Le club le + riche du monde

Le Bruxellois avait signé à Man City une semaine avant l’arrivée à la tête du club de la famille royale d’Abu Dhabi.

Il y a moins de dix ans, City était battu par York dans ce que l’on appelait alors la Second Division (l’équivalent de la D3) mais célébrait un peu plus tard de manière délirante une victoire tardive 1-0. Si les supporters des Citizens n’avaient pas rempli Maine Road fidèlement à chaque match à domicile cette saison-là, si le manager Joe Royle n’avait pas recollé les morceaux, nul doute que l’équipe coachée par son successeur Kevin Keegan n’aurait jamais effectué son grand retour en Premier League en 2002. Et, encore plus crucial, jamais le conseil municipal n’aurait décidé de construire un nouveau grand stade pour les Jeux du Commonwealth, une enceinte occupée aujourd’hui par Manchester City à des conditions assez favorables. Jamais, non plus, ce club n’aurait été l’objet du caprice d’un cheikh du pétrole.

Une fois City revenu en Premier League, la donne changeait. Une des meilleures  » marques  » du foot anglais, avec une base très étendue de supporters et un stade de 48.000 places assises ont fini par rendre le scénario du rachat crédible. Cela reflète aussi la portée des droits télévisés dans le championnat anglais, les fortunes payées par les chaînes de TV pour acquérir les droits et le fait que les clubs anglais, contrairement aux espagnols ou allemands, sont des sociétés commerciales susceptibles d’être vendues et achetées.

Dans ce contexte, la reprise de City par un groupe qui s’appelle Abu Dhabi United est un développement logique, bien que cet épisode-là diffère de celui des hommes d’affaires américains qui reprennent des clubs pour en retirer rapidement des profits et de la tendance des rachats par des milliardaires en mal de  » trophées de chasse « .

Qui se cache derrière Abu Dhabi United Group ?

ADUG est essentiellement un véhicule financier servant aux Nahyan, la famille royale d’Abu Dhabi, d’investir dans un club de Premier League. Le minuscule petit émirat pétrolier, richissime, est l’une des sept entités qui composent les Emirats Arabes Unis dont la création remonte à 1971. Chaque émirat est dirigé par une famille royale distincte, sans la moindre notion de démocratie. Devant s’occuper de très peu d’habitants et disposant d’une richesse pétrolière, le pays devint très prospère et compensa la moindre contestation par de l’argent. Abu Dhabi est la capitale des EAU, le siège du pouvoir et l’endroit où l’on trouve la majorité des gisements pétroliers des Emirats, qui comptent tout de même pour 10 % des réserves mondiales d’or noir connues à ce jour.

Le monarque Cheikh Khalifa bin Zayed Al Nahyan est le frère du cheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, ministre des Affaires présidentielles des EAU et l’homme qui se cache derrière l’offre de rachat de Manchester City. Dans la liste établie par le magazine américain Forbes, le cheikh Khalifa apparaît comme le 2e monarque le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 19 milliards d’euros. C’est plus que son voisin Mohammed bin Rashid Al Maktoum, qui dirige Dubaï et dont la branche d’investissement DIC avait tenté sans succès de mettre la main sur Liverpool plus tôt cette année. C’est beaucoup plus aussi que les 15 milliards de Roman Abramovich, le boss de Chelsea. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La hausse des prix pétroliers jusqu’à juillet de cette année est venue gonfler les coffres de la famille Nahyan à hauteur de 825 milliards d’euros.

Mais pourquoi investir dans un club de Premiership ? Et pourquoi City ? La réponse à la deuxième question est simple : City était le club le mieux valorisé et le plus accessible à acquérir sans devoir passer par toute une série de négociations qui furent fatales dans la tentative de DIC de racheter Liverpool par exemple. L’investissement en Premier League a tout à voir avec le marketing et le prestige et devancer les Maktoums, très peu avec un intérêt réel pour le football.

Au cours de la décennie écoulée, Dubaï a pris les devants par rapport à ses voisins en termes de rayonnement international. Cela s’est fait en investissant les pétrodollars dans des mégaprojets et des réalisations sportives. Lorsque Tiger Woods annonça qu’il allait construire son premier parcours de golf, c’était à Dubaï. Le cheval de course le plus riche ? A Dubaï. Le plus grand building du monde ? Dubaï. Sur ces entrefaites, Abu Dhabi a mis sur pied le plus large fonds souverain du monde, qui s’est offert des parts dans des entreprises de taille mondiale comme Citigroup, et a investi dans les plus beaux immeubles à New York et à Londres. Abu Dhabi en veut donc toujours plus. L’émirat est à juste titre fier de ses réussites. Il y a 30 ans, on parlait d’une étendue désertique, d’un petit port dépendant de l’industrie perlière agonisante et c’est Dubaï qui a recueilli tous les compliments.

A présent, Abu Dhabi a son propre tournoi de golf PGA et organisera un GP de F1 l’an prochain, représentant l’aboutissement d’années d’efforts. Et lorsque DIC manqua son coup chez les Reds, Abu Dhabi a saisi sans hésiter l’opportunité de se positionner dans ce qui est l’une des compétitions sportives les plus regardées, les plus populaires et disposant des marques sportives les plus connues en acquérant Manchester City. Le club établissait un nouveau record en arrachant Robinho au Real Madrid pour plus de 42 millions d’euros et on se demande d’ores et déjà ce que les rois du pétrole nous réservent comme transferts surprises pendant le mercato d’hiver : Fernando Torres, Cristiano Ronaldo, Kaká ?

Pourquoi ont-ils choisi City ?

Mis à part les quatre grands, City est l’une des entités les plus importantes et dispose d’un grand stade moderne déjà construit – pas comme Tottenham, Everton ou West Ham qui doivent toujours agrandir ou déménager. En termes de marketing, Newcastle est sans doute le seul autre club de D1 à pouvoir se vendre aussi bien.

City était en vente suite aux travers de Thaksin Shinawatra, le propriétaire thaïlandais du club jusqu’alors. Thaksin avait repris City en juin 2007, alors que le club cherchait désespérément un repreneur. La folie dépensière de l’ère Keegan avait provoqué 90 millions d’euros de dettes et les deux principaux actionnaires John Wardle et David Makin avaient prêté 30 millions au club. Fin 2006, City avait emprunté 15 millions supplémentaires comme avance sur le montant des droits TV. L’assistance, désappointée par la morosité du jeu proposé par l’entraîneur Stuart Pearce et se plaignant du manque d’ambiance dans ce nouveau grand stade, avait chuté de plus de 20 %. Ray Ranson, ancien joueur emblématique de City, se transforma en entrepreneur et fit une offre pour reprendre le club en avril 2007 mais le comité de direction n’allait pas le soutenir. En lieu et place, les dirigeants firent appel à Thaksin, qui avait déjà fait une offre à Liverpool pour le racheter lorsqu’il était Premier ministre de Thaïlande. Il aurait dû financer ce deal avec l’argent du contribuable thaï mais la négociation n’aboutit pas.

A cette époque déjà, des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch disposaient de dossiers affirmant que des milliers de personnes avaient été exécutées, sans la moindre enquête, par la police ou les services de sécurité sous le régime de Thaksin. Ce dernier a toujours démenti le contenu de ces rapports mais les allégations ont continué. La direction du club, toute contente d’avoir trouvé son milliardaire, essuya ces soupçons d’un revers de la main. Mais le dirigeant asiatique était englué dans les problèmes. En septembre 2006, un coup d’Etat militaire avait renversé Thaksin. Cette action armée faisait suite à des manifestations massives contre lui à Bangkok. Des protestations populaires furent déclenchées par l’annonce que la famille Thaksin avait vendu la société de télécoms Shin Corp. à une entreprise singapourienne (ce qui était vu comme sacrilège par de nombreux Thaïs) pour 1,8 milliard d’euros, cette négociation ayant essentiellement pour objectif de frauder le fisc.

Thaksin avait pourtant été populaire, élu notamment grâce au support massif des populations rurales plus pauvres qui appréciaient ses réformes, en particulier celles ayant apporté des structures de soins de santé abordables dans les campagnes. Il était cependant mal vu par de très nombreux Thaïs éduqués, qui voyaient d’un mauvais £il le Premier ministre concentrer en ses mains pouvoir politique et richesse économique. Le nouveau gouvernement établit un comité d’experts chargé d’enquêter formellement afin de déterminer comment Thaksin avait amassé sa fortune et de recommander des peines criminelles au cas où des preuves de corruption étaient trouvées.

Les anciens proprios anglais devaient vendre

Mais tout cela ne semble pas choquer Wardle, le président de City à l’époque, ou les autres directeurs du club qui sont totalement résolus à vendre à Thaksin. Ils pensaient qu’il détenait des tonnes d’argent avec lesquelles il abreuverait le club. La ligne de défense officielle des dirigeants du club était que rien n’avait été prouvé à l’encontre du chef du gouvernement thaïlandais et que les accusations de corruption étaient motivées par des raisons politiques et sans fondement. Les directeurs de City étaient persuadés qu’une fois des élections démocratiques organisées dans son pays, les charges contre Thaksin seraient levées et qu’il serait blanchi. Alors que les négociations pour la reprise avançaient bon train, deux chefs d’accusation pour corruption criminelle furent finalement retenus contre l’ex-leader par les autorités judiciaires thaïlandaises. Ses avoirs détenus au pays (environ 1,2 milliard d’euros) furent également gelés. Mais les dirigeants du second club de Manchester insistèrent pour que le deal ait lieu et fin juin 2007, Wardle et Makin acceptèrent une offre de UK Sports Investments valorisant City à 32 millions d’euros, Thaksin se portait garant de 26 millions d’euros supplémentaires en guise de remboursement des prêts consentis par le duo présidentiel précédent.

Wardle écrivit à tous les actionnaires de Manchester City, leur conseillant d’accepter l’offre du dirigeant thaï, ce qu’ils firent.

Le règne de Thaksin commence plutôt bien à City. Il installe le Suédois Sven-Göran Eriksson au poste de manager – NDLR : ce qui posera des problèmes à notre Emile Mpenza qui était arrivé en janvier 2007 au club et avait bien joué avant l’arrivée du coach scandinave… – et une série de transferts ronflants vont suivre. Les plus connus sont ceux du Brésilien Elano, du Bulgare Martin Petrov et du Croate Vedran Corluka. City occupe le sommet de la Premier League pendant plusieurs semaines en début de saison et s’impose deux fois face à United, ce qui n’était plus arrivé depuis plus de 30 ans. Thaksin est porté en estime par les supporters jusqu’à ce qu’il limoge Eriksson en mai. Et puis en été, tout s’emballe. Des élections sont organisées en Thaïlande, les alliés au parti de Thaksin sont réélus mais la justice thaï revendique son indépendance et prononce des peines à l’encontre de Thaksin et de sa femme, Pojaman. En juillet, cette dernière est accusée d’évasion fiscale et condamnée à trois ans de prison. Elle et Thaksin, qui attend lui aussi le verdict du tribunal pour l’un des chefs d’accusation, s’envolent alors de Pékin – où ils assistent à la cérémonie d’ouverture des JO – pour Londres où Thaksin a une résidence.

Les cheikhs entendent bien profiter de la marque City !

On apprend aussi que les contrats de rachat du club anglais sont liés à des signatures pour des paiements échelonnés. Manchester City doit donc faire appel à la Standard Bank pour obtenir un crédit supplémentaire de 37,5 millions d’euros pour couvrir le manque de liquidités. Wardle lui-même aurait prêté à trois reprises 3 millions d’euros l’année qui suivit la vente du club !

Le dimanche 31 août, un site internet du Moyen-Orient annonçait qu’Abu Dhabi United allait racheter les 70 % des parts détenues par le Premier ministre thaï déchu. Thaksin était apprécié au Moyen-Orient lorsqu’il était le chef du gouvernement thaïlandais ; d’ailleurs le directeur du recrutement qu’il a installé à la tête de City n’est autre que Pairoj Piempongsant, un homme d’affaires thaïlandais lui aussi qui a toujours eu de très bonnes relations dans les Emirats. Cet été, quand Thaksin s’était finalement résigné à vendre le club acquis seulement un an plus tôt, il avait chargé Pairoj de trouver un repreneur très fortuné. En outre, un certain Garry Cook était arrivé au club en tant que président exécutif chargé du développement marketing et de la marque Manchester City. Il a produit un document décrivant comment City pouvait déployer en dix ans une présence globale et un modèle de revenus supérieurs à ceux de Manchester United. Cette affirmation fut clairement prise au sérieux à Abu Dhabi. Le résultat fut immédiatement atteint, se faire une nouvelle place en Premier League par le biais de nombreux et coûteux transferts.

par david conn et james montague (esm) – photos: reporters

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