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LE COUP D’ÉTAT DU RED BULL LEIPZIG

L’Allemagne de l’Est fomente un coup d’Etat. Avec l’appui d’un fabricant de boissons énergétiques, le RB Leipzig veut rejoindre l’élite de Bundesliga malgré un manque de tradition et un excès de millions.

C’est arrivé durant sa propre fête. A la mi-mai, le RB Leipzig venait d’être promu en Bundesliga. Des milliers de supporters chantaient et buvaient sur la grand-place de Leipzig. L’ambiance était bonne. Jusqu’à ce que la chanteuse Anna Loos monte sur scène revêtue d’un T-shirt de l’Union Berlin. Le batteur portait une tenue du Dynamo Dresde, un autre musicien portait le maillot de Hansa Rostock et un guitariste avait l’équipement du FC Magdebourg. Le groupe berlinois Silly ne rendait pas hommage au RB Leipzig ni à son brillant avenir mais au passé du football est-allemand. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il soit hué.

Où qu’ils aillent, les footballeurs du RB Leipzig sont honnis. Récemment, pendant le match de Coupe au Dynamo Dresde, on a jeté une tête de taureau sur le terrain. Le RB Leipzig est rejeté. Le venin se trouve sans ces deux lettres : RB. Dans le nom officiel du club, elles sont les initiales de RasenBallsport mais tout le monde sait qu’en fait, elles représentent Red Bull, le géant autrichien des boissons énergétiques, qui s’intéresse depuis quelques années au football. Le RB Leipzig souffre surtout d’un déficit d’origines. Il n’a pas été fondé il y a 120 ans par quelques messieurs fumant le cigare dans la salle de réunion d’un café. Le RB Leipzig est né en 2009 à l’issue d’une réunion clinique de marketing d’une multinationale. Et ça choque.

Le RB Leipzig est considéré comme un parfait instrument de marketing, destiné à populariser les boissons et un style de vie similaire au glamour de Peter Stuyvesant. Le club de l’ancienne RDA personnifie désormais le succès acheté. En 2009, Red Bull a repris la licence du SSV Markranstädt, qui évoluait alors en cinquième division. Des millions d’investissements et quatre promotions plus tard, le RB Leipzig est devenu un club de Bundesliga. Une formation sans tradition mais très opulente. Un club de plastique, selon les préjugés. Une association sans vie de club. Sans âme, sans coeur, sans culture des supporters, uniquement un groupe richissime.

Ce n’est pas pour rien que le Borussia Dortmund, qui est, lui un club de tradition, le club populaire par excellence, vient de refuser de participer à l’élaboration d’une écharpe commune pour fêter le premier match, historique, du RB Leipzig en Bundesliga. Ce n’est pas non plus un hasard si les Ultras du Borussia ont boycotté le déplacement à Leipzig. En même temps, cela suscite une discussion sur la morale à double facette car finalement, le Borussia Dortmund est le seul club allemand à être entré en Bourse, en 2000, et à avoir ouvert ses portes à des capitaux étrangers. Ensuite, un autre club dit de tradition, le Hambourg SV, n’a été maintenu en vie que grâce aux millions de l’investisseur Klaus-Michael Kühne et Schalke 04, cet autre institut du football, paie ses frais – conséquents – grâce aux roubles de Gazprom.

LA FORMULE 1

Hormis le Bayern Munich, aucun club allemand ne divise autant les amateurs de football que les nouveaux riches de Saxe. En deuxième Bundesliga, la saison passée, l’audimat de Sky a fait un bond à chaque retransmission en direct d’un match de Rasenball. Les téléspectateurs étaient surtout animés par un sentiment d’antipathie : une victoire sur le RB Leipzig était perçue comme un triomphe sur la commercialisation du football, qui prend des dimensions excessives aux yeux des supporters. En 2005, quand le patron de Red Bull, Dietrich Mateschitz, a fait son entrée en Formule 1, en rachetant l’écurie de Jaguar, les réactions ont été différentes. Pendant quelques années, les bolides Red Bull ont roulé dans l’anonymat avant d’entamer leur montée en puissance, lentement mais sûrement. De 2010 à 2013, Red Bull a été champion du monde à quatre reprises, réduisant Ferrari et McLaren, les dinosaures de la F1, au rang d’observateurs impuissants.

Mateschitz est animé de la même ambition en Bundesliga. Il veut rivaliser avec l’establishment de Munich, Dortmund et Hambourg. Le milliardaire autrichien est extrêmement orgueilleux. En être, participer ne lui suffit pas. Avec lui, c’est tout ou rien. Sa fortune est estimée à douze milliards d’euros. Il est assez riche pour acheter la gloire des clubs les plus historiques, à l’image des cheikhs en Angleterre et à Paris. Mais ce n’est pas son genre.  » Notre patron veut escalader lui-même la montagne « , répète-t-on au siège central de Red Bull à Fuschl am See, un village idyllique d’Autriche.

Quand les choses ne vont pas comme il le veut, Mateschitz peut se faire impitoyable. Il suffit de se rappeler à quelle vitesse il a remplacé Daniil Kvyat par MaxVerstappen, après quelques Grands Prix. En même temps, à Leipzig, Mateschitz insiste sur le développement durable. Ce n’est pas pour rien que le club a fait construire une académie de jeunes ultramoderne de 35 millions, qui doit devenir une des meilleures d’Allemagne, à terme. Ce n’est pas non plus un hasard si les U17 et les U19 ont été champions de Bundesliga Nord-Ost en 2015. Évidemment, la vie est facile quand on peut acheter pour quinze millions le médian axial Naby Keïta et dépenser la même somme pour le transfert d’Oliver Burke, un attaquant convoité de toutes parts. Mais ces achats ont été effectués à partir d’une philosophie bien appuyée : aucun des dix footballeurs engagés par le RB Leipzig cet été n’avait plus de 24 ans. Avec une moyenne de 23,5 ans, le club possède la plus jeune sélection de Bundesliga.

UN FOOTBALL À TOUTE VITESSE

Leipzig a un leitmotiv : il préfère de jeunes footballeurs ouverts au changement que des vedettes établies, enfermées dans des schémas d’antan. Ainsi, Lukas Klostermann vient-il de faire fureur aux Jeux olympiques de Rio alors qu’il était un arrière droit anonyme du VfL Bochum durant l’été 2014, quand le RB Leipzig l’a transféré. Klostermann personnifie les caractéristiques que recherche le RB Leipzig dans les joueurs : la rage de vaincre et la volonté de progresser rapidement. En outre, le RB Leipzig, selon ses propres dires, veut développer un football très rapide, avec un pressing précoce et une transition très vive. Ce style de jeu épuisant requiert de jeunes footballeurs qui récupèrent très vite.

Depuis 2012, le directeur sportif RalfRangnick veille au respect de cette philosophie. Durant sa carrière footballistique, l’homme, maintenant âgé de 58 ans, n’a pas dépassé le niveau des amateurs. Il a gagné le surnom de professeur de football comme entraîneur de Hanovre 96, du VfB Stuttgart, de Schalke 04 et de Hoffenheim, entre autres. A Hoffenheim, un village de 3.200 habitants, Rangnick a déjà bâti un club à partir de rien, si ce n’est l’argent. De 2006 à 2008, avec les millions du milliardaire du software Dietmar Hopp, il a promu le club de D3 en Bundesliga. Comme maintenant, on a reproché à Rangnick de diriger un club qui avait subi une manipulation génétique, un club dépourvu de réelle histoire. A Hoffenheim comme à Leipzig, il se contente de hausser les épaules.  » La tradition, c’est le fétu de paille auxquels s’accrochent les gens dépourvus de vision d’avenir.  »

Rangnick ne se contente pas de veiller aux structures et aux progrès du club. Il a l’art de détecter les talents. Il a convaincu Oliver Burke de choisir l’Allemagne alors que des institutions anglaises telles que Liverpool, Sunderland et Tottenham Hotspur le courtisaient. En 2013, il a enrôlé Joshua Kimmich, auquel le VfB Stuttgart venait de refuser une place en équipe B sous prétexte qu’il possédait déjà assez de joueurs comme lui. Désormais, Kimmich est titulaire au Bayern et en équipe nationale. Le voyage au Brésil qu’a effectué Ralf Rangnick en 1994, alors qu’il entraînait les jeunes du VfB Stuttgart, est éloquent. Durant un match de Cruzeiro, Rangnick a repéré un avant de 17 ans, auteur de deux buts et deux assists. Le talent coûtait six millions de dollars. Tout excité, Rangnick a téléphoné à Dieter Hoeness, alors manager du club souabe.  » Braque une banque s’il le faut mais nous devons enrôler ce jeune.  » Hoeness n’a pas bronché. Quelques semaines plus tard, le PSV achetait Ronaldo Luiz Nazario de Lima.

UNE TACHE BLANCHE

Rangnick doit maintenant rendre à l’Est un football de haut niveau. Le dernier club de l’ancienne RDA à avoir évolué parmi l’élite réunifiée a été Energie Cottbus, en 2009, l’année de la fondation du RB Leipzig. En rachetant la licence d’un club de D5 de la périphérie de Leipzig, Mateschitz, a eu une idée raffinée sur le plan politique. Vingt ans après la réunification, l’Est restait une terre arriérée sur le pan footballistique alors même que Leipzig et ses alentours ont toujours porté une passion sans bornes au ballon rond. C’est à Leipzig que le DFB, la fédération allemande de football, a été fondée et c’est aussi cette ville qui a fourni le premier champion d’Allemagne, en 1903. Quand la RDA jouait des matches internationaux au Zentralstadion, devenu la Red Bull Arena, elle pouvait toujours compter sur plus de 100.000 spectateurs.

De plus, on prédit un avenir doré à la ville. Il y a quelques années, une étude a révélé que Leipzig était la ville à la plus forte croissance d’Allemagne. Munich est trop chère, la scène hambourgeoise devient vieillotte et Berlin, la capitale, a perdu de son attirance. Leipzig est hype. Il y a cinq ans, 25 % des ménages vivaient autour du seuil de pauvreté mais en 2014, la ville universitaire a accueilli 35.000 habitants supplémentaires. Parmi eux, des étudiants, des esprits créatifs et beaucoup de jeunes familles, attirées par des loyers bas et les nombreux postes offerts par des employeurs aussi renommés que Porsche, DHL et BMW, qui ont réalisé de gros investissements à Leipzig ces dernières années.

Le club et la ville, tous deux en pleine croissance, se sont trouvés. Beaucoup de clubs traditionnels ont d’abord vécu d’amour et d’eau fraîche. Le RB Leipzig, lui, a d’abord eu de l’argent mais a dû conquérir les coeurs. Apparemment, ça va assez vite. En deuxième Bundesliga, la saison dernière, Leipzig accueillait déjà une moyenne de 30.000 spectateurs, nettement plus que des clubs connus comme Munich 1860 et Kaiserslautern. Pour ses débuts parmi l’élite, contre le Borussia Dortmund, la Red Bull Arena était comble : 42.959 spectateurs enthousiastes.

Le succès est sexy. Durant les semaines suivant l’entrée en Bundesliga du RB, le bourgmestre de Leipzig, Heiko Rosenthal, disait déjà :  » Le RB Leipzig est un représentant sportif et économique de cette ville et donc un pilier important du nouveau Leipzig.  » C’est d’autant plus surprenant que Rosenthal est un membre proéminent des Linke, un parti politique d’extrême-gauche, adversaire farouche du capitalisme. Sur ses terres, le club qui divise le reste de l’Allemagne a du succès. Le RB Leipzig apaise le besoin de reconnaissance et de signification de la région, il lui confère une identité.

UN RIVAL DURABLE

C’est ainsi que l’Allemagne de l’Est a fomenté un coup d’Etat en football. Leipzig veut prendre le pouvoir. La route est longue et ardue, Rangnick en est conscient.  » Notre club se heurte à des résistances. Chaque semaine, nous devons fournir 30 % d’efforts en plus que notre adversaire.  » Le RB Leipzig aime se voir en trouble-fête de l’ordre établi. Cette saison, le club veut assurer rapidement son maintien. L’année prochaine, il visera une place dans le ventre mou et durant sa troisième saison parmi l’élite, il jouera pour une place en Coupe d’Europe. D’ici là, il disposera d’un stade ultra moderne de 70.000 places, soit seulement 5.000 de moins que l’Allianz Arena du Bayern.

Et ensuite ? Tout est possible, rien n’est exclu. Pas même les titres. Les sportifs de Red Bull ne sont pas là pour signer la liste des présences mais pour gagner. Les possibilités, les infrastructures et la volonté de réussir sont réunies. Ces composantes suscitent une question. Le RB Leipzig parviendra-t-il à devenir un concurrent régulier de clubs comme le Bayern et le Borussia Dortmund ? L’Allemagne se plaint depuis longtemps de la monotonie d’un championnat surclassé par le Bayern, voire par son rival de la Ruhr. Depuis quatre ans, le club bavarois domine le reste de la tête et des épaules et il ne cesse de se renforcer. Un club normal, avec une gestion normale, est incapable de refaire pareil retard. Mais peut-être un club anormal au budget anormal peut-il se rapprocher de la super-puissance bavaroise. Un club comme le RB Leipzig.

PAR PETER WEKKING – PHOTOS BELGAIMAGE

Le club a le plus jeune noyau de Bundesliga, avec une moyenne de 23,5 ans.

 » La tradition, c’est le fétu de paille des gens dépourvus de vision d’avenir  » – RALF RANGNICK

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