LE CUL DANS LE BEURRE

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Il remonte la pente avec le Racing et n’arrive pas à pleurer des malheurs anderlechtois :  » Leurs résultats actuels prouvent que j’avais raison « .

Genk et Hugo Broos avaient raté leur début de championnat avant de tomber en Coupe de l’UEFA face aux Bulgares de Litex Lovech. D’où une première colère de Jos Vaessen, qui n’est pas le président le plus posé de D1. Quand il se fâche, les murs tremblent et l’entraîneur finit généralement par tomber.

Mais Broos est toujours en place et son équipe revient doucement dans le coup.

Vos impressions après cinq mois à Genk ?

Hugo Broos : Je suis tombé dans un club très professionnel et très familial, c’est surtout ça qui me frappe.

Ce sont deux clichés ! Expliquez-vous.

Je savais que le Racing avait de très bonnes installations mais je n’imaginais pas que c’était aussi luxueux. Des terrains d’entraînement aux vestiaires, des pelouses pour les jeunes aux bureaux, du centre de remise en forme aux vélos de route et aux VTT prévus pour les joueurs, tout est là. Aucun autre club belge ne dispose d’un outil pareil. Ici, j’ai le cul dans le beurre. Quand je demande quelque chose, je le reçois dans les minutes qui suivent si c’est réalisable.

Et comment se manifeste l’esprit familial ?

C’est un atout qui apparaît surtout quand ça va moins bien sur le terrain. Les gens restent sereins et soudés. Evidemment, il peut y avoir des réactions négatives. C’est normal quand vous vous faites éliminer de l’UEFA par une équipe comme Litex. Mais ça reste mesuré, ça ne dégénère pas à la première occasion.

Vous avez connu autre chose…

Je retrouve ici l’ambiance que j’ai vécue à Bruges et à Mouscron et ça n’a rien à voir avec ce qui se passe à Anderlecht. Là-bas, la chaleur humaine est tout à fait absente, tout est beaucoup plus distant. A un moment, Roger Vanden Stock avait suggéré que nous ayons plus de contacts, que nous allions manger ensemble une fois de temps en temps. Mais ça ne s’est jamais fait. Peut-être autant à cause de moi que de lui. C’est l’âme du Sporting qui veut ça, tout y est plus froid. Mais je n’avais même pas été étonné : c’était déjà comme ça quand j’y jouais, il y a plus de 30 ans. Anderlecht en Belgique, c’est comme le Real en Espagne ou l’Ajax aux Pays-Bas : l’ambiance dans une capitale n’est pas la même que dans une autre ville. Là-bas, on demande à l’entraîneur de faire son boulot le mieux possible, et puis basta. On ne lui laisse pas l’occasion de rechercher le contact.

C’est aussi une question de palmarès, sans doute ?

Sûrement, mais ça n’explique pas tout. Barcelone, Lyon et Marseille ont aussi un palmarès mais ces clubs savent quand même entretenir une certaine chaleur humaine.

Avez-vous souffert de ce manque de chaleur à Anderlecht ?

La dernière saison, oui. A la fin, on m’a carrément laissé nager dans ma misère. Ça arrangeait très bien certaines personnes.

Trois blessés graves en une demi-heure

L’élimination européenne, c’est le point le plus noir depuis le début de la saison ?

Certainement. Mon expérience la plus pénible depuis que je suis ici. Mais j’invite ceux qui nous ont démolis après ces matches à regarder les résultats de Litex dans les poules de l’UEFA : pas mal…

Il n’empêche que ce n’était qu’une modeste équipe bulgare…

Oui, mais quand je vois avec quelle équipe j’ai dû jouer ces matches-là, à cause de l’accumulation de blessures… Pour les jeunes qui ont reçu une chance à cause des circonstances, c’était une superbe expérience, une excellente école. Mais pour le club, c’était autre chose. Enfin bon, quand je vois les humiliations qu’Anderlecht a vécues en Ligue des Champions, je me dis qu’il valait sans doute mieux épargner ça à mes gamins. Même si je n’irai pas jusqu’à dire que je suis content de ne pas avoir participé aux poules, évidemment.

Ici, on semble au moins apprécier que vous ayez plus le sens du spectacle que René Vandereycken.

Oui, même si je suis loin d’avoir déjà proposé le spectacle que j’avais en tête. Mais comment l’équipe aurait-elle pu progresser plus vite alors qu’elle a changé chaque semaine à cause des blessures ? Un simple exemple : contre le Cercle, je perds trois joueurs en une demi-heure. Et pas n’importe lesquels : Koen Daerden, Hans Cornelis et Gonzague Vandooren. C’était à la fin septembre. Vandooren revient seulement, Daerden et Cornelis n’ont toujours pas rejoué. Et ce ne sont que trois exemples parmi tant d’autres. J’ai même fini par me demander si je n’étais pas responsable d’une telle succession de blessures. J’ai eu une discussion avec le staff médical et la conclusion est tombée : c’est la malchance qui nous a frappés. Sur dix blessures de plus ou moins longue durée, huit résultaient de contacts. Cette poisse n’avait donc rien à voir avec mes entraînements. Seulement deux blessures musculaires en quatre mois, ce n’est pas une mauvaise moyenne !

L’obligation d’une dose minimum de spectacle, c’était une exigence du président ?

Une obligation explicite. On ne peut pas oublier que Genk a pris 70 points la saison dernière avec Vandereycken et réussi un deuxième tour exceptionnel. Mais Jos Vaessen ne voyait pas les choses comme ça : autant de points avec un spectacle insuffisant, ça ne lui convenait pas.

Etes-vous satisfait de votre classement actuel ?

Il est insuffisant par rapport à ce que j’espérais, mais si on tient compte de tous nos problèmes, je me dis que ce classement est une belle réussite. Nous ne sommes plus très loin de la troisième place, ça veut dire que nous avons réussi à limiter la casse, à faire quelque chose de bien.

Mais les deux premiers s’envolent, et ça, c’est moins bien !

Oh, oh, oh… Attendez… Ils s’étaient envolés mais ils ont un peu perdu le rythme entre-temps. Le Standard et Anderlecht vont aussi s’affronter dans quelques jours et nous pourrions à nouveau en profiter. La situation actuelle est très différente du classement d’il y a un mois et demi. Parlez-en à Bruges. A ce moment-là, le Club était soi-disant définitivement largué. Aujourd’hui, il est à nouveau en course.

 » Engelaar n’a malheureusement pas une grande gueule  »

Quel est l’objectif, à Genk ?

L’Europe, clairement. Que ce soit via le championnat ou la Coupe, ça n’a aucune importance.

On vous a reproché de ne pas parvenir à motiver votre groupe.

C’est ce que le président a déclaré après notre élimination européenne. Il arrive qu’on dise n’importe quoi quand on est déçu. Lui comme moi. Je vois les choses autrement : si je n’avais pas réussi à motiver mes joueurs, nous serions aujourd’hui dans les profondeurs du classement.

On vous a vu irrité après la défaite au Brussels.

Normal. Ce soir-là, tout le monde trouvait étonnant que Genk se soit incliné contre cet adversaire. Et personne ne voulait tenir compte de l’état de mon noyau. J’avais dû aligner une équipe beaucoup moins forte que celle de mon infirmerie ! Dans le but, j’avais Logan Bailly. En défense, Hans Cornelis, Eric Matoukou, Gert Claessens et Gonzague Vandooren. Dans l’entrejeu, Thomas Chatelle, Koen Daerden, Mirsad Beslija et Sunday Oliseh. En attaque, Nenad Stojanovic… il ne me manquait qu’un attaquant confirmé pour former une belle équipe ! Et on aurait voulu que Genk survole ce match au Brussels ? Ah, j’allais oublier… Orlando Engelaar a aussi été sur la touche pendant deux mois.

Votre groupe ne manque-t-il pas de leaders ?

C’est évident. Ce noyau est très faible verbalement. Cela m’a beaucoup surpris lors des premiers entraînements et dans les matches de préparation. On n’entendait rien, il n’y avait aucun coaching, pas même des bases comme -Seul, -Dans ton dos, -Attention, etc. Le seul leader potentiel, c’est Daerden, mais il est blessé depuis la fin août.

Personne ne peut prendre le relais ?

Non. On est leader ou on ne l’est pas, ça ne s’apprend pas. Si tu forces un joueur à le devenir, ça deviendra comique et il oubliera de se concentrer sur son jeu. En plus, il ne sera pas accepté s’il n’est pas un leader naturel. Orlando Engelaar aurait pu être accepté dans ce rôle, il aurait pu avoir assez de rayonnement, mais je ne peux pas compter sur lui parce qu’il n’a pas ça dans ses gènes.

Pourquoi pensez-vous plus à lui qu’à un autre ?

Parce qu’il est fort respecté par tout le groupe pour ses qualités pures de footballeur. En plus, il est hollandais, donc il devrait avoir une grande gueule. (Il rit). Mais ce n’est sans doute pas un vrai Hollandais puisqu’il ne dit rien.

La campagne des transferts n’a pas été une réussite jusqu’à présent.

Il faudra à tout prix éviter de répéter, l’année prochaine, l’erreur de commencer la préparation avec un groupe pas encore au complet. Gonzague Vandooren, Sunday Oliseh et Bob Peeters sont arrivés en retard, ils ne pouvaient même pas jouer le premier match européen.

Peeters et Oliseh avaient très peu joué la saison dernière : pourquoi ces transferts à risques ?

Genk n’a pas les moyens de dépenser 3 ou 4 millions pour trois joueurs. Ici, quand on cherche un renfort, on a une dizaine de noms. Après l’analyse financière, il n’en reste que trois ou quatre. Dont deux ou trois ont une meilleure offre ailleurs. Alors, on prend celui qui reste !

Le transfert de Vandooren était étonnant aussi. A-t-il le niveau d’un club qui vise l’Europe ?

Je le connais, je l’avais lancé à Mouscron. Je sais qu’il a besoin d’un club où il fait bon vivre, comme Mouscron, Bruges ou Genk. Il ne se sentait pas bien dans l’ambiance bouillonnante du Standard et c’est pour ça qu’il n’a jamais été incontournable là-bas.

Le gros point positif, c’est l’éclosion de quelques jeunes ?

Oui. J’avais l’intention de les faire jouer de temps en temps au deuxième tour, les circonstances m’ont obligé à les lancer plus tôt et ils se débrouillent bien. Quand je vois ce que font des garçons comme Steven Defour, Jordan Remacle ou Kenneth Van Goethem, je me dis que toutes ces blessures avaient aussi du bon.

 » A Anderlecht, j’avais fini par me laisser influencer par tout le monde  »

Comment aviez-vous réagi à l’ultimatum de Jos Vaessen ? Il avait laissé entendre que si vous n’enchaîniez pas trois victoires, vous seriez viré.

(Il rigole). Il avait raison, nous étions bien d’accord là-dessus. Il voulait 9 points contre La Louvière, le Cercle et Zulte Waregem. Nous les avons pris.

Vous aurait-il vraiment mis dehors si vous n’aviez pris que 6 points ?

Je n’en sais rien. Ce que je sais par contre, c’est que je ne suis pas venu ici pour terminer septième ou huitième.

Cela ne vous a pas rappelé l’ultimatum de Roger Vanden Stock il y a juste un an ?

Oui, évidemment. Il avait exigé une belle moisson de points avant le Nouvel An et, là aussi, nous les avions pris. Je n’ai pas de problèmes avec des menaces pareilles.

Mais ça doit être infernal de se sentir ainsi sur un siège éjectable ?

Je n’ai jamais vécu autrement à Anderlecht ! Mais ça ne me dérangeait pas. A Bruges, je m’étais plaint de ne pas avoir assez de pression.

Mais un président ne devrait-il pas lancer un ultimatum pareil en privé seulement ?

Je m’en fous si ça vient dans les journaux à partir du moment où j’en ai été averti avant tout le monde.

Si vous aviez été à la place de Vaessen, auriez-vous aussi viré Vandereycken après la qualification européenne ?

Je ne peux pas répondre parce que je ne connais pas tous les éléments. Mais je suis sûr d’une chose : il y a eu un problème que le grand public ne connaît pas. Parce qu’on ne vire pas un entraîneur qui qualifie Genk pour l’Europe avec 70 points.

Qu’avez-vous appris de votre limogeage à Anderlecht ? On dit que vous êtes devenu un autre homme.

Je ne suis pas un autre homme mais je réagis désormais différemment à certaines situations. Je suis redevenu très calme comme je l’étais avant d’aller au Sporting. Là-bas, je me suis parfois laissé entraîner par les circonstances, par mes émotions. Cela ne me ressemblait plus. J’avais fini par perdre le sens de certaines réalités.

C’est-à-dire ?

Il est arrivé un moment où je me laissais influencer par tout le monde, tellement ces courants étaient forts. Je prends l’exemple de l’affaire Pär Zetterberg/Walter Baseggio. Quand Baseggio jouait, on réclamait Zetterberg. Et vice-versa. J’ai commencé à hésiter, à me demander si j’étais dans le bon. Mais c’est très mauvais pour un entraîneur. Cette polémique m’a poursuivi pendant deux ans. Aujourd’hui, comme avant d’aller à Anderlecht : je ne suis que mes propres idées. J’estime finalement que le Sporting a été une bonne école pour moi. Au début de cette saison, quand les résultats étaient négatifs, je n’ai rien changé à ma façon de travailler parce que j’étais convaincu que j’étais dans le bon. Alors qu’il y a un an, j’aurais sûrement essayé autre chose. Je reste par exemple fidèle à mon 4-4-2 de début de championnat. M’accrocher à un système, je l’avais toujours fait que ce soit au RWDM, à Bruges ou à Mouscron. Mais à Anderlecht, j’étais tellement bousculé par tout le monde que j’ai fini par tout essayer.

 » Le 7 février 2005 est gravé dans ma mémoire jusqu’à ma mort  »

Votre comportement face à la presse semble avoir changé ?

Oui. A Anderlecht, j’étais disponible tous les jours pour les médias car je pensais que ça faisait partie de mon boulot. Je discutais, je justifiais tous mes choix. C’était une grosse erreur car j’ai peut-être aidé la presse à allumer et entretenir certaines polémiques.

Aujourd’hui, vous sélectionnez les médias ?

Oui, les médias et les questions. Quand nous sommes allés perdre au Brussels, par exemple, tout le monde m’a demandé pourquoi j’avais mis Kevin Vandenbergh sur le banc. Je me suis contenté de répondre : -Il sait pourquoi et moi aussi. A Anderlecht, je me serais expliqué dans le détail.

C’était finalement un soulagement d’être viré du Sporting ?

J’ai été affreusement déçu sur le coup. Avant, quand on me demandait mon pire souvenir d’entraîneur, je devais réfléchir. Aujourd’hui, je n’hésite plus : c’est le 7 février 2005. Une date gravée dans ma mémoire jusqu’à ma mort. Mais après quelques semaines, je me suis effectivement dit : -Godverdomme, d’un côté, je me sens quand même soulagé.

Estimez-vous que les résultats actuels d’Anderlecht vous donnent raison ?

Les résultats, mais aussi tout ce qui se passe là-bas. On peut dire ce qu’on veut, mais le 0 sur 15 en Ligue des Champions cette année a les mêmes explications que le 0 sur 18 de la saison dernière. L’entraîneur et des joueurs ont changé mais c’est toujours le vide. Parce que le noyau n’est pas assez fort pour cette Coupe d’Europe, tout simplement. On n’est pas content du jeu du Sporting, on n’en était pas content non plus quand j’y étais. Si le Standard réussissait aujour-d’hui le parcours que Bruges avait fait l’année passée au premier tour, le Sporting serait à 7 points au moins. Mais je constate que tout reste assez calme là-bas. Alors que pendant mes derniers mois, c’était la révolution. Et tout était de ma faute. Voyez la saga des gardiens. On m’a démoli quand j’hésitais entre Daniel Zitka et Tristan Peersman mais on a foutu la paix à Frankie Vercauteren quand il ne savait pas s’il devait faire jouer Zitka ou Silvio Proto. Les hommes ont changé mais les problèmes restent les mêmes : ça devrait faire réfléchir la direction.

Il n’y a pas assez de qualité dans le noyau, c’est le seul problème ?

Le plus gros problème, c’est sa mentalité. Point final. Je suis tout à fait d’accord avec Frankie Vercauteren et Herman Van Holsbeeck quand ils disent qu’il faut refaire le groupe, amener des joueurs qui ont une mentalité saine.

PIERRE DANVOYE

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