuré parce que j’en ai encore le courage. Si le départ de Broos m’était tombé sur la tête dans deux ou trois ans, je n’aurais probablement plus eu cette force. Finalement, il a peut-être pris une décision providentielle pour l’avenir de ce club. A toute tuile, il y a un bon côté… »Je ne veux plus de conflits du style Broos – Saint-Jean »

Hugo Broos était votre entraîneur, mais aussi le gardien d’une philosophie qu’on retrouvait dans toutes les équipes mouscronnoises. Cela est-il mis en danger?

J’espère que ce ne sera pas le cas, que le système de jeu restera en place. Je ne veux en tout cas plus être victime d’une querelle de styles de jeu entre deux entraîneurs, comme j’ai connu avec Hugo Broos et Philippe Saint-Jean. Broos voulait quatre défenseurs, Saint-Jean n’en préconisait que trois. Au bout du compte, les jeunes qui arrivaient dans le noyau professionnel devaient subitement s’adapter à un nouveau football et tout le monde perdait du temps. Je veux que l’entraîneur de l’équipe Première choisisse un système et le transmette à toutes les formations d’âge.

Broos savait que Mouscron serait incapable de retenir éternellement ses meilleurs joueurs: cela a peut-être joué dans sa décision?

A un moment donné, je lui ai peut-être mis trop de pression en lui promettant, à terme, un poste de manager à l’anglaise. Il a enregistré ma proposition mais s’est sans doute dit que l’Excel n’aurait pas de sitôt les moyens de ses propres ambitions. Je ne lui cachais rien, et surtout pas notre situation financière. Nous sommes toujours à un stade où nous devons miser sur la vente de nos meilleurs éléments. Je ne peux pas jurer que nous retiendrons encore longtemps les Zewlakow, Mbo Mpenza ou Blondel. Une cassette de Mbo est arrivée dans un club anglais et les dirigeants lui accordent la plus grande attention. Blondel est aussi sur la liste de Tottenham et on cite les Zewlakow à Anderlecht, à Bruges, à l’Ajax, etc. L’Excel est encore fragile. Notre but est d’avoir un jour les reins suffisamment solides pour traiter d’égal à égal avec les grands clubs et pouvoir retenir tout le monde. Mais cela prendra encore quelques années. Nous n’avons pas la possibilité de nous endetter et aucun partenaire ne nous propose de temps en temps quelques millions d’euros. Je rêverai toujours d’avoir beaucoup d’argent, mais le fait d’avoir en permanence le couteau sur la gorge a aussi un avantage: cela nous oblige à maintenir une gestion rigoureuse.

Pourquoi avez-vous choisi Lorenzo Staelens comme nouvel entraîneur?

Plusieurs éléments sont intervenus. Lorenzo était déjà dans le club et c’était un avantage. L’unanimité du staff technique et des dirigeants a été un autre argument déterminant: tout le monde souhaitait que Lorenzo soit prioritaire. Il y a aussi des raisons financières, même si j’étais prêt à engager un entraîneur, ce qui aurait signifié un salaire supplémentaire. En choisissant Lorenzo, nous donnons une chance à un jeune et cela cadre bien avec la philosophie de notre club. Au moment de faire venir Broos, je souhaitais travailler avec un entraîneur expérimenté. Mais l’Excel a entre-temps franchi une étape: aujourd’hui, nous pouvons risquer le coup avec un débutant parce que l’organisation générale a évolué. La motivation de Lorenzo m’a aussi séduit. Je l’ai appelé en pleine nuit en Martinique. Le plus difficile a d’ailleurs été de me faire comprendre à son hôtel: à quatre heures du matin, ce n’est pas nécessairement le directeur général qui décroche, et j’ai eu du mal à faire comprendre au réceptionniste que je voulais absolument parler à Monsieur Staelens (il rit). Dès que j’ai expliqué la situation à Lorenzo, il m’a donné son accord. Il ne m’a même pas demandé de le laisser réfléchir une heure ou deux. Son empressement m’a à la fois surpris et influencé. Il me prouvait ainsi qu’il n’avait pas peur du défi. J’ai eu l’impression qu’il était en attente de cette promotion, même si elle survient sûrement plus vite qu’il ne l’espérait. Lorenzo sait qu’il joue peut-être sa future carrière sur ce coup à Mouscron. Un peu comme Leekens, qui était brûlé en Belgique quand nous l’avions fait signer chez nous. « Staelens sera mieux entouré que Scifo et Preud’homme »

Staelens n’a aucune expérience d’entraîneur: n’est-ce pas dangereux quand on voit ce qui est arrivé récemment à Scifo et Preud’homme?

Bah, il y a d’autres entraîneurs sans expérience qui ont directement réussi en D1. Notre club est suffisamment structuré pour offrir des conditions de travail favorables à Lorenzo, pour l’appuyer dans les moments difficiles. Ce qui n’était peut-être pas le cas à Charleroi et au Standard, la saison dernière.

Pour beaucoup, le retour de Leekens coulait de source.

Il m’a contacté et il avait des atouts dans son jeu. Il aurait amené de la discipline dans le noyau, mis au pied du mur ceux qui ne répondent pas à l’attente. C’est nécessaire, quand on voit que plusieurs transferts ont échoué chez nous au cours des dernières années. Mais Lorenzo aura la même poigne que Leekens.

Qu’est-ce qui vous a fait le plus mal: l’affaire Mpenza, l’affaire Leekens, ou l’affaire Broos?

Ce sont trois cas bien différents. Dans le cas des Mpenza, je ne peux pas en vouloir aux jeunes. Je peste contre les adultes qui leur ont demandé de changer leur signature et contre l’Union Belge qui a été complice dans cette combine alors qu’on attend d’une fédération qu’elle soit la conseillère, la tutelle, la gardienne des lois.

Avec Leekens, je parlerais plutôt de maladresse de sa part. Ma femme et moi, nous avions vécu de près les événements familiaux qui l’avaient frappé. Nous étions devenus de vrais amis et il a cru qu’il pourrait monnayer cette amitié, il doit avoir dit à l’Union Belge qu’il trouverait sans problème un arrangement avec moi, au nom de notre complicité. Il a confondu amitié, fric et Diables Rouges…

Pour Broos, je vois plutôt les choses comme le démon de midi qui a fait une sale intrusion dans le monde du football!

Pierre Danvoye

« Je me retrouve dans un palais où le mensonge est roi »

« Une claque pareille, ça fait aussi du bien »

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