Le combat de trop

L’ailier-shoteur de 37 ans a exercé son art entre deux périodes fastes.

Depuis l’avènement des Spirous de Charleroi, la résurgence d’une formation de qualité dans le Borinage et la renaissance du basket à Liège, le public crée à nouveau l’effervescence. Mais Pierre Cornia s’en va. Atteint par la limite d’âge. Parce qu’il est en règle avec lui-même, l’ailier-frappeur ne se morfond pas sur l’île de la nostalgie. Prof de maths, il préfère ne compter que les bons points. Même s’il n’a rien gagné! Il remarque : « Quand je pense que mon épouse, Fabienne Georis, s’est adjugée tous les trophées ».

Il se reprend : « J’ai apporté ma pierre à l’édifice. Au même titre que d’autres, j’ai construit les fondations. J’ai fait partie de ceux qui avançaient. Sur le plan financier, si l’arrêt Bosman tombait plus tôt, j’aurais constitué ma retraite. Maintenant, je vais vous dire : il y a dix-huit ans que je gagne ma vie en faisant ce que j’adore… »

Pourquoi arrêter alors? « Je n’arrête pas. La prochaine saison je serai joueur à Profondville mais la D1, c’est terminé. Mon corps a deux décennies d’entraînements et de matches à digérer. Bien qu’ayant été épargné par de graves blessures, cette saison, je vais de bobo en bobo. Le signe m’apparaît évident. J’ai eu naguère de belles propositions en provenance de Malines et d’Ostende. Je les ai refusées. Juste après, j’ai pensé avoir commis une erreur. Aujourd’hui, je suis certain de ne pas m’être trompé. Entre 27 et 32 ans, soit durant la période faste, j’aimais trop jouer. Rester sur le banc, je l’aurais mal supporté. A Charleroi, je n’étais déjà pas satisfait. Je disputais une vingtaine de minutes par rencontre. Egoïstement, cela m’agaçait. Raison pour laquelle je suis parti ».

Mieux vaut être le premier dans son village que le deuxième à Rome? « Parfaitement! Je préférais être le pion central d’une formation moyenne que de devenir un joueur parmi d’autres chez un ténor. Il s’en est fallu de peu pourtant que je ne rejoigne un club prestigieux. A 17 ans, j’ai été repéré par Ignis Varèse à la faveur d’un tournoi de jeunes. Je disposais de la double nationalité. Pas de chance, ayant été aligné par l’équipe nationale belge en Cadets, j’étais considéré étranger en Italie. Le transfert ne s’est pas fait ».

De quoi raviver des regrets? « Si je pars, je ne rencontre pas ma femme. Donc je ne suis pas l’heureux père de trois enfants que j’adore. Et je n’habite pas ce coin merveilleux qu’est Esneux ».

Dans quel club Pierre Cornia situe-t-il ses meilleurs moments? « Incontestablement à Namur. Je m’y trouvais comme un coq en pâte. J’étais sans doute plus complet après cette période, malgré cela c’est là que je me suis senti le meilleur. Le public m’adorait. Evoluer dans cette salle me faisait pousser des ailes. On a l’impression de flotter dix centimètres au-dessus du sol tant l’euphorie agit à la manière d’un produit dopant. J’ai une relation particulière avec le public parce que je me bats et que je ne me prends pas pour Dieu le Père. Faut être réaliste. Un bon joueur de basket en Belgique n’a rien d’un extra-terrestre. Les supporters viennent vous voir, vous encourager. C’est la moindre des choses que de leur rendre cette sympathie ».

Cornia s’est fait des amis partout mais Namur, c’est l’idylle de toujours : « D’abord Mariembourg. Namur ensuite. Non. Tout compte fait, Namur, c’est mon coup de coeur. Parce que c’est là aussi que j’ai rencontré Eric Somme. Une rencontre importante. Durant 16 ans, j’ai été sous contrat avec lui. Je ne me souviens pas d’un engagement pris qu’il n’aurait pas respecté. Le développement du basket, c’est l’oeuvre d’Eric. S’il n’avait pas amené le marketing dans ce sport, nous serions peut-être au niveau du Grand-Duché de Luxembourg. Somme est un catalyseur. Son énergie pousse les gens à se grandir. A aller de l’avant. Voyez Pepinster. Pendant 15 ans de D1, la vision de ce club se trouvait à l’encontre de celle développée par Eric Somme. Aujourd’hui pourtant, le constat est là : même Pepinster change son fusil d’épaule. Voilà le prix à payer pour survivre et croître ».

Outre l’instauration d’un professionnalisme rigoureux quels grands changements a-t-il notés? « Le physique! En débutant, j’étais un grand ailier. Maintenant, je suis un petit ailier, freluquet. La masse musculaire m’impressionne. J’espère que ce développement est naturel. Je fais allusion à la créatine un produit autorisé quoique dangereux. De récentes études ont démontré que son absorption provoque le cancer. Faut faire gaffe! Pour revenir à plus positif, je constate que des athlètes de deux mètres, deux mètres cinq courent aussi vite que moi, sautent plus haut et tirent aussi précisément. Ils font juste dix centimètres de plus! Il est là, le changement. Avant, les grands restaient plantés dans la raquette. Ils n’avançaient pas ».

La médiatisation du sport amène davantage de jeunes qui ne sont pas que grands. Sans la médiatisation de la NBA la masse serait-elle tentée ? « Non. Le phénomène a pris grâce aux Jeux Olympiques de Barcelone. Michael Jordan et Magic Johnson sont devenus des superhéros! Toujours pas remplacés d’ailleurs ».

Shaquille O’Neal, notamment et Denis Roadman sont courtisés par Hollywood. On les voit apparaître dans quelques films à gros budget. « C’est peut-être mon regard qui a changé. Il y a à Pepinster des jeunes ne sachant pas qui est Rik Samaey. On devient vite un ancien combattant. Moi, je ferai toujours le combat de trop. J’aurais dû arrêter l’année dernière. Au moment de prendre ma décision j’ai réfléchi. Je me suis dis : -Tant pis. Vas-y! Ce serait trop bête de passer à côté de quelque chose et de le regretter. C’est un peu comme si je ne m’autorisais pas l’arrêt en pensant à ceux qui rêvent de jouer en D1 et qui ne pourront y accéder, alors que moi j’ai la chance d’y être. Je culpabiliserais de ne pas profiter de cette aubaine jusqu’au dernier jour ».

Pierre Cornia estime être en train d’accomplir l’année inutile… « Pour mon orgueil, oui. J’ai toujours joué 30 minutes de moyenne. Je me suis cru plus fort que je ne le suis désormais. Quand l’équipe gagne, ne plus débuter est normal. Par contre lorsqu’elle perd et que je reste sur le banc, c’est dur. Je lis parfois de la pitié dans les visages de mes équipiers. Du respect aussi, c’est vrai. Mais de la pitié. Faut le dire ».

Six participations à des playoffs, un tous les trois ans: « Je n’accorde pas une importance particulière à ce tournoi. Il sera prenant, c’est évident. Toutefois, la compétition ne m’intéresse qu’au plan strictement sportif. Je suis convaincu que nous avons un beau coup à jouer. A condition de disposer d’un effectif au complet, c’est à dire avec nos deux pivots en pleine possession de leurs moyens, nous surprendrons ».

Cornia s’est trouvé engagé dans le round final sous les couleurs de Mariembourg, Mariandenne, Braine, Charleroi et Pepinster. Deux fois avec Pepinster. Le capitaine des Pépins connaît la recette permettant d’entrer harmonieusement dans la ronde: « Terminer le championnat par une victoire. Un succès apporte du tonus. Gomme la fatigue. On aborde neuf une autre compétition. L’expérience, le métier, s’avèrent également déterminants. Les playoffs, c’est un mini-championnat. Avec des rencontres difficiles qui se succèdent à un rythme effréné. Il faut donner beaucoup en peu de temps. Résister au stress. Je suis optimiste car précisément, nous avons connu une période de grande euphorie en remportant neuf succès sur dix. Après notre départ catastrophique, cela démontrait que nous avions les moyens de nos ambitions ».

Pierre Cornia pointe trois favoris logiques : « Je mise sur Charleroi. La meilleure équipe! Elle a progressé de joute en joute. Doucement mais sûrement. Les Spirous présentent une ossature complète : talent, expérience, créativité. Les rencontres disputées en Coupe d’Europe apportent du vécu. Ostende présente des critères identiques. A la différence près que les Côtiers sont moins effrayants si je peux m’exprimer ainsi. Ils dépendent davantage de leurs individualités. Quant à Mons, attention! La victoire, récente, contre les Spirous atteste de la valeur des Borains. Ils en sont à leur deuxième participation d’affilée. Un vent de fraîcheur gonfle leurs voiles ».

A la question de savoir quels furent ses plus beaux playoffs, Pierre Cornia répond sans hésiter : « Ceux qui arrivent! Nous avons tout à gagner. Au rayon des souvenirs, ceux qui restent gravés dans ma mémoire concernent Mariandenne. Nous gagnions à Braine. Lors d’une phase anodine, je retombe sur le pied de Toni Marion. Entorse. Je loupe les deux rencontres suivantes. Nous sommes battus de deux fois deux points! A cause de ce tout petit écart, nous perdons le titre. Sans vantardise, si je suis sur le parquet, nous gagnons. C’est à la fois mon meilleur et mon pire souvenir ».

Daniel Renard

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