Le couteau sous la gorge

Enfoncé en D3, le Royal Olympic Club Charleroi Marchienne qui a survécu à deux faillites, fait face à un troisième dépôt de bilan. Va-t-il survivre ?

Tenu sur les fonts baptismaux le 20 septembre 1911, l’Olympic est en passe de fêter ses 100 ans dans la douleur. Depuis le début de la saison, les nuages se sont accumulés dans le ciel de La Neuville, au point de remettre sérieusement son avenir en question.

– Le lundi 5 septembre, l’avocat Pierre Cornil demandait au Tribunal de commerce de Charleroi la mise en faillite du club, dont la dette aux Contributions et à l’ONSS s’élève à près de 400.000 euros. Le club, par l’entremise de Maître Jean-Pierre Deprez, a finalement obtenu un sursis jusqu’au 10 octobre pour réunir les fonds nécessaires à sa survie.

-Le jeudi 8 septembre était une autre date-butoir, fixée par l’Union belge cette fois. Pour midi, la direction des Dogues devait verser 4.027 euros de reliquat de salaire à son joueur Thomas Nelis. Il est l’un des nombreux Olympiens à avoir intenté un procès au matricule 246 pour non-respect de paiement. Après lui, ce sont les cas de Samuel Dog et de Stéphane Stassin qui devraient être examinés par le Comité exécutif de l’UB. Le pompon revenait à Jonathan Bourdon, qui devait encore récupérer 16.380 euros de son ex-employeur. Comme la direction olympienne n’avait pu tenir son engagement, le gardien est passé entre-temps dans les rangs des promotionnaires du FC Charleroi.

Ce n’est pas la première fois que les Carolos se retrouvent dans de sales draps. Co-auteur de l’ouvrage Quatre fois vingt ans, consacré au 80e anniversaire du club, Hector Mahau, ex-journaliste au Rappel et éminence grise du foot dans le Pays Noir, observe que de tous temps, les dirigeants du ROCCM ont eu la folie des grandeurs :  » Quand ils avaient 2.000 euros en caisse, ils en dépensaient 2.500. Au début des années 20, le club créa même une section d’art dramatique, qui jouait à la Maison des Corporations à Charleroi. Les acteurs n’étaient autres que les footballeurs de la Première. Pour les responsables, c’était une manière de resserrer les liens d’amitié entre eux mais, surtout, de faire entrer des sous dans la trésorerie. A l’époque, le trou se limitait à quelques centaines d’euros. Mais quand le docteur Gaston Gianolla prit le pouvoir une décennie plus tard le club versa dans la mégalomanie. »

 » On parle souvent des 3.000 euros déboursés en 1942 par Anderlecht pour obtenir le concours de l’Anversois Jef Mermans mais c’est une somme nettement plus élevée que l’Olympic avait déposée sur la table quelques années plus tôt pour attirer à La Neuville la fine fleur de Berchem et de l’Antwerp « , souligne Bruno Dubois, fondateur de FOOT 100 et grand spécialiste aussi du foot carolo.  » Le ton était donné et, depuis ce moment-là, les Dogues ont toujours voulu attirer des noms ronflants. La preuve par les transferts, en 1961, de trois authentiques Diables Rouges, Popeye Piters, Rik Coppens et Bob Maertens. Mais la chimie ne s’est jamais opérée et les montants dépensés finalement engloutis en pure perte. »

Première faillite le 9 avril 1979

La décennie suivante n’est guère plus reluisante. Appelé à la barre du club, Jacques Lamote a les yeux plus grands que le ventre. Il n’hésite pas, moyennant de lourds contrats, à faire converger des valeurs sûres de D1 à Montignies-sur-Sambre, tels les Anderlechtois Jacques Van Welle et Moyses Dos Santos ou encore les germanophones Helmut Graf et Ulrich Kallius. Mis à part une saison en D1 (1974-75), c’est le bide. Les années de purgatoire se succèdent jusqu’à la date fatidique du 9 avril 1979. Ce jour-là, l’Olympic est déclaré en faillite avec un déficit de 400.000 euros. Grâce à un concordat judiciaire, le club peut tout de même poursuivre ses activités, et un nouveau comité directeur est mis sur pied le 23 mai avec à sa tête une chairwoman, Andrée-Hélène Damsin.

Au terme de son premier exercice, le club parvient à raboter son passif de 15.000 euros. Mais la chute en D3, en 1981, puis en promotion trois ans plus tard, entraîne une désaffection du public. La dette ne fait que s’accroître pour atteindre alors un total de 600.000 euros. Le 21 avril 1984, un nouvel aveu de faillite est prononcé. Mais, à l’image de ce qui s’était produit cinq ans plus tôt, les instances judiciaires accordent une dernière chance au club. Le 16 mai, Jean-Claude Olio, membre du Conseil d’Administration remet 85.000 euros aux curateurs, paie les 150.000 euros de dettes fédérales et devient le nouveau patron des Olympiens. Et il le reste jusqu’au 18 janvier 1998.

 » Je suis rentré au club le 18 janvier 1983 « , observe-t-il.  » Avant moi, mon grand-père, José, et mon père Oscar, avaient été des dignes serviteurs du club. Je m’étais donné 15 ans pour remettre l’Olympic en selle. Sportivement, je n’ai malheureusement pas pu toucher au but. Si le club est monté de promotion en D2 durant cette période, l’élite est restée hors d’atteinte. J’ai finalement cédé le pouvoir au moment où l’Olympic venait de culbuter à nouveau en D3. Ma consolation, c’est que les finances étaient saines. Mes successeurs n’auront jamais pu en dire autant. »

Après Olio, d’autres hommes forts se sont succédé : Albin Radelet, GilbertFranquet, Jean-Claude Bultot. Mais malgré les moyens mis en £uvre, l’Olympic n’a jamais su retrouver son lustre. Comme lors des années d’après-guerre, lorsqu’il réussit la meilleure performance de son histoire en terminant deuxième du championnat derrière Anderlecht. Au contraire, après deux piges en D2 entre 2007 et ’09, il est à nouveau en D3 actuellement. Et en bien fâcheuse posture, puisqu’il ferme la marche avec 0 sur 12.

Tout s’effondre, même le toit des business-seats

 » En l’espace d’une demi-douzaine d’années, deux investisseurs, Aziz Alibhaïd’abord, puis Peter Harrison ont pris le pouvoir à La Neuville « , commente Gaël Benazzi, qui suit les Olympiens pour La Nouvelle Gazette.  » L’un et l’autre ont tenu un langage ambitieux dès leur arrivée, le premier en 2005 et le deuxième en 2010. Ils promettaient la D1 dans un laps de temps de 5 ans. Ils se sont fourvoyés. Le Libanais, qui avait monté en Côte d’Ivoire une Académie de Football comparable à celle de Jean-Marc Guillou, entendait suivre le même chemin que son maître à penser et réaliser à La Neuville ce que le technicien français avait fait à Beveren jadis. Une kyrielle de garçons formés dans son centre ont débarqué à l’Olympic. Mais ils n’avaient pas les mêmes aptitudes que ceux qui ont transité au Freethiel, comme Yaya Touré, Emmanuel Eboué ou Arthur Boka. Le projet est donc resté lettre morte « .

 » Ancien médian des Zèbres, passé gestionnaire du groupe Diamond Sport International, Peter Harrison n’est pas parvenu non plus à respecter ses engagements. Au départ, l’argent était là. Mais dès le mois d’octobre, les salaires n’ont plus suivi. Chaque semaine, c’était la même rengaine : pour les sous, ce n’était plus qu’une question d’heures. Mais les joueurs et la direction n’ont jamais rien vu venir. Pour prouver qu’il avait les moyens, l’ancien Sportingman s’était mis en tête d’offrir un stylo à bille en or, à tout le monde, en guise d’étrennes. Mais comme s£ur Anne, personne n’a rien vu venir. Il était question aussi d’un match de gala face aux Rangers Glasgow dans le cadre des festivités du centenaire. Là aussi, on est loin du compte.  »

 » Peter Harrison n’est sûrement pas un mauvais bougre « , renchérit Jean-Pierre Deprez, avocat du club olympien.  » Il comptait notamment sur une appréciable commission liée au transfert d’ Andy Carroll de Newcastle à Liverpool pour alimenter les caisses. L’international anglais, dont il était l’agent, a toutefois changé de manager en passant dans les rangs des Reds. Du coup, une belle somme d’argent lui est passée sous le nez. Il n’a pas eu de chance non plus dans d’autres domaines. Il y a deux ans, l’éclairage du stade avait été porté de 220 à 600 lux pour permettre des nocturnes. L’entreprise avait eu du succès jusqu’à ce que la Ville décide de démonter les quatre pylônes parce qu’ils étaient rongés par la rouille. Comme si ce fâcheux contretemps ne suffisait pas, le toit des business-seats s’est également écroulé il y a quelques mois. A quelques minutes près, Freddy Delanghe, vieux serviteur du club et le Premier échevin, Paul Ficheroulle, auraient pu trouver la mort. L’absence de football le samedi, ainsi que les recettes en business qui y sont liées, ont été une tuile supplémentaire au niveau financier. Le club a intenté un procès à la Ville, à hauteur de 600.000 euros pour les pertes subies. Peter Harrison aimerait que cet argent serve à sauver le club. Mais la Ville a évidemment le droit de se pourvoir en appel. Du coup, l’affaire peut encore traîner durant un an ou deux. Or, il y a urgence « .

Des Ghanéens sans chaussures

Lassé d’attendre ses sous, le T2, Peter Mommaert avait été le premier à saisir la juridiction civile pour obtenir ce que le club lui devait en cours de saison passée. Les joueurs, de leur côté, s’en étaient tenus à un avertissement sous la forme d’une grève à l’occasion du déplacement à Virton. Depuis lors, la plupart ont demandé réparation aux tribunaux également. Idem pour le coach, Alex Czerniatynski, dont la dernière rentrée d’argent de la part du club remonte à l’automne passé.

 » C’est pathétique « , dit-il.  » Je suis obligé d’aligner des Juniors car les autres refusent de jouer tant qu’ils n’ont pas été payés. A ce train-là, il ne faut pas attendre de miracle. D’ailleurs, les chiffres ne mentent pas : 0 sur 12, 4 buts marqués et 15 encaissés. Si rien ne change, on file tout droit vers la Promotion. Je pensais avoir tout vu et tout vécu dans ma carrière. Eh bien non. J’ai dû consoler il y a quelques mois un joueur étranger qui n’avait plus un sou vaillant en poche. Il m’a fallu aider aussi deux Ghanéens, Stanley Afedzie et Bobby Prince parce qu’ils n’avaient pas de bottines à mettre à leurs pieds. Je leur ai refilé des godasses de l’époque où j’étais encore joueur. Elles n’avaient pas la bonne pointure pour eux, mais c’était ça ou rien.

 » Ces récits poignants son malheureusement légion « , poursuit Gaël Benazzi.  » Quand Dante Brogno était aux commandes comme T1, en 2009-10, il avait demandé aux joueurs qu’ils se mobilisent en faveur de Christophe Nahimana, actif aujourd’hui au FC Brussels, mais qui ne savait absolument rien se payer, faute d’argent. Encore heureux que le président, Daniel Vegis, patron de la pizzeria L’Hippopotame, à Charleroi, permettait aux plus démunis de venir manger gratos chez lui. Le club a toujours pu compter aussi sur bon nombre de bénévoles, soucieux d’aider. Aux séances d’entraînement, ou pour les besoins des déplacements en car, ils se sont toujours cotisés afin d’acheter des sandwiches pour les joueurs. Il y a toujours eu une grande solidarité ici. Mais elle a ses limites. »

 » La gabegie a conduit l’Olympic dans la tourmente « , reprend Jean-Pierre Deprez.  » Au moment de l’arrivée de Peter Harrison, les étrangers étaient tous logés à une belle enseigne : le Best Western Leonardo, près du stade de La Neuville. Au total, cette fantaisie aura coûté la bagatelle de 45.000 euros. On aurait pu les caser à moindre prix dans une maison. Même si cette somme ne représente pas grand-chose par rapport au trou d’1,3 million d’euros actuel, dont 600.000 pour les joueurs et le staff technique.

Ces dettes fédérales restent d’application en cas de reprise. Dans ces conditions, l’intervention d’une bonne âme n’est pas gagnée à l’avance. Pourtant, les choses bougent. L’agent franco-camerounais Yeni Terima, qui travaille en collaboration avec le groupe de Peter Harrison, a promis le versement de 100.000 euros cette semaine, et 200.000 autres avant la fin du mois. Un sponsor, Energy Drink, est disposé pour sa part à injecter 1 million d’euros sur 3 ans. Qu’on le veuille ou non, l’Olympic reste un nom qui ne laissera jamais totalement indifférent. »

 » Je me demande si le salut ne viendra pas du FC Charleroi, néo-promotionnaire, qui partage déjà les installations du ROCCM à La Neuville « , conclut Gaël Benazzi.  » Son président, Roberto Leone, est un véritable Dogue dans l’âme. Même s’il a viré de bord, il n’acceptera jamais que l’Olympic croupisse. »

PAR BRUNO GOVERS

Le T1, Alex Czerniatynski est obligé d’aligner des jeunes car les pros refusent de jouer.

Impayés depuis des mois, les étrangers du club peuvent manger chez le président Daniel Vegis.

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