Le déclin d’un colosse

Au même titre qu’Anderlecht, son attaquant-vedette marque le pas ces dernières semaines. Quel est le problème et quid de son avenir ?

Si Anderlecht et Genk se sont quittés dos à dos, le match dans le match entre les leaders d’attaque Romelu Lukaku et Jelle Vossen a tourné à l’avantage de ce dernier. Au Parc Astrid, le Limbourgeois a mis fin à une période d’improductivité de huit semaines en inscrivant le seul but de ses couleurs. Il aurait pu alimenter son compteur à deux autres reprises encore s’il ne s’était heurté chaque fois à un Silvio Proto très inspiré.

Son vis-à-vis bruxellois, lui, avait moins de raison de pavoiser. En panne de goals depuis la visite du Lierse, le 26 décembre, il n’aura pas réussi à tromper la vigilance de Thibaut Courtois. Un pointu et un tir trop mou durant les 45 premières minutes, une tête et un autre envoi trop peu appuyés en fin de match et c’était tout comme tentatives… Plutôt mièvre comme bilan. Mais le joueur est surtout le reflet de l’indigence offensive des siens. En huit matches en 2011, les Sportingmen n’ont marqué qu’à six coups. Et encore quatre de ces réalisations l’ont été en deux rencontres, face au Standard d’abord (2-0) et devant Saint-Trond (2-0). Les deux restantes remontent à une victoire arrachée in extremis contre le Cercle Bruges (1-0 à la 88e minute par Mbark Boussoufa) et à l’égalisation de Roland Juhasz, dans les arrêts de jeu, vendredi dernier.

Comparativement aux exercices précédents, où les Mauves caracolaient toujours en tête sur le plan de l’average, le topo a changé. Certes, l’équipe repose toujours sur la défense la plus solide, avec un passif se chiffrant à 17 unités, mais question productivité elle ne domine plus son sujet : avec un total de 54 buts, elle est devancée par Genk (63), La Gantoise (57) et le Club Bruges (56). Au classement des buteurs le RSCA ne se trouve plus aux premières loges non plus puisque le tandem Lukaku-Boussoufa, fort de 10 buts chacun, est précédé de 5 joueurs actifs chez la concurrence directe. Indépendamment de Vossen (17), il y a là ses compagnons genkois Elyaniv Barda (11) et Marvin Ogunjimi (11) de même que les Brugeois Ronald Vargas (15), dont la série est stoppée depuis quelques semaines en raison d’une blessure, et Ivan Perisic (14).

Pourtant, Ariel Jacobs continue à jurer en faveur d’un système en 4-2-3-1, avec le seul Lukaku en pointe. Il n’a modifié ses batteries, contraint et forcé, qu’en deux occasions ces derniers temps : à Westerlo d’abord où, mené 2-0, il a jeté toutes ses forces offensives dans la bataille, Tom De Sutter et Dalibor Veselinovic s’ajoutant au trio constitué de MatiasSuarez-Lukaku-Boussoufa. Sans succès puisque le score ne changea plus. Contre Genk, Jacobs troqua sa tactique initiale, in fine, contre un 3-2-1-4 avec Suarez dans le rôle d’homme-orchestre derrière le quatuor Boussoufa-De Sutter-Lukaku- JonathanLegear. Un changement qui porta ses fruits puisque les Anderlechtois égalisèrent sur le fil.

Pourquoi Jacobs répugne-t-il à jouer avec deux pointes ?

Une seule fois, cette saison, Jacobs avait opté pour un 4-4-2 avec Lukaku et De Sutter devant et Boussoufa et GuillaumeGillet sur les flancs. Une entreprise qui avait été couronnée de succès puisque les deux pointes avaient été mêlées à ce qui reste le 10e et dernier but de Rom en D1, face au Lierse. Après la pause, Jacobs avait remplacé De Sutter par Suarez au même poste et la kermesse aux buts s’était poursuivie : 6-0 au total.

On ne comprend pas, dès lors, les répugnances du meneur d’hommes des Mauves à se prononcer pour un duo aux avant-postes. A commencer par Roger Lukaku qui, lorsqu’il évoqua récemment un problème au Sporting pointait le doigt sur cet aspect-là…, alors qu’il ne se pose pas avec l’équipe nationale :  » J’ai toujours dit que Romelu serait plus fort avec un partenaire à ses côtés comme ce fut le cas avec Bruno Barras ou Olivier Mukendi chez les Espoirs « , dit-il.  » Et je maintiens ce point de vue « .

Paul Van Himst est du même avis :  » Pour Jacobs, c’est Lukaku, OU De Sutter alors que je reste persuadé que l’un ET l’autre peuvent tirer profit de cette association. Le Brugeois a une bonne couverture de balle et est un excellent remiseur. Dos au but, il est le complément parfait de Lukaku qui n’a pas son pareil face au goal. Suarez me paraît une autre alternative valable à condition d’être utilisé comme deuxième attaquant et non comme médian le plus avancé. Jacobs a raison quand il dit que personne n’émettait des critiques il y a un an quand, avec le seul Lukaku en pointe, Anderlecht planait sur la compétition mais la situation n’est plus la même. La saison passée, Lucas Biglia et JelleVan Damme apportaient de la profondeur. Aujourd’hui, l’un est parti et l’autre joue à nouveau davantage devant sa défense que dans le camp adverse. Sans oublier que Bous décroche souvent pour demander le cuir. Dans ces conditions, Lukaku se retrouve fréquemment livré à lui-même. D’une saison à l’autre, la perception est différente pour lui également. L’année passée, on ne voyait que ses qualités. A présent, on relève surtout ses imperfections. Et quand on est seul devant, il est malaisé de se tirer d’affaire. D’autant plus que les opposants le connaissent mieux aussi.  »

Une opinion corroborée par l’ex-joueur Eddy Snelders, consultant de la télé flamande et qui suit tout le temps le Sporting :  » Quand je songe au Lukaku de 2009-2010, deux scènes me reviennent à l’esprit. La première concerne le but de la victoire qu’il a paraphé à Mouscron sur une longue balle à suivre. Il avait alors déposé tout le monde avant de battre le gardien adverse. La deuxième a trait au goal qu’il offre à Boussoufa au Germinal Beerschot : déboulé sur le flanc gauche et centre au cordeau pour le Marocain qui conclut d’une reprise acrobatique. Ces images-là, je ne les vois plus cette saison. Privé de profondeur par les stoppers, qui limitent l’espace dans leur dos, un autre tenterait sans doute d’échapper au marquage en attaquant le ballon. Lui a plutôt tendance à l’attendre, permettant à son garde du corps d’anticiper ou de profiter d’un contrôle approximatif : il n’est manifestement pas encore au point sous cet angle-là. On relève toujours pas mal de déchet chez lui. On l’a vu à l’Ajax : à un moment donné, il hérite de manière chanceuse du cuir dans le rectangle mais il ne parvient pas à le maîtriser. Du coup, l’occasion s’envole. Il a encore pas mal de boulot à ce niveau.  »

Est-il plus ou moins fort que l’année passée ?

Sur cette question, les avis divergent. Un ancien, toujours en service au Sporting, et qui préfère s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, se montre le plus sévère.  » Son prix a grimpé à 30 millions « , dit-il.  » Mais son talent a-t-il évolué dans les mêmes proportions ? J’en doute. Le garçon a évidemment droit à des circonstances atténuantes. D’une part, la confirmation est toujours plus difficile que l’affirmation. Il ne faut pas oublier non plus qu’il n’a que 17 ans et est toujours aux études. Potasser ses cours jusqu’à deux heures du matin, comme il l’a fait lors de ses examens de fin d’année, n’est pas idéal pour un sportif. L’année passée, en vue des mêmes épreuves, il s’était d’ailleurs complètement écroulé en ne marquant plus un seul but lors des play-offs. S’il a droit à une certaine indulgence, je me pose quand même des questions sur ses capacités techniques. Contrôler la balle et calibrer ses passes ne sont pas son point fort. Pourtant, le niveau n’est pas exceptionnel en Belgique. « 

A l’analyse, papa Lukaku est plus soft :  » Romelu a progressé. Il est davantage impliqué dans le jeu tout en restant décisif. L’année passée, il avait fait mouche à 14 reprises. Cette fois il en est à 10 avec deux matches restant à jouer avant les play-offs, c’est donc à peu près similaire. Et, ce qui ne gâte rien, il a plié le match dans des grands rendez-vous style Genk, Club Bruges, Gand voire Zulte Waregem. Et il s’est montré chez les Diables Rouges. Il suffit de se remémorer les deux buts qu’il a inscrits en Russie. « 

Même son de cloche auprès de Jacobs :  » Rom a fait un bond en avant. Tout au long de la saison passée, on avait dû le ménager, tant en matches qu’aux entraînements. Cette année, il s’est plié à toutes les exigences. Il aurait probablement été plus saignant encore s’il n’avait pas loupé la préparation pour cause de problèmes au genou. C’est un moment-clé de la saison qu’un joueur ne rattrape jamais totalement.  »

L’entraîneur des Mauves conseille aussi à son buteur de prolonger son expérience anderlechtoise pendant un an :  » Avec une cinquantaine de matches de plus à son compteur, il pourra alors avoir d’autres ambitions. Le tout sera de faire le meilleur choix à ce moment, en fonction de son évolution : soit une étape intermédiaire vers le sommet, soit le top s’il a l’opportunité d’y faire figure de priorité. « 

Ex-joueur emblématique de la maison, Marc Degryse opine du bonnet :  » Il sera l’heure de partir pour lui au moment où il survolera les débats ici. Mais ce n’est pas encore le cas. Sa réception et son passing sont perfectibles et s’il ne parvient pas à prendre le dessus sur un gars comme le Malinois Kenny Van Hoevelen, c’est qu’il ne maîtrise toujours pas son sujet. Un total de 10 buts en près de 30 matches en Belgique, ce n’est pas extra non plus. Sa mobilité et son positionnement doivent être travaillés aussi. Face à Genk, il est passé à côté ou en dessous de nombreux ballons. A l’Ajax, sur l’essai de Kanu en début de partie, il était mal placé aussi. L’idéal sur un contre de ce type, c’est de courir dans le dos d’un adversaire avant de piquer vers le premier ou le deuxième piquet. S’il précède son homme, il est trop prévisible.  »

Un autre ancien, Enzo Scifo, tient un autre langage :  » Il doit partir. Il progressera au contact de meilleurs joueurs. C’était le cas l’année passée, au moment où il a fait la connaissance du haut niveau. C’était moins manifeste cette année, en ce sens que le Sporting n’a plus témoigné de la même souveraineté. Dans ces conditions, le joueur ne s’est plus étoffé. Et qui n’avance pas recule, c’est bien connu. Or le garçon a trop de qualités pour plafonner. Je suis sûr qu’entouré de dix joueurs valables au lieu de deux ou trois comme ici, il va décoller. Pour ce faire, il faut qu’il joue, bien sûr. Si c’est pour cirer le banc à Chelsea ou Manchester United, il a intérêt à rester au Sporting.  »

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » Dans le contrôle du ballon, on relève toujours beaucoup de déchet chez lui. « 

Eddy Snelders

 » S’il ne parvient pas à prendre le dessus sur un gars comme Kenny Van Hoevelen, c’est qu’il ne maîtrise toujours pas son sujet. « 

Marc Degryse

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