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Le coq Thauvin

C’est le visage de l’OM américain. Pourtant, rien ne prédisait une telle réussite de Florian Thauvin à Marseille. Retour sur un parcours plein d’embûches, qu’il a parfois lui-même semé.

La tuile.  » Ayez fière allure les jours de match, nous a déclaré le manager « , grince Chancel Mbemba, au micro de Sky Sports. Du coup, l’ancien Anderlechtois prend Steve McClaren aux mots. Son néo-compère à Newcastle, Florian Thauvin, arrivé dix jours plus tôt, le suit. Ensemble, ils sortent le costard, le noeud pap et le regard de braise pour recevoir Arsenal, le 29 août 2015. Un vrai défilé, qui attire davantage les yeux que la prestation des Magpies sur le terrain, défaits 0-1.

Une conduite de balle appréciable.
Une conduite de balle appréciable.© BELGAIMAGE

Pour Thauvin, cela devient une habitude : méconnaissable sur le pré, propre sur lui en dehors. Trop même pour la légende locale, Alan Shearer, qui dégaine la sulfateuse.  » Il débarque en costard. Mais c’est sérieux, ici. C’était marrant pour le premier match de la saison, mais ce n’est plus le cas. […] Peut-être que ce genre de performances suffit dans le championnat de France, mais pas en Premier League.  »

Arrivé à St James Park contre dix-sept millions, suite à deux exercices mitigés à Marseille, l’ailier français déçoit. Titulaire à quatre reprises en championnat, il s’incline à chaque fois. Au bout de six mois, il retourne à la case départ : l’OM et son Vélodrome.

Et ce, pour retrouver du temps de jeu, de la confiance et surtout, une crédibilité. Deux ans plus tard, il est l’atout charme de l’effectif olympien. Au point de s’accrocher au wagon bleu qui fonce droit vers la Russie ( voir cadre).

Flotov

Quand son club de Grenoble dépose le bilan, en 2011, le natif d’Orléans se retrouve libre de tout contrat. Il rallie la Corse, et Bastia plus précisément, tout juste promu en Ligue 2. À l’époque, il a seulement 18 piges et trois bouts de matches de L2 dans les pattes. S’il semble parer au plus pressé, le choix s’avère payant. Après un tour de chauffe, qui le voit auréolé du titre de champion, il martyrise les défenses de Ligue 1.

 » Florian est quelqu’un de très intéressant car il est capable de jouer sur les trois postes offensifs, voire même attaquant de pointe « , ajuste pour le Journal de CorseFrédéricNée, son ancien coach de la réserve bastiaise, alors adjoint de Frédéric Hantz.  » Il peut alterner pied droit, pied gauche, il est doté d’une bonne qualité technique et d’une très bonne frappe. C’est un garçon qui travaille beaucoup et qui écoute aussi beaucoup les conseils.  »

En Bleu depuis 2017.
En Bleu depuis 2017.© BELGAIMAGE

Totov, ou Flotov, devient titulaire indiscutable à Furiani et commence à se faire remarquer, au point de scorer un doublé contre Bordeaux, lors de la 10e journée. Lille flaire la bonne affaire et le fait signer dès janvier, pour 3,5 millions et un contrat de quatre ans.

Le champion de 2011, qui le prête à nouveau à Bastia dans la foulée, lui promet les fastes de la Ligue des Champions. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, Thauvin enchaîne. De mars à avril 2013, il plante trois doublés d’affilée et termine la saison avec dix banderilles. Ses slaloms affolent l’Hexagone, qui tient son nouveau phénomène.

Les trophées de l’UNFP le récompensent dignement avec un titre de  » meilleur espoir  » devant des jeunes du calibre de Marco Verratti et Lucas Digne. Le LOSC se frotte les mains. Sauf que, dans le sprint final, les Dogues n’arrachent qu’une timide sixième place.

Au clash avec Lille

Privés de Coupe d’Europe, ils doivent dégraisser, perdent plusieurs cadres, comme Aurélien Chedjou, Dimitri Payet ou Digne, tandis que l’architecte du sacre, RudiGarcia, file à l’AS Rome.

Florian Thauvin se sent lésé. Il tente de se détendre en Turquie, avec l’équipe de France U20. Il signe encore un doublé victorieux en demi-finale de la Coupe du Monde, qu’il remporte aux côtés des AlphonseAreola, Digne, GeoffreyKondogbia ou Paul Pogba. Sa cote monte en flèche.

Peu avant la compétition, L’Équipe annonce que l’OM veut recruter la pépite censée devenir lilloise. En Turquie, le principal intéressé n’y va pas par quatre chemins :  » Jouer la C1, c’est le rêve de tout joueur et c’est le projet pour lequel je devais rejoindre Lille. Ce n’est plus celui-ci aujourd’hui.  »

Lors de ce point presse, il avoue également, à demi-mots, son amour pour l’OM. Le feuilleton de l’été peut commencer. Marseille agit en coulisses et lui propose le triple de son salaire au LOSC. À son retour de vacances, Flotov ne s’entraîne qu’une fois, puis part au clash.

Chaque jour de grève, Lille lui retient 1.500 euros sur son salaire.  » On est très surpris par tout ce qu’il se passe en ce moment. Chez nous, il n’a jamais posé aucun problème. Peut-être a-t-il du mal à gérer son succès soudain « , glisse alors OlivierSaragaglia, son formateur à Grenoble, pour L’Obs.

En clair, Florian Thauvin semble avoir pris le melon. Vincent Labrune, le président marseillais, lui parle de son  » projet Dortmund « , de son recrutement de jeunes doués ( Benjamin Mendy, Mario Lemina, Gianni Imbula) et de ses ambitions en lettres capitales.

Sale gosse

Le 2 septembre 2013, dans les derniers instants du mercato, Flotov rejoint le Vélodrome. Il n’aura jamais porté le maillot lillois. À 20 ans, il traîne déjà l’image d’un mauvais garçon.

Du wonderkid dont le petit peuple rêve, il devient le sale gosse que tout le monde débecte. Peu importe l’éthique, l’OM claque quinze millions sur ce gamin au talent incandescent. Cette décision semble le marquer au fer rouge. Ses débuts au Vélodrome sont timides, malgré un premier but égalisateur lors d’une joute européenne contre Naples.

Sous les ordres d’ Elie Baup, il s’impose progressivement avant de s’éteindre sur la seconde partie de saison. Parfois jugé trop personnel, il sauve les meubles avec huit buts en championnat.

Mai 2014, l’arrivée de Marcelo Bielsa doit le transcender. Les débuts sont tonitruants. L’OM d’ El Loco termine  » champion d’automne  » et Thauvin rayonne. Avant, encore, de sombrer à petit feu. Aligné sur le flanc, souvent dans un système à trois derrière, l’Orléanais fait l’ascenseur mais perd en lucidité.

Pourtant, en janvier 2015, dans Le Figaro, le technicien argentin ne tarit pas d’éloges sur son protégé :  » C’est un joueur avec beaucoup de potentiel et avec une grande capacité à déséquilibrer l’adversaire. Il va devenir un des meilleurs joueurs de France et pourra ensuite devenir l’un des meilleurs du monde.  »

Bielsa lui voue un soutien sans faille, malgré des prestations en dents de scie et des critiques qui émanent même du vestiaire marseillais. Jusqu’à la rupture. Remplacé à la 65e lors d’une défaite à Bordeaux, le 12 avril, Thauvin boude. L’Équipe lui prête des prises de bec à l’entraînement avec son coach.

Crachats à l’OM

Déjà, en février, il assène un  » fils de pute  » à son coéquipier Dimitri Payet, sur le terrain de Rennes. Flotov matérialise à lui seul l’enrayement de la machine olympienne, qui n’y arrive plus.

Après quatre défaites consécutives, Bielsa l’écarte du groupe pour un déplacement à Metz, le 1er mai. La mécanique reprend et l’OM manque le podium de deux unités. Une fin difficile à avaler, tant pour le club que pour Thauvin.

 » Bielsa lui avait prédit le destin d’Alexis Sanchez s’il s’accrochait. Il aimait Thauvin car il se tuait en défense. Mais il a été déçu car toutes ses louanges, au lieu de le pousser à travailler, ont eu l’effet contraire.

Une attitude inacceptable pour le Professeur « , rembobine l’ancien traducteur du Loco, Fabrice Olszewski, dans les colonnes de L’Équipe.

André Ayew parti à Swansea, Thauvin récupère le numéro 10 à l’intersaison. Comme pour signifier qu’il prend en mains les clés du camion. L’épisode dure deux rencontres. Le 8 août, suite au premier match de la saison, Bielsa démissionne de manière rocambolesque.

Dans la foulée, des supporters crachent sur la voiture de Thauvin, qui s’emporte. Une semaine plus tard, Flotov s’exporte à Newcastle. Il laisse un message, plein d’amertume :  » Le Vélodrome me marquera à vie « .

Déclic psychologique

Son chapitre marseillais n’a jamais semblé scellé. Mais il ne devait certainement pas se rouvrir six mois plus tard, sur un nouvel échec. Le 28 janvier dernier, en conférence de presse, il apparaît plus mature, posé.

 » L’année avec Bielsa a été un peu compliquée parce que je jouais quasiment latéral. Je ne faisais que courir, donc c’était difficile pour moi d’être bon offensivement. Mais le travail de toutes ces années me sert aujourd’hui « , dit-il.

Sa communication a changé, plus ficelée. Il tente de soigner cette image de  » kéké  » dribbleur, de gamin mal élevé qui lui colle aux basques.

Il poursuit.  » Je pense qu’il y a eu un déclic psychologique. […] Mon passage à Newcastle m’a permis de me remettre en question. Quand vous partez d’un club dans lequel vous jouez et que vous arrivez dans un autre club et que vous ne jouez pas, c’est difficile à vivre. Aujourd’hui, je vois les choses d’une autre façon. Mon passage en Angleterre m’a beaucoup apporté sur le plan humain « .

Bref, Flotov est enfin devenu grand.  » Quand je repense à Florian, c’est exactement l’exemple du mec qui ne lâchait pas lorsqu’il voulait un truc « , explique à So FootJohann Obiang, son partenaire de formation au pôle espoir de Châteauroux, génération 93.

 » Quand il ratait un geste, il bossait. Sur le terrain, c’était le joueur qui aimait faire la différence par le geste, pas pour te chambrer, mais juste pour éliminer. Le un-contre-un, c’était son truc.  »

Joueur de l’année 2017

En janvier 2016, il revient sur la Canebière la confiance dans le sac. Labrune cherche à dégraisser pour faire place nette au nouvel investisseur. Dans cet OM de transition, il tâtonne d’abord. Il veut trop bien faire, surtout.

Pour son retour, à Montpellier, il entre à la 59e et sort dix minutes plus tard, pour avoir découpé Vitorino Hilton sur une action anodine. Un carton rouge qui ne le freine pas pour autant. Il s’impose doucement en leader et envoie les siens en finale de Coupe de France, perdue face au PSG (4-2), malgré son égalisation. Des prestations suffisantes pour convaincre Gunter Jacob, éphémère directeur sportif marseillais, de lui faire signer un prêt avec option d’achat obligatoire à onze millions l’été suivant.

Mi-octobre 2016, Marseille s’américanise sous la tutelle de Franck McCourt, son repreneur, et sous les ordres de Rudi Garcia. Au départ, les autres déçoivent, alors Thauvin s’impose en patron. Au point d’éclipser le retour de Dimitri Payet, en janvier suivant.

Surtout, il regagne le coeur des supporters, qui l’élisent  » joueur du mois  » à cinq reprises, puis  » joueur de l’année 2017 « .

En mars 2017, Didier Deschamps le convoque pour la première fois chez les Bleus. Une consécration pour celui qui vient de terminer sa L1 avec 15 pions et 9 passes décisives et qui vient déjà de battre ce total (16 buts, 10 assists).

Aujourd’hui, en France, seul Neymar fait mieux. Même s’il éprouve encore des difficultés dans les grands rendez-vous, Florian Thauvin se montre enfin déroutant, efficace et altruiste. Bref, l’homme qu’il aurait toujours dû être.

Le Robben français

Florian Thauvin ne semble clairement pas être le premier nom que DidierDeschamps couche sur sa feuille au moment d’établir sa liste des 23. Thomas Lemar, Ousmane Dembélé, Anthony Martial, Kingsley Coman, Kylian Mbappé… Sur les flancs des Bleus, les gros calibres sont nombreux. Et pourtant, depuis maintenant un an, le Marseillais de coeur fait partie intégrante du groupe France.

Il faut dire qu’il a pour atout un profil différent des précités. Gaucher évoluant à droite en tant qu’ailier  » inversé « , mais également capable de sillonner tous les fronts de l’attaque, Thauvin peut faire office d’ouvre-boîtes pour favoriser les infiltrations des Français dans les défenses resserrées. Fan de Ronaldinho et de son elastico, il a su gommer ses déviances individualistes.

Outre-Quiévrain, où l’on raffole des comparaisons majuscules, Florian Thauvin est plutôt comparé à Arjen Robben. Il est vrai qu’à l’instar du Néerlandais, le Lillois d’un jour aime partir de la droite pour crocheter vers l’intérieur et enrouler des douceurs du pied gauche. Quoi qu’il en soit, si sa présence chez les Bleus relève d’abord du complément, il devrait, sauf blessures, rallier la Russie en juin.

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