LE CORRECTEUR

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le commandant de l’entrejeu brugeois fait le point dans une phase cruciale de la saison.

Quelques heures après la défaite à domicile contre l’AS Rome (1-2), les joueurs du Club Bruges se pointent au stade pour le décrassage. Les mines ne sont pas spécialement tristes. Comme si les champions trouvaient normal d’avoir succombé face à une grosse cylindrée du Calcio et préparaient déjà leurs adieux à la C2. C’est vrai que la logique a été respectée. Dans les chiffres, en tout cas, car dans la manière, le Club n’a pas déçu.

Sfen Fermant, redevenu Sven Vermant (33 ans en avril) après quatre saisons en Bundesliga, a le moral et le sourire. Il sait que la saison des Brugeois ne s’arrêtera pas après le match retour de ce jeudi. Dès dimanche, c’est le Standard qui se déplacera au Breydelstadion : un match pour le titre !

Vous semblez relativiser beaucoup plus facilement les défaites que lors de votre première période dans ce club ?

Sven Vermant : Tout à fait. Aujourd’hui, dès qu’un match est terminé, je tourne la page en me disant qu’on ne pourra de toute façon plus rien changer à ce qui s’est passé. On doit simplement en tirer les leçons et redémarrer si ça s’est mal terminé. J’ai évolué, comme homme et comme footballeur. Je vois les choses avec plus de distance, je suis moins émotionnel. Plus je vieillis et moins je suis sensible aux émotions fortes.

Que retenez-vous du match face à Rome ?

Beaucoup de choses positives, notamment la façon dont nous avons soigné notre jeu technique. Mais le résultat est très négatif. Il nous a surtout manqué le sens du but qui caractérise les Italiens. Ils ont eu une demi-occasion et ont marqué deux fois. C’est typique des bons clubs européens. Et ce manque de concrétisation, c’est un des gros problèmes du foot belge. C’est dans les 16 mètres que tout se passe et nous n’y sommes pas assez bons.

Vous avez été un acteur d’un des faits importants du match, quand De Rossi a été exclu pour vous avoir donné un coup de coude.

Il n’y a pas grand-chose à dire sur cette phase. La rouge directe était méritée. Le joueur en était le premier conscient et il est d’ailleurs venu voir comment j’allais après le match.

Vous encaissez vos deux buts sur deux grosses erreurs.

C’est ça qui me fait le plus râler, qui me frustre. Surtout qu’à ces moments-là, nous avions bien le match en mains. C’est encore plus difficile à avaler.

Vous aviez le match en mains, ou les Italiens vous ont simplement laissé venir pour mieux vous tuer ?

Ils nous ont sciemment laissé venir, c’est clair. C’est typique des équipes de ce niveau. Les Italiens s’en foutent de développer un beau jeu ou un football horrible. Ce qu’ils visent, c’est le réalisme, point barre.

Gardez-vous un petit espoir de qualification ?

Les miracles existent, mais bon…

Ligue des Champions et dommages collatéraux

Votre analyse de la campagne européenne de Bruges ?

Le bilan est tout à fait positif. Quand nous avons tiré Valerengen au tour préliminaire, le but était de se qualifier pour les poules. Nous l’avons fait. Après cela, nous nous sommes retrouvés dans un groupe avec le Bayern et la Juventus, et là, l’objectif était clairement de terminer à la troisième place, devant Vienne. Nous l’avons de nouveau fait. Ensuite, nous étions totalement dépendants du tirage en UEFA. Quand nous avons pris la Roma, nous étions contents parce que cette équipe était dans le creux de la vague. Mais entre le tirage et le match aller, elle s’est transfigurée.

Comment expliquez-vous que le Club ait joué ses meilleurs matches de la saison contre les grands clubs européens ?

Le Bayern, la Juventus et la Roma nous ont laissé des espaces : c’est plus facile d’être bon dans des circonstances pareilles.

Pensez-vous que vous prenez le Standard au bon moment ? Après deux matches européens en une semaine, la fatigue risque de se payer au prix fort, non ?

La fatigue physique ne peut pas être une excuse. Quand on dit qu’on veut être champion, on doit être prêt pour les matches contre ses concurrents directs, quel que soit le calendrier des jours précédents. Dans ce choc, c’est le Club qui devra dicter le rythme, pas le Standard.

Les Liégeois n’auront pas de séquelles européennes : un avantage pour eux ?

Certainement. Mais, je me répète, la Coupe d’Europe ne peut pas servir d’excuse quand on vise le titre.

Combien de points vous a coûté la Ligue des Champions ?

Nous en avons perdu beaucoup dans les matches de championnat qui ont suivi les rencontres européennes. Nous avons aussi eu la malchance de devoir souvent jouer en déplacement après nos chocs de Ligue des Champions. Jouer dans un petit stade devant 5.000 personnes trois jours après avoir affronté le Bayern ou la Juventus devant 30.000 spectateurs, ça fait une différence, il faut se réadapter. Mais bon, une saison sans Coupe d’Europe, ce n’est pas une bonne saison. Je parlerais donc de dommages collatéraux. Et un club comme Bruges a normalement les moyens de jouer correctement sur les deux tableaux. Le problème, c’est que les blessures ont été innombrables au premier tour.

 » Le titre se jouera dans les confrontations directes du Top 3  »

Vous aviez été écrasés (2-0) au match aller à Sclessin : qu’est-ce qui a changé entre-temps ?

Je ne suis pas le Standard d’assez près pour savoir ce qui a changé là-bas. Par contre, je sais que Bruges a bien évolué. En septembre, Jan Ceulemans cherchait une équipe et beaucoup de joueurs cherchaient leur forme. Aujourd’hui, il y a une vraie équipe sur le terrain, et ça joue de mieux en mieux depuis la trêve.

Le Standard est bien plus coriace que les autres saisons, à cette période-ci de l’année !

Cette saison, c’est clair : le Standard est un vrai candidat au titre.

Vous devez encore recevoir le Standard et Anderlecht : cela pourrait être un avantage décisif, non ?

Il le faut. C’est chez nous que nous devons montrer nos vraies ambitions. J’estime en tout cas que nous avons toutes les cartes en mains : nos rivaux doivent venir à Bruges, l’équipe est bien en place et continue à progresser, tout cela est encourageant. Je pense que la lutte pour le titre se jouera dans les confrontations directes entre Bruges, le Standard et Anderlecht.

Mais vous avez perdu énormément de points contre les petits au premier tour !

Oui, mais ça ne peut plus arriver si nous voulons concrétiser nos ambitions. Nous avons eu la chance que le Standard et Anderlecht ont gaspillé autant que nous, mais cette erreur-là, on ne peut pas la faire au premier et au deuxième tour si on veut remporter le championnat. Je ne remets pas en cause le mérite des plus petites équipes, mais c’est inadmissible que les favoris pour le titre aient laissé autant de plumes dans ces matches-là.

On dit que c’est une illustration du nivellement par le bas de notre championnat : avez-vous constaté un gros changement de niveau par rapport à votre première période à Bruges ?

C’est difficile de comparer des générations. Mais bon, avant de partir en Allemagne, j’ai joué ici avec René Eyckelkamp, Lorenzo Staelens, Franky Van der Elst, Paul Okon, etc. C’était énorme, non ? Et je pense que ça suffit à illustrer ce qui a changé.

 » Elle n’est pas belle, ma carrière ?  »

Votre bilan personnel depuis votre retour ?

Je me suis cherché en début de saison, comme toute l’équipe.

Vous êtes toujours satisfait d’être revenu ?

Je n’avais pas le choix : ma fille devait rentrer à l’école primaire !

Ne me dites pas que ce fut l’argument décisif !

Et pourtant, c’est bien le cas. Dès que Bruges s’est manifesté, après le départ de Timmy Simons au PSV, tout est allé très vite. En moins d’une semaine, c’était réglé. Parce que ce retour, j’y aspirais vraiment. J’avais encore un an de contrat à Schalke, mais quand j’ai eu l’occasion de revenir dans mon club, à un moment où c’était aussi souhaitable sur le plan familial, je ne pouvais plus hésiter. Il fallait encore que les Allemands acceptent de me laisser partir, mais ils ont été très humains et m’ont dit qu’ils respectaient mon choix.

Donc, vous avez laissé tomber une chance de faire une carrière encore plus belle sous prétexte que votre fille devait entrer à l’école primaire ?

Elle n’est pas déjà très belle, ma carrière ? Huit ans au Club Bruges avec des titres et des Coupes de Belgique, quatre saisons à Schalke : c’est grand, non ? Quand j’étais adolescent, j’aurais signé les yeux fermés pour réussir un parcours pareil.

Vous avez atteint votre plafond ?

Oui, évidemment. Le top de la Bundesliga, c’est super, je ne pouvais pas rêver mieux. C’était un défi énorme : je l’ai relevé. Je suis fier des années que j’ai passées là-bas.

On ne voit plus le même Vermant qu’avant votre départ en Allemagne : 67 buts en 8 saisons lors de votre premier passage à Bruges, un seul depuis le début de ce championnat !

Je ne joue plus dans le même rôle, c’est aussi simple que cela. A Schalke, on a décidé de me transformer de médian offensif en milieu défensif, et je continue maintenant sur cette lancée. Beaucoup de gens ont encore du mal à s’y faire, on voudrait que je marque encore régulièrement des buts, mais non, c’était une autre époque.

L’adrénaline du buteur ne vous manque pas ?

Bah, il y a pas mal de temps que je l’ai oubliée : en quatre ans à Schalke, je n’ai marqué que six goals (il se marre). La joie du buteur, c’est aussi une sensation qui se désapprend… Et chaque rôle sur le terrain a ses côtés positifs.

Quel est le principal point positif du rôle de médian défensif ?

Piquer le ballon à l’adversaire, l’empêcher de marquer, c’est chouette aussi. Ça n’impressionne pas nécessairement le public mais ça fait du bien au joueur qui réussit ces gestes.

Et ce n’est pas embêtant de ne plus impressionner le public ?

On s’y fait. Les satisfactions sont ailleurs comme d’avoir le jeu devant soi plutôt que derrière. On élargit ses horizons, on voit le match avec un autre regard, on apprend plus de choses intéressantes. Avoir la mission d’organiser l’entrejeu et le jeu offensif, c’est valorisant. Quand on joue comme médian offensif, on ne tient pas tellement compte de tout cela, on se laisse simplement corriger. Maintenant, c’est moi qui corrige. J’aime ça.

PIERRE DANVOYE

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