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Le club le plus écolo du monde

Les jours de match, les supporters ne peuvent pas s’offrir un hamburger. Les maillots sont confectionnés en bambou biodégradable. Et, bientôt, le club construira un stade en bois. Forest Green Rovers, qui joue en 4e division anglaise, est le club le plus écolo du monde. Grâce à un richissime hippie

En mai 2017, lorsque Forest Green Rovers a battu Tranmere Rovers à Wembley, Nailsworth est devenue la plus petite ville d’Angleterre à accueillir un club professionnel. Enfin, ville ? C’est plutôt un gros village, une bourgade endormie de 5.794 habitants, au coeur des Cotswolds, une chaîne de collines du sud-ouest de l’Angleterre dans une région d’une grande beauté naturelle, où les retraités se rendent au marché pour acheter du miel bio et du fromage artisanal, et où les événements locaux sont annoncés au son de la cloche.

Ce n’est cependant pas cette situation géographique reculée qui constitue le principal handicap depuis la promotion en League Two, mais bien l’idéologie du club. Forest Green Rovers a pour objectif d’être le club le plus écolo du monde. Ce n’est pas un vain mot, car au club, tant les joueurs que les supporters doivent adopter un régime vegan.

Le stade est alimenté en électricité verte et le club recycle l’huile de friture en carburant bio. Après le coup de sifflet final à Wembley, le commentateur de la BBC s’est d’ailleurs écrié :  » Oyez, oyez, jeunes gens de Cheltenham, de Swindon ou de Newport : préparez-vous à manger de l’herbe la saison prochaine, car Forest Green Rovers jouera en Football League.  »

Premier club vegan du monde

Sept ans plus tôt, en 2010, Forest Green Rovers n’était encore qu’un modeste petit club de province qui, depuis 120 ans, militait dans les plus basses divisions du football anglais. Mais, comme partout, l’argent est le nerf de la guerre. Il fallait à tout prix trouver des fonds, sous peine de devoir mettre la clef sous le paillasson. En désespoir de cause, le conseil d’administration a demandé de l’aide à Dale Vince.

Aux grands maux, les grands remèdes. Vince n’a pas vraiment le profil d’un mécène du football ( voir encadré). C’est un amoureux de la nature, un hippie qui a fait fortune en vendant de l’énergie verte avec sa société Ecotricity. Et qui, en plus, est vegan.  » Je n’avais jamais imaginé être un jour propriétaire d’un club de football « , a déclaré Vince à CNN,  » mais le club avait de l’eau jusqu’au cou et son stade est quasiment situé dans mon jardin. Je savais ce que ce club représentait pour la communauté et je voulais faire en sorte qu’il passe le cap de l’été.  »

Le vert est présent partout, même sur les gradins.
Le vert est présent partout, même sur les gradins.© BELGAIMAGE

Rapidement, Vince découvre tout le potentiel de Forest Green Rovers pour propager son idéologie. Sa première décision est radicale : il supprime la viande rouge du menu des joueurs. À l’avenir, ceux-ci ne mangeront plus que vegan. Pas uniquement parce que Vince estime que manger des animaux est  » moralement inacceptable « , mais aussi parce qu’il croit qu’une alimentation à base de plantes est susceptible d’améliorer les performances sportives. Selon lui, elle procure une énergie et une résistance supplémentaires, et protège contre les blessures. Pendant leurs temps libres, les joueurs de Vince sont certes encore autorisés à manger ce qu’ils veulent. En octobre 2015, The Vegan Society, une organisation qui soutient le véganisme, a élu Forest Green Rovers comme premier club vegan du monde.

Des panneaux solaires sur le toit de la tribune fournissent une énergie verte.
Des panneaux solaires sur le toit de la tribune fournissent une énergie verte.© BELGAIMAGE

Où est le food truck ?

Car l’idéologie ne concerne pas que les joueurs. Les fans, également, sont privés de hot dogs et de hamburgers. Ils doivent se contenter de fajitas vegans et de Q-pies, confectionnés à base de quorn, de sauce soja béchamel, de poireaux et de thym, une alternative vegan aux très populaires meat pies anglais. Ce sont surtout les supporters visiteurs qui se plaignent. Quoi, pas de protéines animales ? Et, comme souvent en Angleterre, ils expriment leur mécontentement au travers de chants, plus originaux les uns que les autres.

Coup d'oeil sur les vestiaires.
Coup d’oeil sur les vestiaires.© BELGAIMAGE

 » Où est le food truck ? « . Ou encore :  » Mettez vos gâteaux vegans dans le c…  » Ou, lorsqu’un joueur de Forest Green Rovers se retrouve sur le sol :  » Voilà ce que c’est de manger de l’herbe !  » Vince réagit de façon laconique.  » Bah, dans le football, ce genre de chants est fréquent. Tout le monde est concerné par l’alimentation. Tout le monde doit manger.  »

Mais les supporters locaux ne sont pas toujours très heureux, eux non plus, du menu qui leur est proposé. Certains ne vont encourager l’équipe que lors des matches en déplacement, là où l’on peut encore se procurer des pains au lard. Selon eux, le club se montre trop intransigeant sur l’idéologie.

 » Mais nous n’en tenons pas rigueur à ces supporters « , se défend Vince.  » Cela dérange certaines personnes lorsqu’un vegan prouve qu’il existe une autre manière de s’alimenter. La seule chose que nous pouvons faire, c’est convertir ceux qui souhaitent être convertis. Pour chaque supporter que nous perdons, nous en gagnons dix. Pour l’instant, je n’ai encore rencontré aucun supporter qui m’a dit qu’un burger vegan avait moins de goût qu’un burger à la viande. Au contraire, certains me remercient d’avoir changé leur vie.  »

L’huile de friture recyclée en carburant bio

Vince est plutôt du genre têtu, pas du tout une girouette qui se laisse facilement influencer par les autres. Un club en a fait l’expérience, après avoir signifié à Vince qu’il n’était autorisé à pénétrer dans les loges que s’il était vêtu en costume-cravate. Et donc, pas en veste léopard, ni en chemise hawaïenne grande ouverte, ses vêtements préférés. Lors du match retour, Vince a rendu à ce club la monnaie de sa pièce : il a interdit les chemises et les cravates au stade The New Lawn, le stade de Forest Green Rovers.

Le menu n’est pas la seule chose que Vince a radicalement modifiée. Le stade The New Lawn doit devenir, à court terme, le stade le plus écologique du monde. Le club récolte l’eau de pluie et installe des bornes de recharge pour les voitures électriques. Les cuisiniers recyclent l’huile de friture, avec laquelle ils fabriquent du carburant bio.

Et, bien sûr, Ecotricity, la société de Vince, fournit de l’énergie verte et renouvelable. Dont une partie provient des panneaux solaires installés sur le toit du stade. En 2018, les Nations Unies ont élu Forest Green Rovers comme étant le premier club climatiquement neutre du monde.

Même la tonte de la pelouse se fait de la manière la plus écologique possible, avec l’aide d’un robot intelligent qui fonctionne à l’énergie solaire et qui avertit le préposé à l’entretien du terrain, Adam Witchell, de l’avancée du travail par des sms.  » Un jour, mon téléphone a retenti à trois heures du matin « , a raconté Witchell au journal The Sun.  » Ma femme s’est réveillée en sursaut et s’est demandé qui pouvait bien appeler à une heure pareille. « Le robot », lui ai-je répondu. « On s’est disputé jusqu’à six heures du matin, mais elle a fini par me croire. »

Tout ce qui est vegan est permis.
Tout ce qui est vegan est permis.© BELGAIMAGE

Pas de pesticides mais des algues et du vinaigre

Vince a engagé Witchell parce qu’il a été convaincu par ses méthodes écologiques. Il n’utilise ni pesticides ni produits chimiques, mais des algues d’Écosse (pour hydrater la pelouse) et du vinaigre (pour combattre les mauvaises herbes). Depuis, il s’affirme comme un grand partisan de Vince.

 » Avant, je ne mangeais jamais vegan, mais aujourd’hui toute la famille s’y est mise. Je roule en voiture électrique, je cherche toujours à savoir où mon plastique atterrit et j’ai pris conscience de mon empreinte écologique. Je suis papa de jeunes enfants et je me demande souvent dans quel monde ils vivront plus tard.  »

Witchell n’est pas le seul qui s’est converti à l’idéologie de Vince. Même si les matches à domicile de Forest Green Rovers n’attirent que quelques milliers de spectateurs, le club possède des fan-clubs dans 20 pays. Les maillots se vendent comme des petits pains : ils ont trouvé preneurs quelques minutes après leur présentation. Des demandes proviennent même d’Australie et des États-Unis. Elles n’émanent pas uniquement d’amateurs de football en une touche de balle ou d’admirateurs du jeu défensif de Forest Green Rovers.

 » Nous n’avons pas seulement créé un nouveau type de club de football, mais aussi un nouveau type de supporter « , se réjouit Vince.  » Les amateurs de football représentent exactement le genre de personnes que nous voulons atteindre avec notre message.  » Pourtant, tout le monde n’est pas heureux de la décision de Vince, de changer les couleurs noir et blanc de Forest Green Rovers, dans lesquelles l’équipe évolue depuis 1889, en vert-citron et noir, les couleurs d’ Ecotricity. Des maillots qui, comme les protège-tibias, sont conçus en bambou biodégradable. Rien que ça.

Objectif Championship

Que pensent les joueurs de cette révolution verte ? Certains ont adopté le régime vegan de leur président, d’autres prennent plus de libertés avec les instructions de leur patron. Lorsqu’un paparazzo a surpris une partie des joueurs en train de manger des fish & chips, enveloppés dans un emballage non recyclable qui plus est, le Sun a titré en grandes lettres :  » Hypocrites.  »

Les joueurs non-vegans du groupe, les attaquants qui se régalent d’une cuisse de poulet, trouvent sans doute une compensation dans la générosité de Vince sur le plan financier. Pour attirer des joueurs dans les Cotswolds, une région fort isolée du reste du pays, il n’hésite pas à mettre la main au portefeuille. Ses joueurs gagnent bien mieux leur vie que dans les autres clubs de la même division.

Au cours de l’année qui a précédé la promotion, par exemple, Vince a payé près de 206.000 euros aux agents. Plus que tous les autres clubs amateurs réunis. Et plus que n’importe quelle équipe de League Two, à l’exception de Portsmouth, et même plus qu’un club de Championship, le deuxième échelon du football anglais. Car Vince est ambitieux. Il investit non seulement dans l’énergie verte, mais aussi dans la constitution d’un noyau compétitif. À terme, le président veut atteindre la Championship avec Forest Green Rovers. Pour donner encore plus de retentissement à son message.

Une nouvelle enceinte figure également dans ses plans. Vince a l’intention de construire un nouveau stade. Un plan a déjà été dessiné par Zaha Hadid Architects, la société qui a conçu la piscine des Jeux Olympiques de Londres en 2012. Le stade sera situé au coeur d’un parc industriel vert et sera entièrement construit en bois. Ce sera  » le stade le plus écologique depuis que les Romains ont inventé le béton.  »

Car, estime Vince, plus de 75% de l’impact écologique d’un stade moderne provient des matériaux avec lesquels il a été construit.  » L’importance du bois réside non seulement dans le fait que c’est un produit naturel, mais aussi dans la faible empreinte qu’il laisse, la plus basse de tous les matériaux de construction disponibles.  »

Le président Dale Vince pèse près de 127  millions d'euros.
Le président Dale Vince pèse près de 127 millions d’euros.© BELGAIMAGE

Le président Dale Vince : de défenseur de l’écologie à multimillionaire

Dans les années 80, des milliers de voyageurs New Age ont parcouru le Royaume-Uni. À bord de caravanes et de camionnettes, ils ont voyagé dans l’esprit des hippies d’un festival à l’autre. Ils ont souvent eu maille à partir avec la police. Comme lors d’une manifestation contre les missiles de croisière sur une base aérienne à Molesworth. Ou lors d’une bataille pour un champ de haricots près de Stonehenge, où les forces de l’ordre ont été attaquées par une bande de chevelus munis de bâtons en caoutchouc. Dans les deux cas, Dale Vince était présent.

Avec sa femme et son fils, Vince sillonne à l’époque le pays à bord d’un camion de l’armée qu’il a rafistolé, et sur lequel il a installé un moulin à vent. Au début des années 90, lorsqu’il gare son véhicule dans les Cotswolds, près de Nailsworth, et qu’il voit les ailes de son moulin commencer à tourner, il prend conscience du potentiel de l’énergie éolienne. Il comprend qu’il pourrait avancer avec uniquement le moulin à vent sur le toit. Et il entrevoit encore d’autres possibilités. C’est ainsi qu’il crée Ecotricity, une société spécialisée dans l’énergie renouvelable.

Le succès est immédiat. En 2020, Vince effectue son entrée sur la liste des 1.000 personnes les plus riches du Royaume-Uni. Le Sun estime sa fortune à 127 millions d’euros.  » Dans ce pays, la plupart des gens associent le succès à l’argent « , déclare Vince au journal The Independent.  » Si ma valeur monétaire pouvait donner de la crédibilité au concept d’énergie renouvelable, ce serait formidable.  »

Et même si cet écologiste convaincu habite un château du XVIIIe siècle près de Nailsworth, il affirme que l’argent ne l’a pas changé.  » L’argent ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un homme d’affaires, mais un activiste qui milite pour l’environnement. Au début des années 90, j’étais un hippie un peu dérangé. Je le suis toujours aujourd’hui.  »

Ecocitry, la firme du président Dale Vince, est sponsor du club.
Ecocitry, la firme du président Dale Vince, est sponsor du club.© BELGAIMAGE

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