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Le coeur a ses raisons

Le 12 juin dernier, le Parken Stadium de Copenhague retenait son souffle pour Christian Eriksen, frappé par une attaque cardiaque en plein match. Un drame encore trop fréquent, malgré un protocole toujours plus strict et des examens approfondis. Un football dénué de risques est-il possible?

« Le football est un sport de contact. » Une phrase qui résonne comme un poncif sacro-saint aussi vieux que le sport lui-même. Et qui semble justifier la moindre blessure. Pourtant, aussi vrai que soit cet adage, le football amène un lot de contraintes physiques qui dépassent le « contact » pur et simple. Avec des efforts de fond, couplés à des phases d’explosivité intenses, sa pratique est extrêmement éprouvante pour l’appareil cardiaque des joueurs. Tellement qu’à travers le cours de l’histoire, trop de footballeus ont malheureusement laissé leur vie sur le rectangle vert.

Des drames trop fréquents

Le premier décès répertorié sur un terrain de football daterait de janvier 1899. Un joueur anglais, William Cropper, se serait éteint durant un match de l’équipe de Staveley suite à une rupture intestinale. Le premier arrêt cardiaque survient en 1906, attribué à David Wilson, de Leeds, apparemment un gigantesque consommateur de cigarettes. Si l’on se penche sur le décompte macabre sur le terrain, le début du siècle est plutôt marqué par des chocs mortels et des infections virales de type tuberculose. Ce n’est que dans la deuxième partie du XXe que les incidents cardio-vasculaires commencent à se multiplier, ou du moins à être recensés avec plus de précision. Une raison particulière? Certainement la hausse de l’intensité du jeu, qui a progressivement amené à une augmentation de la pression sur les organismes. Au XXIe siècle, on retrouve des cas de soucis cardiaques chaque année, et certains restent encore dans les mémoires.

Le football est un sport particulièrement sujet à ces problèmes, puisque l’effort est intermittent. » Charles Thiébauld, Docteur en médecine du sport

Le décès du Camerounais Marc-Vivien Foé, qui perdit la vie en direct à la télévision pendant la Coupe des Confédérations 2003 en France, eut un retentissement mondial. À l’instar de son compatriote Patrick Ekeng Ekeng, décédé en 2016, l’ancien joueur de l’Olympique Lyonnais a été victime d’une cardiomyopathie hypertrophique, maladie du muscle cardiaque qui peut être génétique ou provoquée par une pression excessive sur ce muscle. En ce qui concerne la Belgique, Gregory Mertens, de Lokeren, s’est éteint suite à un malaise cardiaque en 2015, tout comme Joël Lobanzo, de l’Antwerp. Tous deux étaient âgés respectivement de 24 et 17 ans… Aujourd’hui, on estime qu’il y aurait un mort par mois sur les terrains de football.

« Il y a trois problèmes cardio-vasculaires principaux qui frappent les sportifs: la dysplasie ventriculaire droite, la cardiomyopathie hypertrophique et la myocardite. Toutes peuvent mener à des complications extrêmement sévères », explique Charles Thiébauld, Docteur en médecine du sport au Centre d’Études et de Médecine de Uccle. « Le football est un sport particulièrement sujet à ces problèmes, puisque l’effort est intermittent. Par exemple, on ne voit que très peu d’incidents cardiaques chez les marathoniens, alors que leur système est mis à rude épreuve, car l’effort est constant. Quand on alterne entre endurance et intensité, on pousse son système loin », complète-t-il. En effet, l’organe cardiaque est encore un mystère sur certains points pour les chercheurs, qui estiment en connaître approximativement 90%.

Dans le large éventail des fonctionnements et dysfonctionnements du coeur, il existe une part non négligeable d’imprévisible. Que ça soit une pathologie de dernière minute ou plutôt une disposition génétique liée à la naissance, notre appareil cardio-vasculaire a ses raisons que la science ignore. D’autant plus que, d’après le docteur Thiébauld, il subsiste des facteurs que l’on occulte souvent, comme par exemple le stress: « Il a des conséquences fâcheuses sur l’activité cardiaque et il est impossible de le prévoir. Les sportifs de haut niveau sont soumis à des pressions énormes lors de grands rendez-vous, cela peut déstabiliser le système. » On peut supposer que défendre ses couleurs lors d’une compétition internationale est un facteur suffisant pour que le coeur batte la chamade.

En 2003, l'international camerounais Marc-Vivien Foé s'écroulait en plein match lors de la Coupe des Confédérations, fauché par une crise cardiaque. Quelques jours plus tard, ses équipiers lui rendaient un vibrant hommage.
En 2003, l’international camerounais Marc-Vivien Foé s’écroulait en plein match lors de la Coupe des Confédérations, fauché par une crise cardiaque. Quelques jours plus tard, ses équipiers lui rendaient un vibrant hommage.© GETTY

Un protocole qui s’affine sans cesse

Face aux nombreux drames qui peuplent son histoire et surtout l’ensemble des problèmes de santé qui peuvent survenir, le protocole médical du football est un processus en constante évolution: l’obligation de porter des protège-tibias, les sanctions sur les chocs volontaires et les coups de coude, les arrêts hydratation… Étape par étape, les instances de régulation ont pris le chemin d’un sport plus sûr. En ce qui concerne la procédure relative à la prévention cardiaque, la Coupe du monde 1986 peut être considérée comme une sorte de laboratoire. Durant cette édition organisée au Mexique, les joueurs ont dû faire face à des conditions de jeu inédites et ont été mis à rude épreuve à la fois par l’altitude élevée et des températures caniculaires. Michel D’Hooghe, nommé chef de délégation belge à ce Mondial, se rappelle la préparation toute particulière qu’il avait mise en place. « Nous jouions notre premier match à 2.000 mètres d’altitude, alors j’avais organisé un stage de préparation en Suisse à 2.800 mètres. Je m’étais documenté sur les dernières études à propos du sport en montagne, nous sommes même allés faire des tests physiques en altitude avec un physiologiste et le défenseur Hugo Broos« , narre-t-il.

Président de la Commission Médicale de la FIFA, le natif de Bruges est obnubilé par la sécurité des joueurs, au point d’en oublier un peu le sport. « Si j’en avais le pouvoir, j’insisterais sur la présence au stade d’un défibrillateur avant celle d’un ballon » clame-t-il. La présence de cet instrument dans chaque enceinte est le résultat du travail de sensibilisation acharné de Michel D’Hooghe. Son entêtement à propos des risques cardiaques lui vient de son début de carrière en tant que médecin au Club Bruges: « En 1972, Nico Rijnders a fait un arrêt cardiaque sur le terrain. J’ai réussi à le réanimer, mais c’était une expérience terrible, qui m’a rendu particulièrement sensible au problème », se rappelle le médecin.

Lors du Congrès Annuel de la FIFA de 2012 à Budapest, le Comité exécutif avait fixé le cap sur la prévention médicale et le développement de la médecine d’urgence. « Nous voulons accentuer la prévention plutôt que le soin », précise D’Hooghe. Résultat, l’obligation d’un examen cardiaque complet avant chaque compétition est mise en place. Un processus qui s’étoffe sans cesse, avec comme piliers la cardiographie et l’électrocardiogramme. Notamment l’échographie Doppler, une échocardiographie réalisée à base d’ondes sonores à très hautes fréquences qui rebondissent sur le coeur. Elle permet d’évaluer le flux sanguin dans les artères et l’irrigation de l’organe. L’enregistrement Holter permet lui de diagnostiquer les anomalies de l’activité cardiaque, à l’aide d’un petit moniteur connecté à la poitrine mesurant le pouls et le rythme cardiaque dans une fourchette de 24 heures minimum.

Faudrait-il sensibiliser les joueurs aux gestes de premiers secours? « Oui, surtout au niveau amateur! », selon Michel D’Hooghe.

En plus du protocole pré-tournoi, la FIFA insiste sur la présence obligatoire au bord de la pelouse du précieux défibrillateur, ainsi que d’une équipe entraînée à prodiguer ce genre de soins. Une combinaison qui semble basique à première vue, mais qui sauve définitivement des vies, comme en atteste le cas récent de Christian Eriksen. On se rappellera que même dans son discours de départ du Comité exécutif de la FIFA en 2017, Michel D’Hooghe en avait à nouveau remis une petite couche sur la nécessité d’une couverture universelle en défibrillateurs. En guise de cadeau pour honorer sa carrière, le président de la FIFA Gianni Infantino avait d’ailleurs fait offrir des appareils de secours aux 211 associations membres de l’instance footballistique.

Michel D'Hooghe:
Michel D’Hooghe: « Si j’en avais le pouvoir, j’insisterais sur la présence au stade d’un défibrillateur avant celle d’un ballon. »© belgaimage

L’utopie du risque zéro

C’est donc à se demander, avec de telles mesures de sécurité, comment il est possible d’encore vivre des situations comme celle du début de cet EURO. Tout simplement parce qu’il subsiste toujours un risque, une part de danger indécelable. Malgré l’amélioration constante du protocole de prévention, ainsi que les progrès en matière de soins et de matériel, la sécurité absolue est une utopie pour nos deux spécialistes. Pour Charles Thiébauld, une partie de ces incidents sont pratiquement indétectables: « On peut faire face à des attaques subites et totalement imprévisibles. C’est en particulier le cas des myocardites, une inflammation du muscle cardiaque. »

Selon Michel D’Hooghe, au-delà de nos connaissances, la variation des anatomies est telle qu’il est impossible de fomenter un protocole universel. « Selon le sexe, la morphologie ou encore l’ethnie, le corps et les organes changent subtilement d’une personne à l’autre. Certes, il y a des statistiques, mais il est absolument impossible d’émettre un avis général », précise le Brugeois. Le docteur Thiébauld lui, conclut qu’il y aura toujours « une zone d’ombre » pour le corps médical. Par ailleurs, la prise de certains produits dopant les performances peut avoir des conséquences dévastatrices sur l’organe cardiaque. Des incidences qui dépassent le champ d’action des médecins.

Alors que faire de plus? Si la connaissance humaine de l’appareil cardio-vasculaire touche quasiment son plafond, dans quel domaine pouvons-nous prétendre à de nouveaux progrès? Michel D’Hooghe y va encore de son mantra, la prévention: « La prévention est toujours la meilleure des médecines, la plus importante. Nous devons améliorer sans cesse le préventif et le curatif: en premier lieu, les tests sont toujours plus poussés et plus régulièrement effectués, et si il y a quand même urgence, nous disposons désormais d’un meilleur matériel et d’un personnel entraîné. » Faudrait-il aller jusqu’à sensibiliser les joueurs aux gestes de premiers secours? « Pas une mauvaise idée, surtout au niveau amateur! », selon le président de la Commission Médicale de la FIFA.

Au niveau professionnel, la discipline a connu quelques sauvetages de haut vol, tel que l’intervention de Jaba Kankava sur Oleh Husyev lors d’un match de championnat ukrainien. Le milieu géorgien du Dnipro Dnipropetrovsk avait sauvé son adversaire du Dynamo Kiev de l’étouffement, après qu’il eut avalé sa langue à la suite d’un choc. Plus récemment, le Danois Simon Kjaer s’est montré exemplaire durant le malaise de Christian Eriksen, en mettant immédiatement son équipier en position de sécurité. Même si un massage cardiaque doit être effectué de préférence par un professionnel, quelques petits gestes peuvent grandement aider avant l’arrivée des secours.

Il demeure que dans le football actuel, la prévention est tout de même essentiellement l’apanage des clubs et des instances nationales plutôt que des joueurs eux-mêmes. Respecter une batterie de protocoles reste la meilleure chose qu’un professionnel puisse faire pour laisser le moins de place possible au hasard. La bonne nouvelle, c’est que tous se dirigent dans la direction d’une sécurité renforcée. Régularité et efficacité accrue des examens, investissements techniques conséquents, formations améliorées pour les soignants, le monde du football a mis du temps à se mettre en route, mais il est désormais sur tous les fronts pour la santé cardiaque.

Le risque zéro est sans doute impossible à atteindre, mais on pourra peut-être s’en rapprocher un jour à l’aide des avancées technologiques et de la diversification des analyses médicales. Un suivi toujours plus précis et régulier, voilà à quoi devrait ressembler l’avenir de la médecine sportive. Un futur qui devra probablement s’appuyer encore plus sur la collecte de datas, un outil formidable pour l’analyse de performances quotidiennes sur le long terme. Alors que l’homme n’a pas encore percé tous les secrets du coeur, il est possible que la machine y parvienne avant lui…

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